Voyage au Rwanda: leçons pour Haïti

Témoignage du sociologue Abner Septembre

Montagnes dans le nord où il y des volcans inactifs observables depuis Musanze, 2e ville du Rwanda. Photos: Abner Septembre.
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Publié 12/11/2022 par Annik Chalifour

«En ce temps très difficile que vit Haïti, faire un voyage au Rwanda est non seulement inspirant, mais aussi implique un devoir de partage», rapporte le sociologue haïtien Abner Septembre qui vient de rentrer chez lui à Vallue, en Haïti, de retour du Rwanda.

Abner Septembre.

«Pour que chaque Haïtien sache, garde espoir et mène le bon combat pour transformer cette espérance en une nouvelle réalité qu’il a le pouvoir de déterminer.»

Histoire et développement

Selon Abner, les deux pays ont des similitudes par le territoire, la population, la dispersion de l’habitat dans les collines, le climat, la nourriture, la végétation, certains défis communs, etc.

«Mais, ils diffèrent par la faune, le droit et l’équité de genre, l’accès à la mer, l’histoire récente et le niveau de développement actuel…»

Ce sont surtout ces deux derniers aspects qui ont interpellé Abner.

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Montagnes aperçues depuis le nord du Rwanda.
Utilisation des vélos pour le transport de produits au marché ou à la maison.
Habitats dispersés dans les collines.

L’histoire récente du Rwanda est marquée par le génocide: «Une tuerie intentionnelle exterminatrice, mais aussi mutilations, viols et d’autres atrocités.»

Raison d’espérer

Pour remonter la pente, se reconstruire et se donner une nouvelle réalité plutôt enviable, le pays s’accroche au SUR: «Souvenir, Unité et Renaissance», témoigne Abner.

Mémorial du génocide à Kigali.

Sa visite au Mémorial du génocide à Kigali; sa lecture de Murambi: le livre des ossements; ses observations faites à l’African Philanthropy Forum; et ses déplacements en provinces dans le nord, visites aux villages, échanges à différents niveaux… ont créé chez Abner «non seulement l’admiration pour ce peuple martyr, mais aussi une raison d’espérer, tout en attirant l’attention sur les risques».

Mise en garde

Le génocide rwandais ne se résume pas au carnage du 6 avril au 17 juillet 1994. Il est l’aboutissement d’un processus qui a commencé «en 1959 par de petits massacres auxquels personne ne faisait attention», selon Murambi.

Un message diffusé par WhatsApp, attribué au président Paul Kagame, a fait état d’une mise en garde de ce dernier aux Haïtien.nes en référence à ce drame.

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«Nous sommes, paraît-il, déjà dedans», déclare Abner.

»Ce à quoi nous assistons en Haïti, depuis ces 35 dernières années, et qui s’envenime à présent, doit nous faire craindre le dernier épisode le plus tragique.»

«Plusieurs personnes sont déjà tombées et plusieurs zones sont aussi sous le contrôle de gangs téléguidés selon des enjeux ou intérêts stratégiques de taille.»

Haïti, entre insécurité et misère. Photo: Annik Chalifour

Agenda manipulateur

«Y a-t-il une main qui manipule tout ça?», pose Abner.

«Seule l’Histoire et l’intelligibilité de certains indices peuvent aider à voir clair dans le jeu des acteurs.»

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«Les soi-disant amis d’Haïti exécutent une valse-hésitation et cherchent la meilleure voie pour l’envahir, au nom du Droit international humanitaire», selon Abner.

«Sous prétexte de conjurer une guerre civile et de s’attaquer tant à une crise humanitaire qu’à des crimes contre l’humanité.»

«Rien d’étonnant à ce que le Canada soit mis au-devant de la scène pour diriger cette nouvelle souillure du sol et de l’âme haïtienne, voire une occupation éventuelle du sous-sol sans vouloir s’occuper d’Haïti.»

Éviter une guerre civile ou l’invasion

«Aucune solution alternative viable n’est sur la table pour l’heure. Mais, il faut croire que c’est possible d’éviter l’ultime épisode dans un sens (guerre civile?) ou dans l’autre (invasion?)», souligne Abner.

Le sociologue examine ces deux questions, en partageant les commentaires suivants.

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«D’une part, pour une semaine ou deux, après une catastrophe naturelle, comme en 2010 par exemple, nous avons fait taire les préjugés et les intérêts mesquins pour reconnaître que nous sommes dans le même bateau.»

«D’autre part, la pandémie du COVID-19 et le verdict politique du visa nous ont appris, quand les portes de l’étranger sont fermées, que nous n’avons qu’Haïti comme lieu pour vivre, donc qui pourrait répondre à nos besoins et attentes si nous avions choisi de le construire dignement pour nous tous.»

Réponse haïtienne

«Si cela est bien compris et accepté par tout un chacun, au-delà des clivages politiques, économiques et stratégiques, nous pourrons nous connecter ensemble.»

«Pour construire rapidement une réponse haïtienne qui reflètera une volonté commune et un engagement de chacun à lutter contre les vieux démons pour cultiver la paix et obtenir notre résurrection collective», soutient Abner.

«Nous aurons alors accompli l’aspect sain du vœu de l’ambassadeur canadien à l’ONU, Bob Rae, pour qui les solutions devront venir des Haïtiens eux-mêmes

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Bob Rae.

«L’engagement que l’ambassadeur Rae devra maintenant prendre, s’il en est vraiment convaincu, passe absolument et d’abord par la neutralisation des manipulateurs qui agissent comme des glaciers qui déterminent à eux seuls l’avenir de l’humanité.»

Enjeu du multiculturalisme

«Après l’indépendance, nous n’avons pas résolu ni les contradictions du système esclavagiste ni abattu les murs dressés entre et contre nous. Ce qui a créé une grande fissure que les manipulateurs exploitent pour aboutir à la situation actuelle», affirme Abner.

De retour de Kigali et de passage à l’Université de Floride, Abner a assisté à une causerie sur le multiculturalisme, qu’il considère comme: «Un autre focus très intéressant pour comprendre l’enjeu qui entoure et piège le réel haïtien.»

«C’est cette étape cruciale qui a permis aux Rwandais de construire leur propre résurrection et peu à peu la stabilité de leur pays, sous la forme de justice expiatoire, de renoncement, de pacification, d’inclusion et de tolérance.»

Combat transformationnel

Abner estime «qu’Haïti a donc des leçons à apprendre du Rwanda post-génocide, pour se connecter et se construire en tant que peuple, faire des progrès et les rendre accessibles à tous, en vue d’une meilleure qualité de vie sur l’ensemble du territoire».

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Haïti
Haïti, terre de montagnes. Photo: Annik Chalifour.
Agriculture de montagne, Haïti.

Il ne s’agit pas pour lui «d’idéaliser l’exemple rwandais, mais de reconnaître, sans délai, notre obligation de mener le bon combat transformationnel qui protégera le pays de la velléité de tous ceux qui veulent le maintenir sous leur joug dans la misère.»

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

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