Cinq portraits de personnages «porteurs du possible» en Haïti

Haïti
Le photographe Patrice Dougé basé en Haïti.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 04/06/2022 par Annik Chalifour

Cet article-témoignage se veut un rappel de la résilience haïtienne face aux crises et aux défis économiques, sécuritaires et politiques du pays. Un trait de caractère cultivé à travers les arts, l’action sociale, la passion du patrimoine.

À Port-au-Prince, en décembre 2015: cinq personnages haïtiens fascinants, porteurs de l’histoire passée et future d’Haïti, croisent ma route…

Ils et elles sont le reflet du sentiment d’appartenance à l’identité culturelle haïtienne, «le ressort central du développement durable d’Haïti».

Daniel Marcelin

Daniel Marcelin. Photo: Annik Chalifour.

Il y a de ces hommes à l’esprit sans frontières, plus grands que nature, extravagants, qui respirent et inspirent la frénésie, la démesure, la liberté d’expression à l’état pur.

Mais aussi l’engagement citoyen absolu, l’activisme culturel, la profonde persévérance dans l’adversité. Voici le personnage captivant qu’est Daniel Marcelin.

Publicité

Lors de notre rencontre dans les studios de Radio Métropole, le fameux dramaturge et comédien me résume sa passion en ces mots précis: «le théâtre, comme outil de conscientisation sociale».

Daniel Marcelin dans les Studios de Radio Métropole. Photo: Annik Chalifour

À l’époque, Marcelin, conseiller pédagogique, concoctait la mise en scène du célèbre roman Gouverneurs de la rosée sous la forme d’une comédie musicale devant faire la tournée des lycées en août 2016.

Daniel a fondé l’école de théâtre Le Petit Conservatoire d’art dramatique de Port-au-Prince en 1999. Malgré la fermeture obligée de l’école en 2014, il a continué d’animer l’institution bénévolement. Par conviction inébranlable que «le théâtre est source de savoirs culturels».

Daniel Marcelin dirigeant la comédienne Gaëlle Bien-Aimé en répétition de la pièce La couleur de l’aube, oeuvre de l’auteure Yanick Lahens. Photo: Annik Chalifour.

Des centaines de jeunes Haïtiens, artistes de la scène, sont devenus vecteurs de la culture haïtienne en Haïti et à l’étranger grâce à l’acharnement indéfectible de Daniel Marcelin.

«Le théâtre est la voix de la culture, il permet de tout déclarer, de tout comprendre», selon le dramaturge profondément imprégné de sa foi en la jeunesse haïtienne.

Publicité

Paula Clermont Péan

Paula Clermont Péan avec Annik Chalifour. Photo: Claire Binet.

Sa passion exaltée pour le chant, la danse, le théâtre, la musique qu’elle privilégie dans son œuvre culturelle alimente sa volonté farouche et son courage indéfectible face au défi de la durabilité au cœur d’une réalité fragile. Son regard dit tout.

Voici « l’immense» personnage qu’est Paula Clermont Péan.

Comédienne, metteure en scène, auteure, conteuse, animatrice, femme de tous les talents, Paula Clermont Péan dirige le Centre culturel Pyepoudre depuis 33 ans.

Un espace exclusif et inclusif de formation, d’animation culturelle, de documentation, d’appui à la création, d’engagement communautaire. Incluant deux troupes de théâtre ayant participé au fameux Festival de Théâtre Quatre Chemins, événement phare de la vie culturelle haïtienne.

Animation théâtrale pour la communauté, Centre culturel Pyepoudre.

«Résistante de la création», Paula fait vibrer les talents de tout un chacun à travers le pays, tissant les liens entre le rural et l’urbain.

Publicité

Interpellant le peuple haïtien dans son quotidien: clubs de débat et de lecture, jeux de société, foires gastronomiques, résidence artistique, médiation culturelle.

Club de lecture pour les jeunes.

«Avec l’exigence artistique, la volonté et le désir de créer, former, transmettre à travers tout le territoire, elle trouve les personnes, forge les outils, investit les espaces pour faire vivre la culture haïtienne», selon le scénographe Raymond Sardaby.

Le Centre culturel Pyepoudre collabore notamment avec la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) dirigée par Michèle Duvivier Pierre-Louis, l’instigatrice de l’éminent Parc de Martissant.

Erol Josué

Erol Josué. Photo: Annik Chalifour.

Un être particulier, mystérieux, excentrique, Erol Josué dirige le Bureau National d’Ethnologie (BNE) depuis 2012. «Un musée pour les gens et leur culture», selon Erol.

Ethnologue, auteur-compositeur, chorégraphe, danseur, chanteur et hougan, Erol Josué est connu comme «Protecteur du Patrimoine immatériel» d’Haïti.

Publicité

Haïti possède 200 monuments et sites historiques surprenants répartis à travers son territoire. Le BNE répond à une urgente nécessité de préserver et de valoriser le patrimoine captivant du pays, symbole permanent de la remarquable histoire haïtienne.

Entrée du BNE, Port-au-Prince.

Un espace scientifique et éducatif pour instruire et stimuler l’étude de l’identité culturelle haïtienne, mettant l’accent sur ses composantes africaines et amérindiennes.

Personnage de terrain audacieux, totalement ancré dans ses racines populaires, Erol Josué fusionne art et anthropologie avec acuité, sensibilité et détermination.

Ses talents éclatants de chanteur et danseur évoluent dans la pratique du vaudou depuis son éducation familiale. Source de son inspiration nichée entre savoirs ancestraux et contemporains tant sur la scène haïtienne qu’à l’international.

Erol Josué avec le pianiste cubain Omar Sosa.

Citons le 10e Festival International de Jazz de Port-au-Prince (2016) où Erol a performé en compagnie d’Omar Sosa, pianiste et percussionniste cubain vivant à Barcelone. Un initié de la santería (religion originaire des Caraïbes) très proche de la culture afro-cubaine pratiquée à Cuba, en Colombie et au Venezuela.

Publicité

De nombreux éléments du patrimoine culturel haïtien sont liés au vaudou. L’inspiration artistique d’Erol Josué – dont son dernier album «Pèlerinaj» – tend à éliminer les clichés associés à l’expression du vaudou, à faire comprendre le vaudou dans une perspective plus élargie.

Linda Isabelle François

Linda Isabelle François, Port-au-Prince. Photo: Annik Chalifour.

Femme lumineuse, Linda Isabelle François séduit par son caractère énergique, sa ténacité inébranlable et son esprit d’avant-garde. Une femme-artiste-danseuse ayant soif de provoquer la vie autrement, en toute liberté.

La remarquable carrière artistique de Linda s’est enrichie au cœur de la troupe de danse Ayikodans durant plus de deux décennies.

Outre ses nombreuses performances de danseuse étoile dans la Caraïbe, en Europe et aux États-Unis, Linda a exploré les multiples facettes de l’art de la danse comme professeure, répétitrice, chorégraphe et co-directrice artistique.

Transmettre Haïti dans tout ce qu’on ne voit pas.

Une danseuse éloquente dans l’âme s’efforçant de transmettre Haïti dans tout ce qu’on ne voit pas. «L’héritage méconnu d’un riche métissage culturel, source d’inspiration de l’éternelle créativité du peuple haïtien.»

Publicité

La chorégraphe a collaboré notamment avec la légendaire Yole Dérose, Paula Clermont Péan et Erol Josué.

Linda voue une grande partie de son œuvre artistique à la promotion de l’équité des genres. Sa production Parfums de femme (2017) – où elle incarnait la divinité vodou Erzulie – témoigne son aspiration à valoriser l’identité multiple de la courageuse femme haïtienne dans tous ses pouvoirs, ses savoirs et sa magnificence.

Voix de femme. Photo: Patrice Dougé.

«Un appel à la solidarité entre femmes pour agir à la transformation de la société dans laquelle nous vivons.»

Co-propriétaire de la compagnie West -I ent., cette vibrante artiste s’impose dans les domaines de la danse et la production artistique. En juillet 2020, Linda participait à Worldwide Afro Network .

Linda Isabelle François, amoureuse passionnée de la danse, un esprit libre osant faire confiance à la vie.

Publicité

Patrice Dougé

Patrice Dougé. Photo: LinkedIn.

Le vrai photographe est un artiste visuel en action de l’aube à la nuit, qui photographie d’abord avec ses yeux. Parce qu’il a le sens de l’ambiance, des ombres et lumières, des émotions troublantes que camoufle une image qu’il veut capter et transmettre à jamais.

C’est celui qui entend la musique des images et veut la perpétuer à travers son œuvre. Parce qu’il prétend dire sans parler, porter les non-dits, dénoncer sans mots ni scrupules, convaincre en toute liberté d’aimer ou d’exécrer.

Le vrai photographe ne se limite pas au visuel, mais aussi et surtout à tout ce qui émeut chez l’humain.

Commune de Dame-Marie. Photo: Patrice Dougé.

J’ai croisé un tel personnage à Port-au-Prince en décembre 2015: le photographe humaniste Patrice Dougé. Fils de Gérard Dougé, poète et rédacteur de l’école littéraire Pluréalisme: un mouvement littéraire haïtien classé parmi l’un des plus originaux.

Patrice photographie depuis l’âge de 9 ans.

Publicité

Au début des années 1990 il a lancé sa carrière comme photojournaliste auprès de Reuters en Haïti, suivant l’actualité haïtienne à travers ses lentilles, captant une multitude d’images entre le rire et les larmes.

Il a aussi travaillé auprès des journaux floridiens Miami Herald et Sun-Sentinel. Depuis sept ans Patrice s’est ré-établi dans son pays «alors que j’ai redécouvert la prodigieuse beauté d’Haïti».

Le photographe a collaboré à la réalisation de plusieurs projets visant la promotion de la culture haïtienne par l’image, faisant la tournée des régions du pays (Artibonite, Grande-Anse, Cap Haïtien).

Il a également produit les illustrations d’œuvres d’auteurs haïtiens reconnus tel que Jean-Euphèle Milcé.

Commune des Abricots. Photo: Patrice Dougé.

Patrice a sillonné et continue de sillonner son île sans relâche dans le but de promouvoir le fascinant patrimoine haïtien, livrant une série d’images saisissantes à l’infini.

Publicité

«Sur le terrain je vise à capturer la couleur, la texture et l’émotion d’un sujet. Je veux que mes images suscitent un sens plus profond, au-delà de l’évidence.»

«Partager ma vision en tant que photographe, créer des images fortes avec lesquelles le spectateur peut se connecter, est le sens ultime de mon œuvre», cite Patrice. La photographie humaniste d’avant-garde est sa voix. C’est aussi un outil de résilience.

Azraf. Photo: Patrice Dougé.

Cinq personnages, forces de vie en Haïti, une minorité à l’image de la majorité.

Mon dernier séjour en sol haïtien remonte à novembre 2018. Les troubles internes combinés avec la pandémie freinent mon retour…  Je reviens en Haïti dans tous mes rêves…

Auteur

  • Annik Chalifour

    Chroniqueuse et journaliste à l-express.ca depuis 2008. Plusieurs reportages réalisés en Haïti sur le tourisme solidaire en appui à l’économie locale durable. Plus de 20 ans d'œuvre humanitaire. Formation de juriste.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur