Qui protège la vie privée des enfants dans les causes de droit familial?

L'exemple des parents Lisa McCabe et Bertrand Tissot

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Publié 09/09/2020 par Gérard Lévesque

«La Cour n’a pas été en mesure de déterminer avec certitude le point de vue et les préférences du fils de Lisa McCabe et de Bertrand Tissot. Il n’y a pas eu d’évaluation en vertu de l’article 30 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, LRO 1990, c C.12, ni de participation du Bureau de l’avocat de l’enfant pour aider la Cour», note la juge Suzanne Stevenson, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans sa décision du 4 avril 2016, accordant la garde de l’enfant à la mère, dans le dossier McCabe c Tissot, 2016 ONSC 2285.

Une évaluation des besoins de l’enfant ainsi que de la capacité et de la volonté des parties, ou de l’une d’entre elles, de satisfaire ces besoins aurait pu être bien utile au tribunal. Le Bureau de l’avocat des enfants peut représenter des enfants de moins de 18 ans dans des affaires judiciaires qui portent sur les droits de garde et de visite et la protection de l’enfance.

Lisa McCabe

À mon avis, compte tenu de l’incapacité chronique des parents de s’entendre à l’amiable, l’enfant aurait dû être représenté par un avocat.

Depuis 2014

Cette cause est l’objet d’un premier procès devant la juge Eva Frank en novembre 2014. Après trois jours de témoignage de la part de la requérante McCabe, les parties règlent l’affaire et signe le procès-verbal du règlement.

Le 4 décembre 2014, la requérante informe son avocate qu’une disposition manque au texte du procès-verbal.  Les parties ne peuvent s’entendre et, en conséquence, une requête de rectification est présentée au tribunal.

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Le 24 avril 2015, une ordonnance donne le choix de rectifier ou de résilier le procès-verbal, La résiliation est choisie.

L’affaire est programmée pour un nouveau procès.  Il est décidé par les parties que la preuve présentée par la requérante en novembre de 2014 constitue sa preuve principale pour le procès, ainsi que toute mise à jour de sa part pour ce qui est survenu depuis novembre 2014.  Ceci est sujet au contre-interrogatoire. Ainsi, trois volumes de transcriptions judiciaires du procès de novembre 2014 forment une partie de la preuve pour le nouveau procès. Au total, incluant les trois jours de preuve en 2014, le procès a duré 17 jours.

Le droit à l’information

Habituellement, dans mes chroniques, je donne accès au texte intégral des documents que je commente. Dans mon texte Deux parents qui ne s’entendent pas… et se ruinent, je n’ai pas indiqué le nom de l’enfant ni celui de sa mère. Je n’ai pas fourni la citation à la décision du 4 avril 2016 ni à la décision du 11 juillet 2016.

Bertrand Tissot

Et, dans l’édition électronique, j’ai retiré mes liens Internet vers le texte de ces deux décisions afin d’avoir le temps de vérifier si les deux belligérants avaient demandé à la Cour, conjointement ou individuellement, des mesures de protection des renseignements concernant l’identité de leur enfant et si non, pourquoi.

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Je pense maintenant que, tout au long des hostilités, les parents, accaparés par leurs stratégies respectives d’attaques et de contre-attaques, n’ont pas eu l’occasion de considérer les effets possibles sur leur fils de la diffusion publique de tant de ses informations personnelles.

Pourtant, il aurait été si facile de demander que, dans ces deux décisions, l’enfant McCabe-Tissot soit identifié sous ses initiales. Leur non-considération fait en sorte que leur fils est devenu aussi leur victime. Si l’enfant avait été en foyer d’accueil ou si l’instance avait été en Cour juvénile, la législation aurait protégé davantage ses renseignements personnels. 

Les renseignements personnels de l’enfant

La juge de l’instance a ordonné que toutes les photos des ex-conjoints et de leur fils soient retirées du dossier de la Cour. Cependant aucun des deux parents n’a demandé au tribunal une ordonnance de retrait des renseignements identificatoires de leur fils.  

Selon le principe de la publicité des débats judiciaires, les dossiers relevant du droit de la famille sont accessibles au public à moins que: (1) il y ait une loi qui prescrit que le dossier, en tout ou en partie, doit être traité de manière confidentielle (par exemple, la Loi de 2017 sur les services à l’enfance, à la jeunesse et à la famille) ou (2) le juge impose une restriction discrétionnaire.

La Cour prend en compte la protection de la vie privée de chaque personne impliquée dans le dossier, ce qui inclut les enfants. Chaque partie peut demander, en donnant un préavis, que le juge présidant le procès décide s’il y a lieu d’imposer des restrictions sur la publication des renseignements permettant d’identifier un enfant, en vertu de l’article 70 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance dont le texte est le suivant:

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70 (1) Si une instance comprend une requête visée à la présente partie, le tribunal examine s’il est approprié d’ordonner:

a) soit que l’accès à tout ou partie du dossier du tribunal soit limité:

(i) au tribunal et à ses employés autorisés,

(ii) aux parties et à leurs avocats,

(iii) à l’avocat, s’il y en a un, qui représente l’enfant qui fait l’objet de la requête,

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(iv) à toute autre personne que précise le tribunal;

b) soit que nul ne doit publier ni rendre publics des renseignements qui ont pour effet d’identifier toute personne mentionnée dans un document relatif à la requête qui figure au dossier du tribunal. 

Considérations

(2) Lorsqu’il décide s’il doit rendre une ordonnance aux termes du paragraphe (1), le tribunal prend en considération ce qui suit:

a) la nature et le caractère délicat des renseignements contenus dans les documents relatifs à la requête visée à la présente partie qui figurent au dossier du tribunal;

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b) la possibilité que le fait de ne pas rendre l’ordonnance cause des maux physiques, mentaux ou affectifs à toute personne mentionnée dans ces documents.

Ordonnance

(3) Toute personne intéressée peut présenter une requête en vue d’obtenir une ordonnance visée au paragraphe (1).

Une quinzaine de témoins

Au cours des 14 jours du 2e procès, les parties ont présenté une quinzaine de témoins. Pour cette chronique, je vous présente en quelques lignes un aperçu de deux témoignages.

Charlotte Butruille-Cardew
Charlotte Butruille-Cardew

Invitée à témoigner comme témoin expert par Lisa McCabe, Charlotte Butruille-Cardew est praticienne et formatrice accréditée en droit collaboratif, technique de résolution alternative basée sur la négociation intégrative, qu’elle a introduite en France en 2007.

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Présenté aux pages 41 à 45 du jugement, son témoignage concerne notamment des conventions internationales en droit de la famille que, par coïncidence, l’Ontario vise présentement à incorporer au droit ontarien.

Puisque la juge de l’instance indique que ce témoignage lui a été fort utile, j’ai invité Maître Butruille-Cardew à me transmettre un exemplaire de son rapport du 5 juin 2015. 

«Je vous remercie de votre e-mail – Et comprends votre situation – néanmoins notre cliente nous a donné instructions formelles de ne pas communiquer sur son dossier», a été la prompte réponse que j’ai reçue.

Je regrette cette consigne, car ce rapport fait partie du dossier judiciaire pour lequel aucune des parties n’a demandé des restrictions. Je vais donc tenter d’obtenir autrement ce document pour le mettre à la disposition de tous. Au moment de terminer la rédaction de ce texte, je n’ai pas reçu d’accusé de réception du courriel envoyé à madame McCabe.

Université gratuite

Un autre aspect de ce témoignage m’intéresse: les avantages dont le fils pourrait bénéficier si les parties collaboraient pour qu’il obtienne la citoyenneté française.

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Il pourrait entre autres résider n’importe où dans l’Union européenne et voyager facilement dans l’espace Shengen. Cet espace comprend les territoires de 26 États européens (22 États membres de l’Union européenne et 4 États associés) qui ont mis en œuvre l’accord de Schengen et la convention de Schengen, signés à Schengen (Luxembourg) en 1985 et 1990.

L’espace Schengen fonctionne comme un espace unique en matière de voyages internationaux et de contrôles frontaliers, où le franchissement des frontières intérieures s’effectue librement, sans passeport, sans contrôle.

Le fils aurait également accès gratuit aux études universitaires. Il ne sera plus mineur dans quelques années. Il pourra continuer de prendre conseils de ses parents, mais il pourra prendre ses propres décisions. 

Un conseil élargi de la famille 

Quarante sept ordonnances judiciaires ne semblent pas avoir mis fin aux hostilités entre les parents. L’armistice ne semble pas prête d’être signée. Entretemps, y a-t-il quelque chose qui peut être planifié pour le bénéfice de l’enfant?

Il y a certainement une personne qui pourrait consulter les autres victimes dans ce dossier (les grands-parents paternels, l’oncle paternel de l’enfant, les grands-parents maternels, la tante maternelle de l’enfant, l’ancienne gardienne de l’enfant…) pour proposer quelques suggestions susceptibles d’être considérées par les deux parents et leur enfant.

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Réformer le droit familial   

Professeur émérite de l’Université de Toronto, Philippe Poussier a aussi témoigné lors du procès. Son témoignage est résumé aux pages 37 et 38 du jugement. Il a tenu à me faire part de sa réaction à mon article du 28 août dernier:

Philippe Poussier
Philippe Poussier

«Je suis particulièrement sensible à ce que vous avez écrit, car il se trouve que Bertrand Tissot est un de mes meilleurs amis et que j’ai moi-même témoigné en sa faveur lorsque le procès du divorce a eu lieu. Je suis, bien sûr, tout à fait d’accord avec vous que ce qu’a coûté ce divorce aux deux parents est proprement scandaleux, et, cela, à plusieurs titres.»

«Il y a, bien sûr, le fait que cela a ruiné le père et mis la mère dans une situation très précaire. Plus scandaleux pour moi est que le système judiciaire permette le développement d’un tel scandale dont les seuls bénéficiaires sont, bien sûr, les avocats qui, s’ils avaient une conscience, refuseraient de contribuer à cette ruine des parents.» 

Ce dossier n’est pas le premier à justifier une urgence de réformer le droit familial. Tous devraient se sentir interpellés: législateurs, juges en chef, dirigeants du Barreau de l’Ontario, Bureau de l’avocat des enfants, Commissariat ontarien à l’information et à la protection de la vie privée, juristes, justiciables…  

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14 août 2020: Des enfants du divorce sont privés de milliards de dollars tous les ans

24 août 2020: À la recherche de parents irresponsables: ceux qui négligent de payer des ordonnances alimentaires

28 août 2020: Deux parents qui ne s’entendent pas… et se ruinent

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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