Port-au-Prince: l’éducation sous la loi des gangs armés

Port-au-Prince, Haïti
Des élèves d'une école située près de Port-au-Prince. Photos: archives l-express.ca
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Publié 07/12/2024 par Annik Chalifour

Normalement, une institution qui se trouve voisine d’un commissariat de police devrait se sentir plus en sécurité. Malheureusement le phénomène de l’insécurité à Port-au-Prince renverse l’ordre des choses.

L’environnement des commissariats, cibles fréquentes des bandits qui contrôlent une bonne partie de la capitale d’Haïti, est aujourd’hui devenu dangereux. Plusieurs écoles de la région en sont de grandes victimes.

«L’insécurité se déplace de zones totalement occupées par des bandits pour se rendre dans d’autres espaces auxquels ils n’imposent pas encore leurs lois», selon le directeur d’une école située près de Port-au-Prince.

élèves
Des élèves dans une école près de Port-au-Prince.

«Comme dans ces quartiers voisins de Port-au-Prince – Carrefour, Village-de-Dieu, Wharf-Jérémie, Cité-Soleil – où il n’y a pas de présence d’autorité étatique, tout semblerait bien fonctionner. Ce sont bien les bandits qui détiennent les attributions régaliennes que sont l’économie, la justice, les politiques internes et externes, l’éducation.»

Voici son témoignage transmis à l-express.ca, dans l’anonymat pour sa protection et celle de son école.

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Les bandits ont leurs lois

«Le marché informel, le transport, des postes de péage, les taxes en général sont dynamiques. Ces hommes et femmes armés gèrent beaucoup de petites et moyennes entreprises.

Les bandits ont leurs lois, des juges (bandits-juges), des policiers, des tribunaux et prisons. Qui que vous soyez, si vous enfreignez leurs lois, des bandits vous mettront en prison et d’autres vous jugeront.

Les gangs armés sont bien organisés, contrôlent tout, ont des réseaux locaux, régionaux, interdépartementaux et même internationaux.

Il existe un bandit responsable de l’éducation! Il envoie des émissaires armés négocier des taxes avec les directeurs d’écoles. Il garantit la sécurité des écoles et autorise l’ouverture et la fermeture des écoles aux moments de turbulences.

Quotidiennement il y a fête, spécialement des anniversaires accompagnés de concerts de tirs réels ou artificiels. Les gangs possèdent bel et bien leur hôpital, leur école… leurs services de base.»

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Port-au-Prince
Un parent accompagnant son enfant à l’école.

Postes de surveillance

«Étant sur le qui-vive aux éventuelles interventions de la police, les bandits mettent des postes de surveillance et de défense à ciel-ouvert dans des endroits stratégiques. Dont les environs des écoles de Port-au-Prince en raison de leur situation géographique. Ainsi que sur une route nationale, à côté d’un sous-commissariat de police.

Les parents sont au courant. Les autorités policières aussi. Toutefois la peur et les précautions émergent davantage chez les parents. Certains reviennent à l’école, mais gardent leurs enfants loin des zones fragiles. D’autres, toujours traumatisés, n’y mettent plus les pieds.»

Ouverture et réouverture quand même

«Depuis plus de deux ans, pour éviter le risque qu’elle soit livrée aux bandits, considérant son site stratégique, notre école garde ses portes ouvertes avec 55 élèves cette année et une quarantaine l’année dernière, incluant une quinzaine d’employés.

Les salaires, les frais d’entretien et de sécurité, et le logement de certains employés constituent un poids économique très lourd.»

école
Une salle de classe d’une école basée dans la région de Port-au-Prince.

La vie malgré tout

«Beaucoup de parents placent leur confiance en nous pour l’éducation de leurs enfants.

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Cette année, certains professeurs motivés ont accepté de couper un peu leurs salaires et de former un petit comité pédagogique pour accompagner le directeur adjoint.

Une équipe d’experts en sciences humaines organise des ateliers de travail en ligne; des programmes d’accompagnement psychosocial, d’apprentissage de métiers, des activités culturelles, sportives; planifie un projet de former l’Amicale des anciens de l’école.

Nos élèves continuent, malgré les difficultés, de réussir à 100% aux examens officiels: 6/6 en 9e année fondamentale. Les quatre ayant fait avec nous le secondaire dont trois obligés d’aller faire le secondaire 4 ailleurs, ont tous réussi avec brio aux examens du baccalauréat.»

Port-au-Prince
Des écoliers dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

Notre témoin, ce directeur d’école, a dû récemment fuir son institution où il réside. Il se voit maintenant contraint de diriger l’école à distance jusqu’à nouvel ordre…

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