Ottawa: le français au cœur d’une session parlementaire tendue

français, langues officielles
Les chefs du Bloc Québécois et du Parti libéral, Yves-François Blanchet et Justin Trudeau, se sont confrontés sur la défense du français jusqu’à la fin de la session parlementaire. Photos: Marianne Dépelteau, Francopresse
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 04/07/2024 par Marianne Dépelteau

La défense du français a réveillé les passions plus d’une fois cette année sur la Colline parlementaire à Ottawa. En entrevue avec Francopresse, des députés reviennent sur une session qui, malgré quelques avancées, a été l’arène de chicanes politiques entourant le déclin de la langue de Molière.

La Loi sur les langues officielles a été modernisée au terme de la dernière session parlementaire. Les élus venaient tout juste d’unir leurs forces pour donner lieu à une nouvelle Loi plus apte à lutter contre le déclin du français. La question linguistique aurait pu être quasi absente des débats cette année.

Mais force est de constater que le fait français a révélé des tensions sous-jacentes entre ces mêmes élus.

Récapitulatif

Dès le mois d’octobre 2023, le français fait les unes. Au Comité permanent des langues officielles, le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, s’attire les foudres des conservateurs et des bloquistes en refusant de reconnaître explicitement le déclin du français au Québec.

français, langues officielles
Mario Beaulieu. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

En novembre, le porte-parole bloquiste en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, présente une étude sur le financement fédéral de l’anglais au Québec. Les libéraux se défendent de protéger la minorité anglophone québécoise tandis que le Bloc les accuse de financer l’assimilation des Québécois francophones.

Publicité

Le 6 mai 2024, au Comité des langues officielles, le député libéral Francis Drouin insulte des témoins venus parler de l’anglicisation du Québec. «Vous êtes pleins de marde», leur a-t-il dit, retirant immédiatement après ses propos.

Le député s’excuse, ses collègues libéraux le défendent, mais rien n’y fait: les partis d’opposition exigent son retrait du Comité et son départ de la présidence de la section canadienne de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF).

Des motions sont déposées, des votes comptés, mais aucun des souhaits de l’opposition n’est exaucé.

francophonie canadienne, francophones
Francis Drouin a reconnu s’être «laissé emporter». Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

Quelques semaines plus tard, en Comité, le député libéral Angelo Iacono avance que le Québec gagnerait à devenir officiellement bilingue. De nouveau, l’opposition s’indigne, et la défense du français se fraye à nouveau un chemin dans les débats en Chambre.

Bien que tous ces évènements concernent avant tout le Québec, les francophones en situation minoritaire sont évoqués. À plusieurs reprises, les chefs du Bloc québécois et du Parti libéral débattent sur qui défend réellement ces communautés minoritaires et le français en général.

Publicité

L’affaire Drouin

Ce débat a explosé après l’histoire des «témoins pleins de marde», paralysant des réunions entières du Comité.

«Les libéraux se sont engagés dans un filibuster (obstruction parlementaire, NDLR) pour [empêcher] le Comité de voter sur une motion qui se penchait sur cette affaire-là. Finalement, on n’a jamais eu la chance de voter», regrette aujourd’hui la porte-parole néo-démocrate en matière de langues officielles, Niki Ashton.

Loi sur les langues officielles
Niki Ashton. Photo: courtoisie

«Plusieurs membres sont prêts à défendre une arrogance troublante qui nuit [aux discussions] sur le déclin du français, stipule la députée. C’est là que les libéraux, particulièrement M. Drouin, ont montré qu’ils ne sont pas prêts à entendre des perspectives sur cela venant du Québec.»

Selon le député bloquiste Mario Beaulieu, M. Drouin a réagi au «simple constat de la situation de façon très agressive». Cette situation, qu’il a chiffrée dans son étude présentée en novembre, est celle d’un «surfinancement» des établissements postsecondaires anglophones du Québec.

Le député attend de voir la suite des choses. «Peut-être que M. Drouin ne sera plus là au début de la prochaine session. S’il revient, on va voir comment on s’organise.»

Publicité

Pour Darrell Samson, député libéral qui siège au Comité, les évènements entourant Francis Drouin et Angelo Iacono ont été des «moments difficiles», mais qui ont permis de faire parler du français.

français, langues officielles
Darrell Samson. Photo: courtoisie

«On n’a pas passé à l’action civile que j’aurais aimée, donc je suis déçu de ce côté-là», admet-il. «Même si sur le coup, à court terme, c’est négatif, ça peut être positif parce que ça force les réflexions.»

Darrell Samson ne cautionne pas les paroles de ses deux collègues, mais il demande à la population canadienne de ne pas réduire la vision du Parti libéral et de ses députés à ces deux évènements.

«Notre gouvernement, autant qu’on veuille peut-être chercher à le pointer du doigt, a développé une nouvelle loi. Ça, pour moi, ça démontre beaucoup plus.»

Des délais, malgré l’urgence

Mais l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles n’est pas suffisante aux yeux des députés du Comité. Sa réglementation, réclamée par les élus et organismes francophones depuis des mois, se fait attendre. La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, prévoit déposer un projet de règlement au début de l’année 2025.

Publicité

En attendant, les institutions fédérales peinent à respecter leurs obligations linguistiques, comme l’ont noté le Commissaire aux langues officielles (CLO) et le Conseil du Trésor.

Pour s’attaquer à ce problème, «[la réglementation] devrait se faire beaucoup plus rapidement», estime Mario Beaulieu.

langues officielles
Joël Godin. Photo: courtoisie

«Rien ne s’est fait pour les langues officielles depuis que la Loi [a été adoptée] en juin dernier. Je trouve ça malheureux pour la langue française», déplore de son côté le porte-parole conservateur en matière de langues officielles, Joël Godin.

Des décrets sont aussi attendus, notamment par le CLO. Ce dernier souhaite mettre en œuvre ses nouveaux pouvoirs, ce qui laisse croire à M. Godin que «le gouvernement libéral n’est pas là pour agir».

«Il faut avoir des leaders qui prennent leur responsabilité et agissent. Je ne peux pas affirmer que l’ensemble de la députation de tous les partis a l’intention de protéger les deux langues officielles. Il y a des gens qui ne sont pas très sensibles à ce sujet-là, ce n’est pas leur priorité», dit-il.

Publicité

Critiquant la «lenteur» du Conseil du Trésor, Niki Ashton affirme qu’«un projet de loi n’est pas assez». «On doit s’assurer d’un financement stable à long terme.»

Darrell Samson espère que la réglementation se fera «plus tôt que plus tard».

«J’aimerais qu’on puisse procéder aussi rapidement que possible, car on a besoin de ces outils-là, dit-il. Ça vaut quoi d’avoir des outils si on ne peut pas les utiliser? Mettons-nous à la tâche, livrons la marchandise et passons à l’action.»

Auteurs

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur