Les infrastructures vertes au chevet de la santé des villes

Naturalisation de l'embouchure de la rivière Don à Toronto

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Le nouveau bras de la rivière «artificielle» à l'aube. Photo: Waterfront Toronto
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Publié 12/12/2024 par Charles-Antoine Rouyer

Derrière le nouveau parc du port de Toronto, qui ouvrira au printemps 2025, se cache une innovation d’éco-ingénierie qui devrait contribuer à la santé urbaine locale. La naturalisation de l’embouchure de la rivière Don, réduisant les risques d’inondations, illustre une autre manière d’aborder l’aménagement urbain et de s’adapter notamment aux changements climatiques: les infrastructures vertes.

Que du bonheur

«Les infrastructures vertes permettent de réduire la pollution atmosphérique, les émissions de carbone et les risques d’inondation, mais aussi l’hypertension artérielle, le diabète et les maladies cardiaques [grâce à l’exercice]», explique Mili Roy, professeure de médecine à l’Université de Toronto.

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Mili Roy.

«Elles contribuent aussi à la mémoire, à la longévité chez les personnes âgées et à réduire le TDAH [Trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité] chez les enfants, ainsi qu’à la santé mentale, la cohésion sociale, la créativité et le bonheur», ajoute la co-présidente du chapitre ontarien de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement.

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Un nouveau pont enjambe l’embouchure de la rivière Don (rue Cherry, déplacée de 110 mètres vers l’Ouest). Photo: Waterfront Toronto

Les infrastructures traditionnelles sont dites «grises», de la couleur du béton des aménagements souvent imposants. À Toronto, un projet de 25 ans de plus de 3 milliards $ lancé en 2018 creuse trois tunnels souterrains de 22 km au total et 11 puits verticaux. L’objectif est de capter et entreposer sous terre les eaux de pluie qui en surface peuvent faire déborder les égouts, le long du cours de la rivière Don et en bordure du lac Ontario.

Un nouveau bras de la rivière

La naturalisation de l’embouchure de la rivière Don a coûté 1,4 milliard $ depuis 2018. Elle a permis de créer un nouveau bras de la rivière, 17 hectares d’espaces verts et de zones humides, un grand parc de 20,2 hectares et, à terme, 6,1 kilomètres de sentiers.

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Le nouveau cours d’eau, qui contourne une partie de l’ancien port, a fait naître une île de 39,6 hextares qui devrait accueillir jusqu’à 9 000 logements et 3000 emplois. L’île vient d’être rebaptisée par les Premières Nations locales Ookwemin Minising, qui signifie en Anishinaabemowin «le lieu des cerisiers noirs», des arbres qui poussaient jadis à cet endroit.

«La réflexion approfondie [pour la conception] et les soins apportés à la bio-ingénierie du site sont impressionnants », constate Jennifer Bonnell, une historienne des changements environnementaux, qui a signé un livre sur l’histoire de la rivière Don et son évolution depuis 1790 à nos jours.

Isoler l’eau du sol pollué

«La créativité dans le recours aux processus biologiques pour le projet est vraiment fascinante, qu’il s’agisse de l’utilisation des rayons du soleil, de l’air et du temps pour décontaminer les sols imbibés de pétrole ou de l’utilisation de troncs d’arbres pour ancrer les berges des cours d’eau», précise la professeure à l’Université York, qui a suivi de près la progression des travaux depuis cinq ans.

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Jennifer Bonnell.

Mais seuls les sols issus de l’excavation du nouveau bras de la rivière, et réutilisés pour surélever les berges des zones humides, ont été décontaminés. Une triple membrane recouvre le fond du lit de la nouvelle embouchure pour isoler l’eau du reste du sol pollué resté tel quel en dessous. La végétation sur les berges camoufle d’imposants murs de soutènement.

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Schéma de la nouvelle embouchure de la rivière Don et les édifices sur la nouvelle île au centre. Illustration: Waterfront Toronto

«Même si le site va produire de magnifiques parcs urbains et des habitats de zones humides pour la faune et la flore, sa construction est tout sauf naturelle», explique Jennifer Bonnell. «Le site cache des interventions hautement techniques pour protéger les futures zones résidentielles contre les inondations.»

Recréer la nature d’origine

Le projet a consisté à creuser un nouveau bras de la rivière dans l’alignement du cours d’eau en aval vers le Sud et qui s’arrondit et sinue ensuite vers l’Ouest, pour aller se vider dans le lac Ontario.

Cela servira de trop-plein pour le canal Keating, qui était la seule embouchure de la rivière depuis que le cours d’eau avait été détourné en 1915 à angle droit vers l’Ouest, en bétonnant les berges. La Ville voulait drainer le marais Ashbridge existant, qui était devenu très pollué par les égouts sanitaires de la ville et les industries, et qui pouvait devenir un foyer de choléra.

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L’embouchure naturelle d’origine de la rivière Don en 1815 et le marais Ashbridge (asséché et remblayé par la suite pour créer le port de Toronto). Photo: Archives de Toronto

En fin de compte, l’être humain et son «génie civil» a modifié la nature en asséchant une zone humide et en la remplaçant par un canal qui entraîne des inondations. Cent ans plus tard, l’être humain tente de recréer l’embouchure naturelle bordée de zones humides, mais bien moins étendue qu’à l’origine.

Nouveaux logements

«Il s’agit d’une version modifiée de la vision de 1989 de la Task Force to Bring Back the Don, qui préconisait la renaturalisation de l’embouchure de la rivière», résume Jennifer Bonnell. «Cette nouvelle approche prend en compte les besoins en logements et en communautés résidentielles dans une perspective plus large de durabilité. »

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Michael Hough.

L’idée de ce nouveau bras de rivière remonte en effet aux origines de la restauration écologique de la rivière Don, sous l’impulsion des habitants et qui avait mené à la création par la Ville en 1989 du groupe de travail pour le retour de la Don.

L’architecte-paysagiste torontois Michael Hough, un précurseur de l’écologie urbaine avant la lettre, avait déjà imaginé il y a 35 ans cette nouvelle embouchure naturelle. Il a également conçu l’infrastructure verte du parc Brick Works, avec ses trois étangs artificiels qui filtrent l’eau d’un affluent de la Don et les îles artificielles de la Place de l’Ontario.

Un Torontois visionnaire de l’écologie urbaine

Ken Greenberg, un urbaniste torontois, explique que «l’étude révolutionnaire de Michael Hough a jeté les bases du concours que notre équipe a remporté en 2006 avec Michael Van Valkenburgh Associés, concrétisant ainsi le rêve de Michael», décédé en 2013.

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Ken Greenberg.

«Michael était pionnier d’une manière de voir le monde radicalement différente de l’ingénierie qui prévalait à l’époque et qui consistait à dominer la nature», souligne Ken Greenberg. «Son plaidoyer et son engagement de longue date à “aménager avec la nature” ont ouvert la voie au passage à l’“urbanisme paysager” avec “l’infrastructure verte” comme fondements du design urbain.»

Les infrastructures vertes incluent souvent des solutions inspirées par la nature.

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Le lit du nouveau bras de la rivière Don recouvert de grosses pierres par-dessus la triple membrane et le mur Nord vers la rivière en amont (août 2023). Photo: Charles-Antoine Rouyer, l-express.ca

Villes éponges

Mais si ce type d’infrastructure verte est un pas dans la bonne direction, ce n’est pas suffisant, estime Évelyne de Leeuw, titulaire de la Chaire de recherche Une seule santé urbaine à l’Université de Montréal.

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Évelyne de Leeuw.

«Cet effort de renaturalisation témoigne d’une volonté de créer des environnements durables. Mais des interventions organiques seraient préférables aux interventions artificielles. Ce serait une bonne chose de permettre à la nature elle-même de décider ce qui est le mieux», explique la professeure en promotion de la santé publique et en sciences politiques.

«Nous pourrions aménager ce que certains appellent des villes éponges, qui retiennent l’eau et les micro-organismes et laisser la nature prendre le dessus. Bien sûr, je reconnais qu’une bonne compréhension écologique et une (bio)ingénierie intelligente peuvent être nécessaires. Mais il faudrait être moins anthropocentrique et plus écocentrique», conclut la chercheure qui pense déjà aux infrastructures vertes 2.0.

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La dernière étape du projet le 8 novembre 2024: détruire le mur Nord qui séparait la rivière Don de la nouvelle embouchure. Photo: Waterfront Toronto

La naturalisation de l’embouchure de la rivière Don a été gérée par Waterfront Toronto en collaboration avec l’Office de protection de la nature de Toronto et de la région, et financée par la Ville, la Province et le Fédéral.

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