Le polar comme enjeu de société

Michel Bélair, Noir sur blanc
Michel Bélair, Noir sur blanc, essai illustré par Christian Tiffet, Montréal, Éditions Somme toute, 2024, 112 pages, 27,95 $. Edgar Allan Poe est considéré comme l'inventeur des «histoires de crimes», le genre littéraire qu'on nommera «polar».
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Publié 09/10/2024 par Paul-François Sylvestre

Le polar est un genre littéraire riche, diversifié et multiple qui traque l’âme même du dérèglement du monde. Avec son essai Noir sur blanc, Michel Bélair vise à faire saisir l’ampleur et l’importance du genre dit «noir» à travers le portrait d’une vingtaine d’auteurs majeurs contemporains.

Histoires de crimes

Avant d’être anglais, puis français et, ensuite, universel, le polar a d’abord été américain. C’est Edgar Allan Poe qui a donné naissance au genre en 1841 lorsqu’il a publié The Murders in the Rue Morgue. Puisque le mot «polar» n’existe pas encore, on décrit cette nouvelle comme une histoire de crimes.

Quelques décennies plus tard, de grands noms se font connaître: Arthur Conan Doyle avec Sherlock Holmes, Agatha Christie avec Hercule Poirot, Maurice Leblanc avec Arsène Lupin, Georges Simenon avec Jules Maigret. On ne tarde pas à parler de «roman noir». Les Éditions Gallimard y consacrent même une collection dès la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Selon Michel Bélair, «tous les polars reposent sur un questionnement fondamental: une enquête. Tous les commissaires, enquêteurs et enquêtrices creusent, posent des questions, cherchent le coupable, oui, mais veulent surtout comprendre ce qui vient d’arriver.» On veut répondre à la question «qui?», bien entendu, mais aussi à «comment?» et «pourquoi?».

De Berlin à Venise

Le Britannique Philip Kerr (1956-2018) campe un ex-brillant commissaire à la criminelle, Bernie Gunther, qui a quitté la police de Berlin au moment où les nazis déclenchèrent une opération d’épuration et de noyautage de ce corps policier. Chaque enquête de Kerr est «l’occasion de traquer la déshumanisation systémique et de fouiller en détail les ruines laissées par les dérives hitlériennes dans la conscience collective».

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J’ai souvent recensé les polars de l’Américaine Donna Leon, née en 1942, où le sang coule rarement dans les enquêtes du commissaire Guido Brunetti de la questure de Venise. On a droit à «des polars moraux, dénonciateurs, presque métaphysiques». Y occupent une place de choix «la place des femmes dans la société, les privilèges des possédants, la corruption systématisée, la cupidité systémique et les trafics illégaux en tous genres».

Fred Vargas

La Française Fred Vargas, née Frédérique Audoin-Rouzeau en 1957, s’amuse à tisser dans ses polars une toile dont les fils refusent de se mêler. Il faudra aller voir ailleurs pour le réalisme.

«Pourtant, partout, le lecteur est séduit par sa précision chirurgicale dans la description des décors comme des êtres, par la finesse et la pertinence de ses observations, par la moindre de ses mises en contexte historiques.» Les héros de Vargas flottent entre le rêve et la réalité, ayant leur propre langage et s’ancrant dans leur propre monde.

Polars scandinaves

J’ai aussi recensé plusieurs polars du Suédois Henning Mankell (1948-2015), auteur d’une douzaine d’enquêtes de son héros Kurt Wallander, et vendues à près de 50 millions d’exemplaires. Il a également écrit quelques livres pour enfants et 25 pièces de théâtre.

Les personnages de ses polars se définissent «dans les motivations tapies derrière chaque petite habitude, chaque petit geste». Il nous les présente profondément humains, démunis, entêtés, déterminés, à la fois forts et faibles… comme nous le sommes tous.

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Chez nous

Je vous ai aussi fait connaître le Québécois Jean-Jacques Pelletier, né en 1947, auteur de polars «mondialistes». La dizaine de milliers de pages de son œuvre vise d’abord à «témoigner du monde et des dangers qui nous menacent».

Il explique trois choses qui reviennent dans tous ses livres: «le morcellement de notre perception du monde, ce qui rend difficile le fait de lui donner un sens; les comportements aberrants qui nous poussent vers l’autodestruction collective; le mélange de naïveté et d’aveuglement volontaire qui nous fait fermer les yeux sur nos comportements les plus délirants».

Retour aux États-Unis

Je termine en vous signalant le Britannique Roger Jon Ellory, né en 1965, qui passe pour un Américain car ses polars s’attaquent à des icônes de la culture des États-Unis. Il est fasciné par toutes les formes de démesure qui s’y affichent: services secrets, police, institutions politiques, omniprésence des armes à feu, mafia, violence.

«L’Amérique m’inspire. Beaucoup plus que l’Angleterre, où j’ai l’impression que tout est dit…»

Auteurs

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

  • l-express.ca

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