Tout sauf un institut bidon

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Publié 23/02/2011 par François Bergeron

Je mentionnais au début de l’année que les gens qui croient que l’industrialisation a déréglé le climat de la planète comparent parfois le scepticisme des commentateurs plus circonspects, nécessairement à la solde des pétrolières selon eux, aux doutes que l’industrie du tabac a déjà tenté de susciter sur la nocivité de son produit.

Or, alors que le doute s’est rapidement estompé dans le cas du tabac (même si trop de gens, parfaitement au courant des risques, continuent de fumer), le dossier des obsédés de la météo ne résiste pas à l’analyse, et le nombre de «sceptiques» ou de «négationnistes», par rapport à leur alarmisme, augmente au lieu de diminuer.

L’essai Merchants of Doubt, de Naomi Oreskes, prétend que de puissants groupes d’intérêts (pétrole, charbon, automobile, construction, etc.), menacés par les projets de règlementation ou de taxe sur les émissions de gaz à effets de serre, manipulent l’opinion publique en soudoyant des scientifiques et d’autres experts au sein d’instituts de recherche bidons, créés à la seule fin de semer le doute et miner le «consensus» sur la nature, l’ampleur et les causes des problèmes environnementaux.

Par ce discours, qui cherche à démoniser l’opposition pour ne pas avoir à réfuter ses arguments, les gourous réchauffistes affichent leur mépris pour la majorité de la population, qui serait si facilement influençable et ignorante de ses intérêts supérieurs.

Les grands médias participeraient à cette campagne de désinformation capitaliste, expliquent-ils encore, à cause de leur souci d’objectivité qui les incitent à présenter le «pour» et le «contre». Apparemment, ces grands savants préfèreraient un système soviétique où le journal officiel s’appelle «pravda» (vérité) et où tous les autres, nécessairement mensongers, sont interdits.

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Les écologistes ne sont pas tous des dictateurs frustrés prêts à sacrifier la liberté d’expression et d’association (pour ne rien dire de la liberté d’entreprise et de commerce) sur l’hôtel d’un paradis terrestre imaginaire. Mais il ne faut pas trop se surprendre que des gens qui se réclament d’une science du climat encore jeune, pour ne pas dire juvénile, soient aussi séduits par des idéologies politiques et économiques dangereuses.

Il faut établir une distinction entre l’environnement (la diversité de la faune et de la flore, la qualité de l’air et de l’eau) et le climat (les saisons, les intempéries, les variations sur des milliers d’années). L’activité humaine a un gros impact sur l’environnement, mais un impact négligeable sur le climat, ce qui fait qu’on peut très bien être environnementaliste sans s’inquiéter outre mesure du CO2 dans l’atmosphère.

Parmi les «think tanks» identifiés par Oreskes comme étant des inventions de l’industrie pour semer le doute sur la validité des travaux des chercheurs nobles et désintéressés, il y a l’un de mes préférés: le Cato Institute de Washington, créé en 1977 grâce aux millions de dollars des deux co-propriétaires libertariens de Koch Industries, qui ont effectivement de gros intérêts dans le pétrole.

Première dissonance: en 1977, on ne parlait pas de réchauffement climatique. Ça ne peut pas avoir motivé les frères Koch. Au contraire, en raison d’une baisse globale (minime) des températures observées depuis 1950, certains climatologues craignaient plutôt un refroidissement aux conséquences néfastes, entre autres pour l’agriculture. Les températures auraient remonté depuis (il s’agit, encore là, de fractions de degré, des variations parfaitement normales et naturelles), ce qui fait qu’on trippe plus souvent aujourd’hui sur le réchauffement.

Deuxième dérapage: si quelques collaborateurs de l’Institut Cato s’aventurent parfois à discuter de climat (entre autres depuis le «climategate», quand deux héros canadiens ont exposé en 2009 des courriels de climatologues de l’ONU révélant leur volonté de manipuler les données et de discréditer les dissidents), cela n’a jamais été son intérêt principal.

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La plupart des analystes de Cato dénoncent l’endettement périlleux du gouvernement, le gaspillage des fonds publics y compris les dépenses militaires inutiles, et toutes les lois nuisibles ou qui créent des problèmes plus graves que ceux qu’elles prétendent régler. Les projets d’échange de crédits de carbone, qui ont donné lieu à des fraudes massives en Europe et qui sont morts au feuilleton du dernier Congrès américain, font partie de ces idées barbares combattues par l’Institut Cato.

Troisième problème: un jury de 300 experts, rassemblés par le programme de relations internationales de l’Université de Pennsylvanie, a décerné l’an dernier à l’Institut Cato la cinquième position dans son palmarès mondial des meilleurs centres de réflexion, parmi quelque 4000 «think tanks», derrière la Brookings Institution, le Council on Foreign Relations, le Carnegie Endowment for International Peace et la RAND Corporation…

Aux États-Unis seulement, où l’on recense plus de 1800 de ces organismes, le Cato est en 7e position, mais il est 4e au monde sous la rubrique «think tanks offrant les propositions d’idées ou de politiques les plus innovatrices». Bref, on peut être d’accord ou non avec ses prescriptions, mais on ne peut pas dire que ce n’est pas sérieux.

Mentionnons enfin que si l’Institut Cato est «financé à 100% par l’industrie» (et aussi par des dons de particuliers), selon l’acte d’accusation, c’est que, comme plusieurs autres centres de recherches déterminés à préserver leur indépendance politique, il n’accepte pas de subventions des gouvernements. C’est tout à son honneur.

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D’autres articles de François Bergeron mentionnant les changements climatiques:

1 juillet 2016 – La plus grande fraude depuis le commerce des indulgences

21 mai 2016 – Climat économique et économie climatique

12 avril 2016 – Science frauduleuse: faut-il poursuivre Exxon… ou Al Gore?

1 mai 2015 – Changements climatiques: Wynne et Couillard font fausse route

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21 avril 2015 – Notre gouvernement placébo

10 février 2015 – Climat: agendas politiques et religieux

30 septembre 2014 – Climat: de la marde

8 septembre 2014 – Naomi Klein réchauffe la planète

3 octobre 2013 – Sommes-nous de trop sur cette planète?

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23 février 2011 – Tout sauf un institut bidon

11 janvier 2011 – Un ministre de l’Environnement climatosceptique?

25 février 2010 – Bravo Maxime Bernier

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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