Solécismes, anacoluthes et autres anantapodotons…

Fautes de syntaxes

solécisme
Les solécismes sont des fautes de syntaxe. Ils se subdivisent en anacoluthes, anantapodotons, zeugmes... Dekessé? Photo: iStock.com/romeocane1
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Publié 01/09/2024 par Michèle Villegas-Kerlinger

Le mot «solécisme» a de quoi nous induire en erreur, car il n’a rien à voir avec le sol ni le soleil. En fait, il vient de Soles, une ville en Asie Mineure dont les citoyens parlaient assez mal la langue grecque. De là vient le sens qu’on donne au terme aujourd’hui.

Le solécisme est une faute de syntaxe. La syntaxe est une branche de la linguistique qui étudie des phénomènes comme l’ordre des mots dans la phrase, les catégories et les fonctions grammaticales, etc.

Ces fautes apparaissent lorsqu’on emploie des termes ou des formes acceptés dans la langue, mais d’une manière grammaticalement incorrecte. En général, il s’agit du mauvais choix des prépositions, des conjonctions, des adverbes de négation, des pronoms ou des verbes.

Le solécisme peut affecter la qualité du message, mais, ce qui est encore plus grave, il peut nuire considérablement à sa compréhension.

Quelques exemples

Les solécismes sont très variés et assez fréquents comme en témoignent les exemples qui suivent. Les phrases corrigées sont entre parenthèses.

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  1. Bien qu’il est tard, je vais sortir. (Bien qu’il soit tard…)
  2. C’est vous qui sont redevables. (C’est vous qui êtes…)
  3. Il me fait plaisir de vous accueillir chez nous. (C’est avec plaisir que je vous accueille…)
  4. L’affaire qu’on veut vous en parler est grave. (L’affaire dont on veut vous parler…)
  5. Je ne me suis pas rappelé de cette entrevue. (Je ne me suis pas rappelé cette…)
  6. L’élève a échoué l’examen. (L’élève a échoué à l’examen.)
  7. Jean est ami avec Jacques. (Jean est l’ami de Jacques.)
  8. Après que nous soyons rentrés, nous avons mangé. (Après que nous sommes…)
  9. Touche-moi pas ! (Ne me touche pas !)_
  10. Si j’aurais su, j’aurais pas venu. (Si j’avais su, je ne serais pas venu.)

L’anacoluthe, un drôle de solécisme

Ce terme curieux vient du grec anacoluthon, qui veut dire «absence de suite dans les idées», ce qui explique sans doute son usage comme injure par le capitaine Haddock dans la série Tintin.

solécisme
Le capitaine Haddock possède un riche vocabulaire.

L’anacoluthe, tout comme le solécisme, est une rupture dans la syntaxe normale de la phrase, mais elle se trouve surtout dans les phrases longues ayant une proposition principale et une proposition subordonnée.

Le plus souvent, il s’agit d’une phrase commençant par un participe présent, un participe passé ou un infinitif et dont le sujet est différent de celui de la proposition principale alors qu’ils devraient être les mêmes.

Assez courante dans la langue parlée, elle peut prêter à confusion dans la langue écrite comme dans les exemples qui suivent. Quelques solutions sont proposées entre parenthèses.

  1. Julie, comme Pierre, ne sont pas heureux en mariage. (Julie, comme Pierre, n’est pas heureuse en mariage/Ni Julie ni Pierre ne sont heureux en mariage.)
  2. Conçue par notre équipe, nous vous présentons la campagne publicitaire. (Nous vous présentons la campagne publicitaire, (publicité) conçue par notre équipe.)
  3. Je crois que la margarine colorée, si on la légalisait au Québec, il n’y aurait pas d’impact sur l’industrie. (Je crois que la légalisation de la margarine colorée n’aurait pas d’impact sur l’industrie au Québec./Si on légalisait la margarine colorée au Québec, il n’y aurait pas d’impacts sur l’industrie/Je crois qu’il n’y aurait pas d’impact si la margarine colorée était légalisée au Québec./ Je crois qu’il n’y aurait pas d’impact si on légalisait la margarine colorée au Québec.)

Dans la première phrase, Julie est le sujet de la phrase et, par conséquent, le verbe qui lui correspond devrait être au singulier.

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Le participe passé «conçue», au féminin singulier, fait comprendre que son sujet est la campagne publicitaire, pas «nous» comme le laisse entendre la phrase fautive.

La troisième phrase commence par le sujet «je», mais continue avec le sujet «il». Si on enlève l’incise, la faute devient on ne peut plus évidente: Je crois que la margarine colorée il n’y aurait pas d’impact sur l’industrie au Québec. Enlever «il» et «y» ne corrigerait qu’à demi la phrase puisque ce n’est pas la margarine colorée, mais sa légalisation qui est le sujet de la proposition subordonnée.

Une solution possible pour éviter les anacoluthes serait de couper une longue phrase en plusieurs petites, ce qui aurait pour résultat de faciliter la compréhension du message. On pourrait aussi tourner la phrase autrement comme dans les exemples précédents.

En raison de la confusion qu’elle sème, l’anacoluthe peut donner lieu à des phrases assez intéressantes pour ne pas dire cocasses. En voici quelques exemples:

  1. Entrant dans le parc national de Banff, les montagnes étaient partout.
  2. En marchant vers l’accident, le bruit est devenu beaucoup plus fort.
  3. Le jouet ne favorise pas la créativité chez l’enfant. Déjà dessiné et assemblé, l’enfant n’a qu’à l’utiliser.
  4. Michael Rousseau est loin de faire ses preuves en français. N’ayant répondu qu’en anglais aux questions d’un comité parlementaire, des élus doutent de son engagement à corriger le tir.

On peut se demander quand et comment les montagnes sont entrées dans le parc national de Banff ou comment le bruit peut marcher. Est-ce qu’on dessine et assemble un enfant? Qui a répondu uniquement en anglais, M. Rousseau ou les élus?

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Par ailleurs, l’anacoluthe est assez fréquente en littérature, particulièrement en poésie, où il devient une figure de style à part entière. On n’a qu’à penser au poème de Baudelaire qui s’intitule L’Albatros: Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. C’est l’albatros qui est le sujet du verbe «exilé», pas «ses ailes».

Dans Le vieillard et les trois jeunes hommes de Jean de la Fontaine, on peut lire: Et pleurés (les trois jeunes hommes) du vieillard, il (le vieillard) grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter. Comme ce sont les trois jeunes hommes qui sont pleurés, ils devraient être, logiquement, le sujet de la deuxième proposition au lieu du vieillard.

L’anantapodoton n’est pas un dinosaure

Si l’anacoluthe est une sorte de solécisme, l’anantapodoton est une variante de l’anacoluthe.

Ce mot aux sonorités dinosauresques, également d’origine grecque, signifie «sans proposition correspondante» ou «phrase incomplète». Il s’agit d’une rupture de construction qui se fait en supprimant un élément normalement en tandem avec un autre comme dans les expressions «tantôt… tantôt», «primo, segundo…», etc.

En voici un exemple du poète Paul Valéry: Les uns, dirait-on, ne songent jamais à la réponse silencieuse de leur lecteur. Ils écrivent pour des êtres béants. Et les autres?

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Le zeugme

Le zeugme est un autre type de solécisme. C’est un autre mot d’origine grecque signifiant «joug, lien, attelage».

À l’égal de l’anacoluthe et de l’anantapodoton, il peut être fautif ou devenir une figure de style entre les mains d’un(e) bon(ne) écrivain(e).

Le zeugme fait dépendre d’un même mot deux termes incompatibles puisqu’ils se construisent de façon différente sur le plan syntaxique (grammaire) ou sémantique (signification des mots). Un exemple fautif du premier serait: J’entre et je sors de la maison. (J’entre dans la maison et j’en sors.)

Les deux verbes ne se conjuguent pas avec les mêmes prépositions, d’où l’importance de mentionner «la maison» dans la première proposition et de remplacer le mot par un pronom dans la deuxième pour accommoder le changement de préposition.

Voici un exemple d’un zeugme sémantique de l’écrivain Alfred de Musset: Ils savent compter l’heure et que la terre est ronde. La phrase surprend parce qu’on ne voit pas forcément le rapport entre les deux propositions.

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Pour conclure, voici quelques exemples littéraires de zeugme sémantique où il est surtout question d’associer des idées concrètes à des idées abstraites:

  1. Vêtu de probité candide et de lin blanc. (Victor Hugo)
  2. Les marchands de boisson et d’amour. (Guy de Maupassant)
  3. Contre ses persiennes closes, Mme Massot tricote, enfermée dans sa chambre et dans sa surdité. (Roger Martin du Gard)

Si certaines ruptures de syntaxe ont reçu leurs lettres de noblesse sous la plume de quelques grands écrivains, dans la plupart des cas, il s’agit de tournures qu’il vaut mieux éviter et ce, afin de garder toute la clarté du message qu’on veut communiquer.

Des jeux

Si vous voulez tester vos connaissances en la matière, on trouve des jeux sur les erreurs de syntaxe, les solécismes et les anacoluthes dans le site Nos langues du gouvernement du Canada.

Auteurs

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

  • l-express.ca

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