La cerise sur le sundae… et autres expressions idiomatiques révélatrices

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La cerise sur le sundae. Photo: iStock.com/Radu Bighian
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Publié 28/04/2024 par Michèle Villegas-Kerlinger

L’expression québécoise «la cerise sur le sundae», autrefois critiquée, traduit l’expression européenne «la cerise sur le gâteau», qui est elle-même un calque de la locution anglaise «the cherry on the cake». Bien que la locution européenne soit du registre familier, elle n’y est pas signalée, curieusement, comme un emprunt de l’anglais.

L’emprunt idiomatique, aussi appelé calque phraséologique, est le résultat de la traduction mot à mot d’une expression figurée appartenant à une autre langue.

Par exemple, on ne dirait pas en français, à l’instar des anglophones, qu’on a une grenouille dans la gorge («to have a frog in one’s throat»). Les francophones ont plutôt un chat dans la gorge et des grenouilles dans le ventre.

Est-ce qu’il pleut des chiens et des chats en français («it’s raining cats and dogs»)? Pas que je sache. En français, il pleut plutôt des cordes, des hallebardes, à verse ou à seaux et même à boire debout.

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Où sont les chats et les chiens? Photo: iStock.com/BrianAJackson

En revanche, les anglophones, à l’égal des francophones, semblent avoir des papillons dans le ventre quand leur système nerveux sympathique décide de leur jouer des tours.

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Cette façon de voir le monde est propre à chaque langue et montre la réalité telle que les locuteurs de ces langues la perçoivent. Les expressions idiomatiques sont particulièrement révélatrices de ces différents points de vue, d’où l’importance de les protéger des emprunts idiomatiques.

Si, en français, on fait quelque chose pour des prunes, pourquoi changer nos prunes contre des cacahuètes comme le font les anglophones («to do something for peanuts»)?

Un exercice

Pour mettre à l’épreuve nos connaissances des emprunts idiomatiques, voici un petit exercice où il faudra, dans un premier temps, identifier les douze emprunts idiomatiques, dont huit sont absolument à proscrire, et, dans un deuxième temps, les remplacer par une expression bien française. Les réponses et explications suivent. Bonne chance!

Dialogue entre deux jeunes, Marc et Jeanne, qui se connaissent et travaillent ensemble.

  • Marc, j’ai oublié de te dire que mes amies et moi voudrions faire un petit tour dans le parc demain après-midi après le boulot. Ensuite, nous pensons aller à une crémerie où on peut encore acheter un sundae pour une chanson. La météo annonce du soleil mur à mur. Il n’y a rien de coulé dans le béton, mais si on y va, veux-tu nous y accompagner?
  • C’est quoi le nom de la crémerie?
  • La crémerie Leblanc.
  • Ça sonne une cloche, mais ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Pour l’instant, je préfère mettre toute sortie sur la glace. Ces jours-ci j’ai plutôt de l’appétit pour une petite soirée bien tranquille à la maison.
  • Tu es encore dans l’eau chaude à cause de ta dernière folie, c’est ça?
  • Jeanne, on ne peut rien te cacher… Je ne suis pas encore sorti du bois et je dois tenir le fort et rester sage pendant que mes parents voyagent. Mais, plus que tout, je ne veux pas faire un fou de moi devant tes amies.
  • Comme dit l’autre, qui ne risque rien n’a rien. Mais, à la fin de la journée, c’est toi qui décides…

Explications

1 – Acheter pour une chanson est une traduction mot à mot de l’expression en anglais «to buy for a song», ce qui veut dire pour un prix très bas. Pourtant, de très belles expressions existent déjà en français comme à bon compte, à vil prix, pour (presque) rien, pour trois fois rien, pour une bouchée de pain.

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2 – Mur à mur exprime une idée de totalité ou d’uniformité et traduit littéralement l’expression anglaise «wall-to-wall». Encore une fois, les termes en français ne manquent pas : à cent pour cent, complètementde fond en comble, de toute partd’un bout à l’autre, mesures uniformes, solution uniquetotalement, etc.

3 – Couler dans le béton ou, plus rarement, dans le ciment est acceptable en français, mais est du registre familier. L’équivalent en anglais est « to set or cast in concrete ». Dans les deux langues, il s’agit de quelque chose de définitif ou d’irréversible. Les termes arrêté, décidé, définitif, figé, fixé, immuable, inattaquable, irrémédiable, irréversible, irrévocable et l’expression gravé ou inscrit dans le marbre sont d’un niveau neutre.

4 – Sonner une cloche est un calque de l’expression anglaise «to ring a bell» et signifie «évoquer, rappeler quelque chose». D’autres tournures plus heureuses seraient avoir déjà entendu, lu ou vu quelque part, dire, évoquer ou rappeler quelque chose et ainsi de suite.

5 – C’est ma tasse de thé et ce n’est pas ma tasse de thé sont acceptables en français mais, encore une fois, ce sont des expressions du registre familier. Ces tournures équivalent à l’anglais «it’s (not) my cup of tea» et font allusion à une personne qui (n’)aime (pas) quelque chose ou qui (n’)est (pas) habile dans un domaine. Toutefois, il y a une pléthore de termes en français qui existent pour exprimer la même chose: ça (ne) me conviendrait (pas), (ne) m’intéresse (pas) ou (ne) me plaise (pas), ce n’est habituellement pas mon genre, ce n’est pas mon truc (fam.), ce sont des activités qui me plaisent, j’ai une prédilection pour, j’excelle dans, je n’ai jamais été doué pour, je prends plaisir à, je suis ferré en, on n’aime pas ça (f.), très peu pour moi! (f.).

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Pourquoi ne serait-ce pas ma tasse de thé? Photo: iStock.com/WiroKlyngz

6 – Mettre sur la glace est une expression acceptable, mais critiquée par de nombreux ouvrages normatifs en français et signifie «mettre de côté, en attente» en parlant d’une démarche, d’un désir ou d’un projet. Son sens se rapproche de l’expression geler un projet qui veut dire «le bloquer ou le suspendre». L’expression en anglais est «to keep something on ice». Il existe déjà de belles expressions en français pour exprimer la même chose: laisser ou mettre de côtémettre en attente ou en veilleuse, remettre ou reporter à plus tard.

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7 – Avoir de l’appétit pour est une traduction mot à mot de l’anglais «there is no appetite for» et n’obéit pas à la syntaxe de la langue française, mettant un «pour» là où l’on s’attendrait à un «de». Le mot appétit est employé au sens de «envie, goût, penchant». Des expressions plus respectueuses de la syntaxe française seraient: avoir envie, la volonté, le goût ou soif de, avoir du goût, un intérêt ou un penchant pour, être enclin à ou attiré par.

8 – Être dans l’eau chaude, ou bouillante, une traduction littérale de «to be in, get into hot, boiling, scalding water», est une autre expression à éviter puisqu’il existe déjà une panoplie d’expressions équivalentes en français: être ou se (re)trouver dans l’embarrasdans une fâcheuse posture, dans une (mauvaise) impasse, dans une position gênante, dans une situation délicate, difficile ou embarrassante, sur la sellette, avoir ou s’attirer des ennuisêtre ou se (re)trouver sur le gril (f.), dans le pétrin ou dans un beau pétrin (f.)dans de mauvais, de sales, de vilains ou de beaux draps (f.).

9 – Ne pas être sorti du bois pour «not to be out of the wood(s)», expression longtemps critiquée est acceptable dans la langue familière. L’expression veut dire que 1) l’on se trouve dans une situation problématique qui dure et qui risque même de s’aggraver ou que 2) l’on a encore des difficultés à surmonter. L’expression ne pas être sorti de l’auberge, connue dans toute la francophonie, est aussi familière. Des solutions d’un registre neutre seraient: ne pas être au bout de ses peines, ne pas être sorti de l’ornière, ne pas être tiré d’affaire, ne pas voir la lumière au bout du tunnel.

10 – Tenir ou garder le fort signifie «être temporairement responsable de quelque chose» et calque l’expression anglaise «to hold (down) the fort». De meilleures solutions existent : assurer la continuité ou la permanence, continuer, garder ou tenir la boutique (en Europe), monter la gardepersévérer, persister, poursuivre, résisters’occuper de tout, tenir le coup.

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Certains forts sont moins faciles à tenir que d’autres. Photo: iStock.com/lilly3

11 – Faire un fou de soi, un autre calque à proscrire, traduit littéralement l’anglais «to make a fool of oneself». Pourquoi ne pas utiliser une expression française comme: faire rire de soi, se couvrir de ridicule, se rendre ridicule, se ridiculiser ou tomber dans le ridicule?

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12 – À la fin de la journée pour «at the end of the day» signifie «au bout du compte, en fin de compte, en somme, finalement», expressions bien françaises qui existent déjà et qui traduisent mieux le sens de cette locution.

Réponses

Vous l’aurez deviné: les quatre emprunts idiomatiques plus ou moins acceptables en français, du moins dans la langue familière, seraient les numéros 3, 5, 6 et 9.

Auteurs

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

  • l-express.ca

    l-express.ca est votre destination francophone pour profiter au maximum de Toronto.

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