Langue française: il y a emprunts et emprunts!

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Le faucon pèlerin du ministère québécois de la Langue française.
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Publié 01/05/2023 par Michèle Villegas-Kerlinger

Tout récemment, le ministère québécois de la Langue française a produit un message d’intérêt public qui paraît à la télévision et sur Internet. Peut-être que vous l’avez vu? Il montre un faucon pèlerin qui vole haut dans les airs avec une grâce admirable.

De prime abord, on croirait qu’il s’agit d’un documentaire sur l’oiseau de proie. En réalité, c’est un avertissement pour protéger, non pas le faucon, mais la langue française au Québec et ailleurs au Canada.

On y entend notamment: «Le faucon pèlerin. Cet oiseau de proie vraiment sick est reconnu pour être assez chill. Parce qu’il est super quick en vol, il peut passer la majorité de son temps à watcher son environnement. Et malgré que ses skills de chasse soient insane, l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch.»

Le langage des ados?

En lisant le texte du message, on pourrait croire que c’est un(e) adolescent(e) qui parle. Il est vrai que les jeunes peuvent adopter un parler qui leur est propre. D’après un article de Passeport Santé, «l’adolescent utilise ses mots volontairement obscurs pour les adultes pour se démarquer de ses «vieux».

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À ce désir de se démarquer s’en ajoutent parfois d’autres comme celui d’appartenir à un groupe ou de choquer les autres par sa façon de s’exprimer.

Il existe également le cas où même des adultes ponctuent leur discours d’un mot en anglais pour produire un certain effet. Les anglophones font la même chose en recourant de temps en temps à une expression en français comme dans les exemples suivants:

«What you said was not very à propos

«That person has a certain je ne sais quoi about them.»

L’effet diminue avec l’usage?

Pourtant, le fait de multiplier ces termes dans un discours, comme dans le cas du message mentionné plus haut, loin d’intensifier leur effet, le diminue.

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Donc, on pourrait se demander si le recours fréquent à des termes anglais par un francophone, peu importe son âge, n’est qu’un simple choix parfois critiquable.

Dans ce cas, la solution pourrait se présenter sous la forme d’une certaine conscientisation ou de l’apprentissage de quelques notions de base en rhétorique.

Mais qu’en est-il de la personne qui ne sait vraiment pas comment s’exprimer autrement? Un tel cas est bien plus grave, car il témoigne d’un manque important de vocabulaire qui limiterait les compétences de communication de la personne… Et, par voie de conséquence, sa capacité de s’exprimer en faisant connaître aux autres ses pensées, ses émotions, ses sentiments, ses besoins, ses désirs et ainsi de suite.

Tous les mots soulignés dans le message du gouvernement du Québec mentionné plus haut sont des emprunts, mais il y a emprunts et emprunts. L’Office de la langue québécoise en énumère six dont les définitions, des exemples et des équivalents français suivent.

Emprunts intégraux

L’emprunt intégral, parfois appelé aussi emprunt direct ou emprunt tout court par les traducteurs, résulte d’un transfert complet de la forme et du sens d’une unité lexicale d’une autre langue, avec ou sans adaptation.

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Exemple: «deadline». Les termes français conseillés, selon le contexte, sont: clôture des inscriptions, date butoir, date de clôture, date d’échéance, date d’expiration, date limite, délai, délai butoir, délai de rigueur, dernier délai, dernière limite, échéance, heure ou date de tombée (médias), heure limite, limite, terme.

Emprunts hybrides

L’emprunt hybride, une sorte de calque d’expression, est une forme mixte qui combine des éléments qui appartiennent à des langues différentes. Le sens du nouveau mot correspond à celui de la langue prêteuse (l’anglais dans le cas présent).

On peut faire un emprunt hybride en ajoutant un élément français à un mot anglais.

Exemple: «(se)focusser». Les termes français seraient: avoir pour thème, concerner surtout, être axé/centré sur, mettre l’accent sur, porter (son attention) sur, s’articuler autour de, se concentrer, (se) focaliser, s’orienter vers, se polariser sur.

L’adjectif «focussé» peut être remplacé avantageusement par «déterminé  pour les personnes et par «centré, ciblé, circonscrit, concentré» pour les choses.

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L’expression «être (ou rester) focus» peut être traduite par: ne pas dévier de, se focaliser sur, ne pas se laisser distraire de, rester concentré sur.

Emprunts morphologiques

L’emprunt morphologique, appelé aussi calque morphologique, est un calque d’expression qui consiste en la traduction littérale d’une forme étrangère.

Un nouveau terme est ainsi créé à l’aide de mots, ou de parties de mots comme des préfixes et des suffixes, de la langue qui emprunte (le français dans ce cas). Pourtant, l’agencement de ces éléments est celle de la langue qui prête.

Exemple: «bon matin». De nombreuses salutations existent déjà en français: bonjour, bon(ne) avant-midi, bon(ne) après-midi, bonne fin d’après-midi, bonsoir, bonne nuit.

Il y a aussi des souhaits: bonne journée et bonne soirée.

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Emprunts idiomatiques

L’emprunt idiomatique, aussi appelé calque phraséologique, est un autre genre de calque d’expression qui résulte de la traduction mot à mot d’une expression figurée appartenant à une autre langue.

Exemple: «mettre l’épaule à la roue». Le français ne manque pas de verbes ni d’expressions pour remplacer favorablement cet emprunt: aider, contribuer, donner un coup d’épaule/de main/de pouce, épauler, faire un effort, fournir son aide, mettre la main à la pâte, prêter main-forte, s’atteler à la tâche, se mettre à l’œuvre.

mettre la main à la pâte
En anglais, on met l’épaule à la roue. En français, on met la main à la pâte. Photo: iStock.com/Mizina

Emprunts syntaxiques

Appelé aussi calque de structure en traductologie, l’emprunt syntaxique consiste en la transposition, dans la langue qui emprunte, d’éléments d’une structure syntaxique étrangère. Un tel procédé peut donner lieu à une structure propre à l’anglais, mais avec des mots français.

Exemple: «prendre pour acquis». Termes recommandés: admettre au départ, considérer comme acquis/admis, présupposer, présumer, tenir pour acquis/admis/assuré.

Emprunts sémantiques

L’emprunt sémantique, aussi appelé calque sémantique, est une forme de traduction littérale qui consiste en l’attribution d’un sens nouveau à un mot déjà existante dans une langue emprunteuse, sous l’influence d’une autre langue.

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Exemple: «être anxieux de». Cette expression a deux sens en anglais, mais un seul en français. Le sens commun aux deux langues est: « qui éprouve de l’anxiété».

Au sens d’«avoir hâte», qui existe uniquement en anglais, quelques solutions en français seraient: avoir hâte de, être impatient de, être désireux de.

Quelques conseils

Comme le dit si bien Guy Bertrand, le premier conseiller linguistique de Radio-Canada, les emprunts font double emploi, et sont par conséquent inutiles, là où un ou des terme(s) français existe(nt) déjà.

Guy Bertrand
Guy Bertrand.

Dans le cas où un vide se fait sentir, lors du développement d’une nouvelle technologie ou d’un nouveau concept par exemple, on peut se tourner vers l’Office de la langue québécoise et d’autres autorités en la matière pour trouver un mot ou une expression mieux adaptés à la langue française.

À la limite, il est possible de pardonner à quelqu’un qui, tout en sachant les bons termes en français, recourt très occasionnellement à des emprunts pour produire un certain effet sur son auditoire.

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Toutefois, l’utilisation habituelle d’emprunts par un(e) francophone qui, faute de savoir les bons termes en français, est forcé(e) d’employer lesdits emprunts, est un vrai signal d’alarme. C’est l’appauvrissement linguistique non seulement de l’individu, mais encore de toute la société dont l’individu fait partie.

Pour aider toute personne qui cherche à améliorer son vocabulaire en français, voici quelques ressources des plus utiles:

Deux exercices

1. Regardez de nouveau le texte sur le faucon pèlerin qui se trouve au début de l’article. Essayez de trouver les bons termes en français pour remplacer tous les emprunts. Vous pouvez consulter ensuite les quelques suggestions qui suivent.

« Le faucon pèlerin. Cet oiseau de proie vraiment sick (extra, extraordinaire, prodigieux, phénoménal, formidable, admirable, étonnant, épatant) est reconnu pour être assez chill (avoir un tempérament plutôt calme comparé à d’autres oiseaux de proie). Parce qu’il est super quick (très rapide, d’une rapidité prodigieuse/saisissante/vertigineuse; bien que l’adverbe «super» soit accepté dans la langue française, il est assez familier) en vol, il peut passer la majorité de son temps à watcher (surveiller) son environnement.»

«Et malgré que (il ne s’agit pas ici d’un emprunt, mais d’un terme qui peut être remplacé par d’autres expressions mieux acceptées: bien que, encore que et quoique) ses skills (compétences) de chasse soient insane (vraiment remarquables, exceptionnelles, dignes d’admiration, hors pair), l’avenir du faucon pèlerin demeure sketch (incertain, précaire).»

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2. Écrivez de nouveau le petit paragraphe qui suit en remplaçant les emprunts soulignés par les bons termes en français. Vous pouvez revoir les suggestions de l’article au besoin.

«Bon matin, tout le monde. Je prends pour acquis que vous êtes tous focussés et anxieux de mettre l’épaule à la roue pour respecter notre deadline.»

Auteurs

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

  • l-express.ca

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