L’étau d’une relation père-fils

Thomas C. Spear, Les mascarades du Wisconsin
Thomas C. Spear, Les mascarades du Wisconsin, roman, Québec, Éditions Hamac, 2023, 304 pages, 32,95 $.
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Publié 20/12/2023 par Paul-François Sylvestre

Pour raconter la vie de son père, un fils doit remuer la boue au fond des rivières de sa mémoire. Le parcours père-fils que trace Thomas C. Spear dans Les mascarades du Wisconsin se loge à l’enseigne de la misogynie, du racisme, de l’antisémitisme et de l’homophobie.

Il s’agit d’une saga familiale remplie de non-dits et de mensonges imposés par la figure dominante paternelle. L’action se déroule dans la seconde moitié du XXe siècle, dans une ville «ouisconsinienne» on ne peut plus WASP (White Anglo-Saxon Protestant).

Archie Bunker

Le père est un quidam semblable à celui décrit par Arthur Miller dans Mort d’un commis voyageur. L’éducation des enfants n’est pas de son domaine. Il sait plutôt les engueuler, rappeler leurs fautes, les condamner à obéir.

Ce personnage m’a rappelé Archie Bunker de la célèbre série All in the Family. L’auteur mentionne, plus loin, l’émission Mickey Mouse Club et signale «la voix de ma préférée, Annette». Il faut avoir plus de soixante ans pour savoir qu’il s’agit d’Annette Funicello.

Bobby, le fils, brosse le portrait d’un père dont la langue ne chôme pas de propos racistes, d’insultes colorées, de provocations irrévérencieuses et de blagues corsées. Le paternel n’est pas intéressé à rencontrer des gens aux mœurs qui diffèrent des siennes, mais cela ne l’empêche pas de les dénigrer.

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Hors-la-loi anormaux

Le père ne veut rien savoir des libertés civiles et sexuelles. Il apprend à ses enfants que «les pédés sont des hors-la-loi anormaux. Il faut les punir, les exclure de la société fréquentable.» Le fils narrateur est homo dans le placard, étranger chez lui, «pas normal à tes yeux à toi, Papa».

Il aimerait bien rencontrer l’âme-sœur, celle qui serait une compagne pour la vie, la mère de ses enfants, «celle qui m’aiderait à freiner mes envies d’hommes». Or, l’éloignement du Wisconsin et les voyages confirment ses penchants d’homo. Il finit par être bien en couple, avec un mec.

Bobby fouille les archives et découvre la plus grosse mascarade: son père est juif. Ce dernier perd tout estime en ayant cherché à arracher ses racines, en s’étant débarrassé de racines trop encombrantes, en voulant les cacher à tout prix.

Il persiste et signe: il faut brûler les Juifs, tout comme les communistes, les gauchistes, les hippies et les homos.

Masculinités et identités

Les mascarades du Wisconsin est un roman où masculinités et identités s’entrechoquent dans des intrigues d’affiliations et de désaffiliations.

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Le père n’a jamais lu un livre, encore moins un livre d’un auteur étranger. Tout en l’incarnant on ne peut mieux, il ignore la fameuse phrase de Gide: «Familles, je vous hais!»

Spécialiste de l’autofiction, Thomas C. Spear est professeur de langue française et de littérature francophone à la City University of New York. Il signe un ouvrage retentissant sur une difficile relation père/fils et, partant, sur les conflits familiaux qui en découlent.

Auteurs

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

  • l-express.ca

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