Les nouvelles responsabilités du commissaire aux langues officielles

commissaire aux langues officielles
Le commissaire aux langues officielles du Canada, Raymond Théberge, attend patiemment les règles qui lui permettront d’appliquer la nouvelle Loi sur les langues officielles. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse
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Publié 15/05/2024 par Geneviève Tellier

L’utilisation du français ne cesse de décliner au pays, n’en déplaise à ceux qui voudraient croire le contraire. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à examiner les indicateurs sur les langues officielles que compile régulièrement Statistique Canada.

Ce déclin se trouve encore une fois confirmé par la publication d’un «tableau de bord» que vient de mettre en ligne l’agence statistique pour nous permettre de visualiser les tendances linguistiques sur plusieurs décennies.

Il ne s’agit pas de nouvelles données, mais plutôt d’un nouvel outil permettant d’examiner les tendances lourdes caractérisant l’usage des deux langues officielles à partir des données des recensements depuis 1951.

langues officielles, Statistique Canada
Le tableau de bord des statistiques linguistiques au pays. Source: Statistique Canada

Le français seule langue maternelle en baisse

Grâce à ce tableau, on voit clairement que la situation du français se fragilise. Par exemple, on constate que le pourcentage de personnes déclarant avoir le français comme seule langue maternelle est en diminution constante: il est passé de 24,1% en 1991 à 19,6% en 2021.

Cette baisse s’observe dans toutes les régions du pays, mais de manière inégale. Les endroits les plus touchés, déjà hautement vulnérables, sont la Saskatchewan et le Manitoba. Les pourcentages ont diminué de moitié ou presque, passant de 2,1% à 1,1% en Saskatchewan et de 4,6% à 2,8% au Manitoba.

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Au Québec, la baisse est moins marquée, mais néanmoins préoccupante: le pourcentage est passé de 81,6% à 74,8%.

Si bon nombre d’observateurs tentent de tirer la sonnette d’alarme depuis des années, bien peu de choses ont été faites par nos gouvernements pour renverser ce déclin. Oui, il y a bien eu des victoires linguistiques de temps à autre, grâce surtout à la vigilance des tribunaux, mais les avancées ont été nettement insuffisantes pour freiner la tendance.

Possible évolution récente

Le gouvernement fédéral a finalement réussi à faire adopter son projet de loi pour moderniser la Loi sur les langues officielles l’année dernière.

Le Commissariat aux langues officielles aura ainsi plus de pouvoirs, incluant la possibilité d’imposer des sanctions financières aux organismes pris en faute et d’émettre des ordonnances pour forcer une institution fédérale à se conformer aux décisions qu’il rendra.

Le principe de l’asymétrie des défis auxquels sont confrontées les communautés minoritaires francophones et anglophones est enfin reconnu.

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Le législateur a aussi décidé de cibler davantage la fonction publique fédérale en exigeant le bilinguisme non seulement pour les juges de la Cour suprême, mais aussi pour la haute fonction publique. Les gestionnaires devront pouvoir communiquer avec leur personnel dans les deux langues officielles.

Le gouvernement devra aussi s’engager activement à faire la promotion de l’égalité réelle des deux langues officielles dans la société canadienne.

Qui veillera à l’application de la nouvelle loi?

Cette fonction revient naturellement au Commissariat aux langues officielles. À la lecture de son dernier rapport annuel, déposé au Parlement la semaine dernière, on sent déjà qu’il a hâte de se mettre au travail. C’est déjà fait en partie, comme il le souligne lui-même, à plusieurs reprises, dans son rapport.

Toutefois, il devra attendre encore un certain temps avant de pouvoir pleinement exercer ses nouvelles responsabilités.

En effet, la mise en œuvre de plusieurs dispositions de la loi doit être précisée par voie de règlement et de décret que doit adopter le gouvernement. Par exemple, quels seront les critères utilisés pour déterminer les postes de gestionnaires bilingues?

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De quelle façon le gouvernement mesurera-t-il les progrès accomplis en matière d’égalité d’usage des deux langues et les efforts consentis par les institutions fédérales pour y parvenir?

Quelles entités pourront encourir des amendes en cas de non-respect de la loi et quelles seront les sanctions pécuniaires?

Randy Boissonnault,
Randy Boissonnault a succédé à Ginette Petitpas Taylor l’an dernier comme ministre des Langues officielles. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

La Loi et ses règlements

Ces règlements, le commissaire voudrait déjà les avoir. Il doit cependant patienter, car le gouvernement n’a pas encore indiqué quand ceux-ci seront prêts. Dans son rapport, le commissaire prévient que cela pourrait être encore long. Rappelons que la loi est adoptée depuis près d’un an maintenant.

En fait, ces règlements pourraient bien constituer la pièce maîtresse de la nouvelle loi. C’est qu’ils ont aussi bien la capacité de pouvoir renforcer les nouvelles dispositions de la loi que de les amoindrir.

Ils peuvent forcer le gouvernement à agir en présentant des directives claires, contraignantes et ambitieuses ou, à l’opposé, ils peuvent permettre au gouvernement de ne pas assumer pleinement ses responsabilités en établissant des règles vagues, facultatives et sans envergure.

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Deux approches possibles

Tous ceux qui ont à cœur la protection du français espèrent que le gouvernement présentera des règlements clairs, contraignants et ambitieux.

Par contre, ce gouvernement, et plusieurs autres avant lui, ont plutôt montré une propension à préférer une voie plus conciliante.

Il faut dire qu’en politique, les électeurs sont plus enclins à blâmer les gouvernements en cas d’échec qu’à les féliciter lorsqu’il y a des succès. Un plan peu ambitieux permet donc de diminuer les attentes des électeurs et ainsi les risques pour les gouvernements.

Le Commissariat aura donc la responsabilité de talonner le gouvernement pour que ce dernier adopte rapidement des règlements, mais aussi pour que ceux-ci donnent au Commissariat aux langues officielles de vrais pouvoirs d’intervention lui permettant de corriger les situations problématiques.

LLO, Loi sur les langues officielles
La Loi sur les langues officielles du Canada date de 1969. Elle a été actualisée à quelques reprises, tout comme ses règlements.

«Une cascade de responsabilités»

Le commissaire a déjà commencé à faire pression sur le gouvernement. Dans son rapport, il conclut, à propos de la modernisation de la Loi, que «le gouvernement doit déployer les moyens d’en faire une œuvre durable, en déclenchant une cascade de responsabilités».

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Le gouvernement écoutera-t-il? Nous en saurons certainement un peu plus dans son rapport de l’an prochain. Comme le dit le commissaire, l’année qui vient de se terminer a été une année de transition. Il ne faudrait pas que cela ait été en vain.

Auteurs

  • Geneviève Tellier

    Professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les politiques budgétaires des gouvernements canadiens. Elle commente régulièrement l’actualité politique et les enjeux liés à la francophonie dans les médias.

  • Francopresse

    Le média d’information numérique au service de la francophonie canadienne, qui travaille de concert avec les journaux membres de Réseau.Presse.

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