Langues officielles: les institutions fédérales doivent prévenir plutôt que guérir

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Plusieurs outils pourraient permettre de prévenir des manquements à la Loi sur les langues officielles dans certaines institutions fédérales. Photo: Marianne Dépelteau - Francopresse
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Publié 16/08/2024 par Marianne Dépelteau

En 2024, des rapports ont mis en lumière des institutions fédérales «récalcitrantes» au bilinguisme et des reculs dans le respect de leurs obligations envers les langues officielles. Ces conclusions ne sont pas nouvelles, mais selon des experts, elles pourraient être évitées à l’avenir.

Dans son rapport annuel, déposé en mai dernier, le Commissaire aux langues officielles (CLO), Raymond Théberge, dressait un portrait plutôt sombre du respect de la Loi sur les langues officielles (LLO) au sein des institutions fédérales.

«Cette problématique suggère que les institutions récalcitrantes n’acceptent pas la prémisse qu’elles doivent servir les membres des deux communautés linguistiques dans la langue officielle de leur choix», écrivait-il.

Quelques semaines plus tard, c’était au tour du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) d’annoncer de mauvaises nouvelles dans son propre rapport annuel sur les langues officielles 2022-2023. Non seulement des institutions fédérales peinent à respecter leurs obligations, mais elles sont parfois pires qu’avant.

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Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

Faire le travail en amont

Le rapport du SCT inquiète la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA), confirme sa présidente, Liane Roy, qui ne trouve rien d’amusant dans la répétition des conclusions sombres de rapports chaque année.

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Liane Roy. Photo: Chantallya Louis, Francopresse

La FCFA avait recommandé, avant la modernisation de la LLO, que le SCT joue un plus grand rôle dans la coordination de la Loi, rappelle Mme Roy. «On voulait justement qu’ils fassent du travail en amont. Quand ils sortent les plans, qu’ils soient dans des mesures beaucoup plus préventives.»

Il faudra attendre la règlementation de la Partie VII de la LLO, qui porte sur les institutions fédérales, pour voir si le SCT misera sur la prévention.

La présidente du SCT, Anita Anand, a annoncé il y a quelques semaines qu’elle déposera un projet de règlement au Parlement au début de l’année 2025, un délai critiqué par tous les partis d’opposition.

La Partie VII est censée renforcer le respect des obligations linguistiques des institutions fédérales. «Une fois que la règlementation sera mise en place, on devrait voir comment ça va fonctionner, en réalité», dit Liane Roy.

La culture organisationnelle

«C’est certain qu’il y a un enjeu de culture organisationnelle», remarque de son côté le chercheur postdoctoral à l’Université d’Ottawa et à l’Université du Québec en Outaouais, Julien Doris.

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Julien Doris. Photo: courtoisie

Cette culture, explique-t-il, est constituée des pratiques, des rites et des mises en œuvre, des interactions entre employés et, à la base de tout ça, des valeurs de l’organisation.

«Il y a parfois des discours un peu cyniques qui ont tendance à parler du français comme la traduction de l’anglais dans le régime fédéral de travail de la fonction publique […] et qui minimisent la place du français.»

Le CLO, le SCT, «la Commission de la fonction publique et Patrimoine canadien doivent constamment se pencher sur les meilleures pratiques pour promouvoir le français, certes, mais les langues officielles plus largement comme étant des valeurs de la culture organisationnelle de la fonction publique», poursuit-il.

Selon le chercheur, le bilinguisme devrait davantage être considéré comme un facteur de cette culture, «au même titre que la diversité, l’équité et l’inclusion».

Une question de leadership?

En mêlée de presse, il y a quelques semaines, Anita Anand a indiqué que les cadres supérieurs doivent faire preuve de plus de leadership à l’égard du bilinguisme.

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Mais comme le souligne Liane Roy, dans le rapport du SCT, les capacités linguistiques des gestionnaires ne sont pas en cause. La section consacrée aux cadres supérieurs contient d’ailleurs certains des meilleurs résultats.

Michael Wernick était Greffier du Conseil privé, le plus haut fonctionnaire du Canada, de 2016 à 2018. Avant ce mandat, il a occupé plusieurs postes de direction au sein de la fonction publique, notamment celui de sous-ministre adjoint à Patrimoine canadien en 1996.

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Anita Anand. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

Celui-ci n’est «pas du tout» d’accord avec Mme Anand : «C’est une excuse politique. Ces gestionnaires, ces cadres supérieurs, ont beaucoup de responsabilités, d’imputabilité […]. Elle doit accepter sa responsabilité politique. De blâmer les fonctionnaires, c’est décevant.»

Il affirme que le vrai pouvoir de changer les choses réside au Conseil du Trésor et chez sa ministre. «C’est le centre de gestion, c’est l’employeur pour les négociations avec les syndicats, les politiques de ressources humaines et c’est là où émanent toutes les politiques de gestion financière, de l’informatique, de l’équité d’emploi et de langues officielles.»

Selon Julien Doris, c’est une responsabilité partagée entre les fonctionnaires et les cadres. «La prévention se fait beaucoup dans la co-construction. Donc il faut que les employés soient parties prenantes à la solution. […] La prévention doit [aussi] passer par la sensibilisation dès l’entrée dans la fonction publique.»

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Financer le bilinguisme autrement

Quant à la question de la langue de travail, Michael Wernick prône la formation. Mais encore faut-il pouvoir la financer. «Plusieurs commissaires aux langues officielles ont clairement recommandé qu’il y a une façon de trouver les fonds nécessaires à la formation linguistique: d’abolir la prime au bilinguisme.»

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Michael Wernick. Photo: Université d’Ottawa

Cette prime, qui s’élève à 800 $ par année pour les fonctionnaires bilingues admissibles, ne fait pas l’unanimité.

«Il y a 80 millions $ à peu près chaque année qui sont alloués aux gens qui sont déjà bilingues. Ce n’est pas logique, défend Michael Wernick. Ce serait plus logique d’investir ces fonds dans la formation des non-bilingues. […] L’obstacle, ce sont les syndicats.»

Cette prime incitative peut, à court terme, pourvoir des postes bilingues, estime Julien Doris. «Mais est-ce que ça résout réellement la question de la transformation à long terme de la fonction publique dans l’amélioration des objectifs qui sont maintenant contenus dans la nouvelle LLO? On peut se poser la question.»

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Selon lui, d’autres solutions peuvent probablement être mises en œuvre parallèlement, notamment pour ce qui est du recours à la dotation non impérative, qui permet de pourvoir un poste par une personne qui ne satisfait pas aux exigences linguistiques au moment de sa nomination.

«[Quand cela arrive], explique le chercheur, il y a des obligations de formation assorties avec des évaluations très strictes pour assurer que si, au départ, le candidat n’est pas bilingue, il le devienne par la force des choses.»

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