La bouffe des femmes: d’Ève au guide Michelin

bouffe, Lauren Malka, Mangeuses
Lauren Malka, Mangeuses: histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès, essai, Paris, Éditions Les Pérégrines, collection Genre, 2023, 284 pages, 38,95 $.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 03/04/2024 par Paul-François Sylvestre

La journaliste française Lauren Malka a la passion de la bouffe et de la philosophie. Cela l’a conduite à mener une enquête très fouillée et à publier Mangeuses: histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès.

D’entrée de jeu, on y lit que l’acte de manger ne procure pas systématiquement de la joie pour tout le monde. Besoin primitif, l’alimentation peut affecter le corps en y imprimant les pressions sociales de chaque époque.

Honte

Si l’alimentation «se révèle une zone d’entraînement à la virilité pour les hommes, elle s’impose, pour de nombreuses femmes, comme un lieu d’enfermement, de culpabilité, de honte, d’asservissement, voire de maladie grave».

Malka cite la sociologue Anne Dupuy qui note tout de go un deux poids, deux mesures quand on parle de bouffe. Si un petit garçon aime les produits sucrés, il est plutôt perçu comme «un bon mangeur», mais si une petite fille adopte le même comportement, elle est davantage considérée comme «une gourmande».

Péché

Qui dit bouffe dit aussi gourmandise. Il y a des études qui affirment la tendance majoritaire des mères à laisser les garçons prendre davantage de temps que les filles lors des premières tétées.

Publicité

Et dès que l’on mentionne le mot gourmandise, on pense aux sept péchés capitaux; ce sont, en ordre de gravité décroissant, l’orgueil, l’avarice, la luxure, la colère, la gourmandise, l’envie et la paresse.

Jusqu’à Thomas d’Aquin, la plupart des écrivains, philosophes, médecins et théologiens s’accordaient à considérer la gourmandise d’Ève comme «le premier péché de l’humanité». Le récit originel renforce le lien entre les deux vices charnels que sont gula et luxuria, la gourmandise et la luxure.

Régimes

Le verdict des théologiens du XIIIe siècle est définitif: «les femmes seront gourmandes, incontrôlables, dangereuses». Si beaucoup plus tard Molière fait dire à Tartuffe: «couvrez ce sein que je ne saurais voir», aujourd’hui c’est «cachez ce ventre que l’on ne saurait voir».

Quand les femmes conquièrent de nouvelles positions dans le monde social et politique, le modèle culturel de la minceur prospères.

Or, les régimes amaigrissants, dans la grande majorité des cas, entraînent des comportements boulimiques ainsi qu’un effet yoyo, c’est-à-dire une reprise de poids plus importante que la perte initiale.

Publicité

Cuisine

À Paris, c’est en 1891 qu’une école professionnelle de cuisine et de sciences alimentaires voit le jour; elle est exclusivement réservée aux hommes. Il faudra attendre 1980 pour que les femmes y soient admises. «Manger est une affaire sérieuse, avec laquelle on ne plaisante pas!»

Dans le chapitre intitulé Gourmettes vs Gastron-hommes, on clame haut et fort que la gastronomie est un milieu de gros machos. Sur les 600 tables étoilées du guide Michelin en 2016, seulement 17 étaient tenues par des femmes, soit 2,8%.

Les hommes sont critiques gastronomiques alors que les femmes sont journalistes culinaires.

Romans

L’alimentation ou la gastronomie figure abondamment dans la littérature. Quand Henry Miller publie Under the Roofs of Paris, il campe un personnage qui semble incapable de parler de sexe féminin sans métaphore fruitière, ni de sécrétion vaginale sans analogie avec le miel.

Chez Émile Zola, l’oncle Bachelard n’accepte aucune femme aux repas luxueux qu’il offre à sa bande de gastronomes. «Les femmes ne savent pas manger, rappelle-t-il: elles font du tort aux truffes et gâtent la digestion.»

Publicité

Jusqu’au siècle dernier, on ressassait des arguments archaïques comme «à cause de leurs règles, le goût des femmes est fluctuant. C’est pour cette raison qu’elles ne peuvent pas être maîtres sushis.» Comme on le sait, la viande est considérée comme un aliment viril; on associe les hommes au barbecue.

France

L’ouvrage de Lauren Malka est extrêmement fouillé (bibliographie de 14 pages). À préciser que les enquêtes qu’elle mène, les références qu’elle cite et les exemples qu’elle donne sont largement liés à la France.

Auteurs

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

  • l-express.ca

    l-express.ca est votre destination francophone pour profiter au maximum de Toronto.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur