Étienne Brûlé n’est pas arrivé au Canada avant 1610

Des documents du 17e siècle éclairants découverts à Champigny-sur-Marne

Étienne Brûlé, SHT, Champigny-sur-Marne
Dans le théâtre Spadina de l'AFT, des membres de la Société d'Histoire de Toronto ont reçu un rapport bousculant les idées reçues sur le coureur des bois Étienne Brûlé, de la part de membres de la Société d'Histoire de Champigny-sur-Marne, en France. Photos: François Bergeron
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Publié 15/06/2023 par François Bergeron

Plusieurs manuels d’histoire devront être revisés: Étienne Brûlé, le jeune guide et interprète de Samuel de Champlain auprès des Algonquins et des Hurons, n’est pas arrivé au Canada avant 1610. Cela signifie que, contrairement à ce qu’on affirme depuis longtemps, il n’était pas aux côtés du gouverneur de la Nouvelle-France lors de la fondation de Québec en 1608.

C’est ce que démontrent des documents d’archives de son village natal, Champigny-sur-Marne, à l’Est de Paris, récemment trouvés par la Société d’histoire locale (SHC) qui entretient des liens étroits avec la Société d’histoire de Toronto (SHT). Ces recherches sont facilitées par la numérisation des archives en France, a-t-on expliqué.

La représentation traditionnelle – pas fausse, mais incomplète – de Samuel de Champlain et son guide Étienne Brûlé arrivant chez les Hurons-Wendats de la Baie Georgienne en 1615.

Conférence transatlantique

Ce mercredi 14 juin, les deux groupes tenaient une visioconférence conjointe pour dévoiler plusieurs précisions inédites sur la vie d’Étienne Brûlé, coureur des bois légendaire vénéré chez nous comme le premier Européen à explorer le territoire devenu l’Ontario.

Une douzaine de personnes étaient rassemblées autour de la documentariste Daniele Caloz et des historiens Éric Brossard et Amandine Lazarini dans une salle de l’Hôtel de Ville de Champigny-sur-Marne.

Ils échangeaient avec autant de membres de la SHT dans le théâtre de l’Alliance française de Toronto. L’activité était animée par Christian Bode et Rolande Smith de la SHT, avec le professeur Patrice Dutil de la Toronto Metropolitan University (anciennement Ryerson).

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Pas simplement un aventurier

L’historienne franco-ontarienne Stéphanie St-Pierre, de l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, chargée de réviser la biographie d’Étienne Brûlé dans le Dictionnaire biographique du Canada, participait à distance à la rencontre. Elle s’est réjouie que son travail ait été retardé ces deux dernières années: elle pourra maintenant inclure les toutes dernières informations sur Étienne Brûlé.

On savait déjà qu’Étienne Brûlé n’était pas un simple «jeune aventurier» – un «va-nu-pieds» selon le mot de Christian Bode – parti tenter sa chance en Nouvelle-France. On savait qu’il était devenu un riche marchand, impliqué notamment dans le commerce de la fourrure.

On précise maintenant que sa famille possédait un vignoble à Champigny, et qu’il était marié à Alizon Coiffier. On dit qu’elle était son aînée de quelques années, mais on commence maintenant à douter qu’Étienne Brûlé ait pu partir au Canada dès l’âge de 16 ans. Étienne et Alizon avaient donc peut-être le même âge en 1610: le tournant de la vingtaine.

Étienne Brûlé, SHT, Champigny-sur-Marne
Un document mentionnant qu’Étienne Brûlé était vigneron à Champigny-sur-Marne.

Étienne Brûlé voulait s’enrichir

On ignore dans quelles circonstances Étienne Brûlé a été recruté (par Champlain?) ou a décidé lui-même de s’embarquer pour la Canada, mais on présume maintenant que c’était dans le but de s’enrichir, pas pour vivre dans les bois comme les «sauvages».

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Dans un de ses écrits, Champlain remarque même que son guide était devenu aussi riche que lui. On sait aussi qu’Étienne Brûlé a fait plusieurs voyages transatlantiques, et qu’il a possédé un logement au centre-ville de Paris – ce qui n’était pas à la portée de n’importe qui.

Lui qui est mort assassiné par les Hurons vers 1632 prévoyait sans doute revenir en France y passer ses vieux jours avec sa femme dans le confort. Alizon Coiffier, «à la tête d’une belle fortune», s’est remariée.

Étienne Brûlé, SHT, Champigny-sur-Marne
À l’écran: la documentariste Danièle Caloz, flanquée du maire Laurent Jeanne de Champigny-sur-Marne et des historiens français Éric Brossard et Amandine Lazarini. Sur la scène de l’AFT pour la SHT: Christian Bode, Patrice Dutil, Rolande Smith.

Le mythe tiendra

Selon l’historien français Gilles Havard, qui est intervenu lui aussi à distance dans la rencontre transatlantique Toronto-Champigny, le portrait qu’on a maintenant d’Étienne Brûlé est celui d’un homme «ancré dans sa terre natale», mais «tiraillé par les nouvelles tensions entre le local et le global».

À la lumière des dernières informations trouvées à Champigny, Gilles Havard pense qu’il aura besoin d’effectuer une mise-à-jour de son ouvrage L’Amérique fantôme.

Stéphanie St-Pierre, de son côté, commente qu’«il s’agit d’informations fort pertinentes et intrigantes qui nous éclairent sur le statut d’Étienne Brûlé avant son départ vers la Nouvelle-France, ses habiletés à naviguer le monde des affaires, et son attachement à la région de Champigny et son réseau de sociabilité».

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Toutefois, ajoute-t-elle, «les retombés de ces révélations risquent d’avoir peu d’incidence sur la représentation du mythe».

Résistance franco-ontarienne
La statue du coureur des bois Étienne Brûlé dans le hall d’entrée de l’école secondaire torontoise qui porte son nom.

Pas aux côtés de Champlain à Québec

La plus importante «révélation», apportée par la découverte de contrats de vente de parcelles de terre lui appartenant, est qu’il était encore en France jusqu’au printemps 1610, soit deux ans après la fondation de Québec par Champlain.

Étienne Brûlé ne pouvait donc pas être le «jeune homme» mentionné par Champlain comme son compagnon de voyage en 1608.

«Il descend d’une marche sur le podium», image encore Christian Bode. Mais, vu d’ici, il monte en grade dans la société française de l’époque: il venait d’une famille plus aisée qu’on le croyait, et il s’est fort bien débrouillé en affaires.

Dans certains des documents découverts par les historiens de Champigny (au bas desquels la signature d’Étienne Brûlé est hésitante, car il ne savait probablement pas écrire), il est décrit comme «vigneron».

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Étienne Brûlé, SHT, Champigny-sur-Marne
La signature d’Étienne Brûlé au bas d’un document retrouvé aux Archives nationales françaises.

Descendance métisse

Dans d’autres documents rédigés plus tard, il est décrit comme «marchand» et «truchement du roi» (interprète et intermédiaire), une situation apparemment plus prestigieuse que celle de simple coureur des bois sachant parler les langues des Autochtones – ce qu’il a aussi été.

En effet, Étienne Brûlé a bel et bien exploré la vallée du St-Laurent et le bassin des Grands Lacs, vivant chaque année pendant plusieurs mois chez les nations autochtones.

Sa descendance métisse – malheureusement inconnue – est sans doute nombreuse, ce qui a d’ailleurs eu l’heur de déplaire au gouverneur Samuel de Champlain et aux missionnaires catholiques qui le qualifiaient de «libertin».

Champlain
L’acteur québécois Maxime Leflaguais a interprété Samuel de Champlain dans la série de TFO Le rêve de Champlain, d’après l’essai de David Hackett Fisher.

Engouement à Champigny-sur-Marne

Étienne Brûlé, héros historique chez nous, est encore largement inconnu en France (Champlain aussi)… sauf depuis quelques années à Champigny-sur-Marne, aujourd’hui pratiquement une «banlieue» parisienne multiculturelle.

Des historiens canadiens et des membres de la Société d’histoire de Toronto ont piqué la curiosité des autorités locales et d’historiens français en s’enquérant des origines d’Étienne Brûlé à Champigny.

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En 2014, des jeunes du collège Paul Vaillant Couturier ont créé un opéra-rock sur le coureur des bois à la vie trépidante et au destin tragique. Grâce à la SHT, ces ados étaient venus présenter leur spectacle à l’Alliance française de Toronto et dans plusieurs écoles de la région en 2017.

Étienne Brûlé
Le procès d’Étienne Brûlé chez les Hurons, dans la production des élèves de Champigny-sur-Marne sur la scène de l’Alliance française de Toronto le 29 avril 2017. Photo: archives l-express.ca

Ils avaient été inspirés par le documentaire À la recherche d’Étienne Brûlé, de Médiatique (la compagnie de Danièle Caloz), et par la présentation de romans jeunesse des Franco-Ontariens Denis Sauvé et Jean-Claude Larocque racontant la vie d’Étienne Brûlé.

Les autorités de Champigny-sur-Marne prépare pour 2025 un premier Festival Étienne Brûlé.

Auteurs

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

  • l-express.ca

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