Élections fédérales lundi: quelques commentaires en vrac

La campagne en vue des élections fédérales de ce lundi 28 avril tire à sa fin. Voici, en vrac, quelques commentaires sur des événements ou des thèmes qui ont attiré mon attention.

Cadres financiers, mon oeil!

Après avoir égrené leurs promesses au fil de leurs rencontres avec les électeurs pendant un mois, les chefs de nos principaux partis politiques ont finalement dévoilé cette semaine leur «programme» plus ou moins complet, assorti de leur «cadre financier», réclamés solennellement par plusieurs commentateurs depuis le début.

Cette obsession pour ces «cadres financiers» est absurde. Au pouvoir, on ne peut même pas se fier à leurs budgets, pourtant élaborés par une armée d’économistes!

Nos gouvernements fédéral et provinciaux sous-estiment régulièrement les dépenses, se trompent sur les perspectives économiques, et anticipent mal les effets de leurs interventions.

Le pire est à venir: à cause du chaos trumpiste, on ne peut plus rien prédire. L’improvisation est devenue le modus operandi du monde entier.

La décennie «perdue»

Je lisais ceci, il y a quelques jours, dans le National Post, sur la fameuse décennie «perdue» sous les Libéraux de Justin Trudeau (ma traduction):

• L’armée canadienne de 2025 perdrait une guerre contre l’armée canadienne de 2015.

• En 2015, on affichait un taux de 28 crimes impliquant des armes à feu par 100 000 habitants, contre 36 en 2022.

• Prisons fédérales: 53 prisonniers par 100 000 habitants en 2015, vs 40 en 2025. Prisons provinciales: 85 vs 71.

• 16 000 demandes de réfugiés en attente de traitement en 2015 vs 272 000 en 2025. L’immigration totale: moyenne de 580 000 immigrants reçus par année depuis 2015 vs moins de 300 000 avant.

• Taux de natalité en baisse: 1,6 enfant par femme il y a dix ans vs 1,2 aujourd’hui. Espérance de vie en baisse: 81,9 ans vs 81,5.

• Temps d’attente moyen pour une chirurgie en 2015: 18 semaines. Aujourd’hui: 30 semaines.

• Dette du gouvernement en 2015: 800 milliards $ (en dollars de 2025). Aujourd’hui: 1400 milliards $.

• 257 000 fonctionnaires fédéraux en 2015, vs 367 000 en 2025.

Je ne mentionne pas les comparaisons sur le prix des maisons ou l’inflation en général, ni sur la croissance du PIB par rapport aux autres pays, parce que trop de facteurs sont en cause et sont discutables.

Mais c’est clair que les Conservateurs n’ont pas tort d’affirmer que le bilan de la décennie libérale est inférieur aux attentes des Canadiens et au potentiel du pays. Nous en sortons affaiblis… au pire moment.

Styles et programmes

Lu dans le Globe and Mail, sous la plume d’Andrew Coyne (ma traduction):

«La question principale dans l’esprit des électeurs: Mark Carney ressemble-t-il davantage à Justin Trudeau que Pierre Poilievre à Donald Trump?»

«Le programme de Poilievre est très différent de celui de Trump… mais pas sa personnalité. Alors que la personnalité de Carney est très différente de celle de Trudeau… mais pas son programme.»

Andrew Coyne conclut que les Canadiens recherchent un premier ministre à la personnalité de Carney et au programme de Poilievre. Si on se fie aux sondages, c’est la personnalité qui va gagner. Cela confirmerait que la plupart des électeurs sont davantage émotifs et superficiels que rationnels et réfléchis.

Forums mondiaux

Mark Carney est parfois accosté par des militants contre le World Economic Forum, qu’il connaît intimement. Pierre Poilievre a déjà dit qu’il interdirait à ses ministres d’y participer. Ça revient hanter le chef conservateur aujourd’hui, parce que la détestation de cette organisation est imbécile.

On entendait ça autrefois des complotistes contre la mondialisation capitaliste («une cabale des super riches!»). Aujourd’hui, ça vient surtout des complotistes contre la mondialisation éco-socialiste-woke («crypto-totalitaire!»).

En réalité, les discussions au Forum portent sur tous les enjeux, avec des invités de toutes les tendances: de Greta Thunberg à Javier Milei. Donald Trump s’est adressé au Forum en janvier.

Rien de sinistre là-dedans, encore moins de secret: les gens discutent ouvertement, en public. D’autres organisations mondiales ou nationales s’en inspirent, comme la formidable Alliance for Responsible Citizenship de Jordan Peterson et ses amis.

C’est toujours mieux de se parler que de rester chacun dans son coin, et la libre-expression reste le meilleur antidote contre la désinformation.

Médias activistes

Aux deux débats télévisés des chefs, les 16 et 17 avril, les animateurs Patrice Roy et Steve Paikin ont fait du beau travail. Les réponses de Mark Carney, Pierre Poilievre, Jagmeet Singh et Yves-François Blanchet ont parfois été éclairantes. Leurs discussions ont été courtoises. L’organisation, elle, a été un fiasco.

Le matin même du premier débat, en français, la Commission a disqualifié le co-chef du Parti vert, pour des raisons valables (trop bas dans les sondages, trop peu de candidats), mais qui étaient connues depuis plusieurs jours. On a aussi avancé l’heure du débat en raison de la concurrence d’un match de hockey important pour le Canadien de Montréal (insolite, mais pourquoi pas?).

C’est après le débat, dans les points de presse individuels des chefs, que ça s’est gâté. La Commission avait autorisé la présence d’un contingent de correspondants de trois petits médias activistes de droite, le plus connu étant Rebel News, qui ont pu poser plusieurs questions aux chefs, au grand dam des «vrais» journalistes des «vrais» médias traditionnels «impartiaux»… Guillemets nécessaires ici!

Comme à son habitude, Jagmeet Singh a refusé de répondre à la question d’une représentante de Rebel News parce que ce média colporterait de la «désinformation»… Guillemets encore nécessaires ici! Placé dans la même situation, Mark Carney a répondu une banalité avec un sourire en coin. Pierre Poilievre a répondu à toutes les questions… comme il se doit.

Afin d’éviter la bousculade de la veille, la Commission a tout simplement annulé les points de presse qui devaient suivre le débat en anglais. Au lieu de mieux contrôler et équilibrer le nombre de questions par média.

La bureaucratie en expansion est comme une supernova qui finit par brûler ses planètes. C’est ce qui arrivera à notre Soleil et notre Terre dans environ cinq milliards d’années. D’ici là, il faut espérer que l’humanité aura colonisé d’autres mondes dans notre galaxie.

La Commission des débats des chefs, créée en 2018 parce que les Libéraux pensent que rien ne devrait exister hors de l’orbite de la bureaucratie, a fait son temps. Les débats des chefs relèvent de l’écosystème médiatique… et l’écosystème médiatique devrait être indépendant des pouvoirs publics qu’il est censé surveiller.

Quoi qu’il en soit, le format débat à deux, trois ou quatre adversaires politiques est périmé selon moi. Je préfère les longues entrevues accordées séparément par les chefs à quelques grands médias ou même à des blogueurs chevronnés.

Bilinguisme et immigration

Pierre Poilievre a mentionné à quelques reprises la nécessité de reprendre le contrôle de l’immigration et la «plafonner» ou la «réduire».

Or, tant qu’à plafonner l’immigration, on devrait en profiter pour rehausser le bilinguisme au pays en acceptant surtout des immigrants francophones, voire en conditionnant l’obtention de la citoyenneté canadienne à une bonne connaissance de la langue et de la culture canadiennes-françaises.

Après tout, c’est sa francophonie qui distingue le Canada des États-Unis sur le continent, pas la monarchie, ni des attributs qui peuvent évoluer comme le système de santé ou le contrôle des armes à feu.

Sans un bilinguisme officiel correspondant à un vrai bilinguisme de ses citoyens, le Canada est un pays «post-national» (Justin Trudeau) ou «artificiel» (Yves-François Blanchet)… et le 51e État américain n’est plus si difficile à imaginer.