Droits scolaires des minorités: l’égalité «réelle» s’impose

Les deux groupes linguistiques officiels du Canada: partenaires égaux dans le domaine de l’éducation

Richard Wagner (Crédit : Collection de la CSC)
Le juge en chef du Canada, Richard Wagner, a écrit la récente décision de la Cour suprême sur les écoles de langue française de la Colombie Britannique. Photo: Cour suprême du Canada
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Publié 17/06/2020 par Gérard Lévesque

«Plusieurs droits accordés aux minorités au Canada ont été chèrement acquis au fil des ans, et il revient aux tribunaux de leur donner plein effet, de façon claire et transparente.»

C’est le message que la Cour suprême du Canada envoie aux provinces récalcitrantes dans l’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, rendu public le 12 juin dernier.

Les appelants sont le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique («CSF»), la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique, ainsi que trois parents titulaires de droits au sens de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique: Roger Lagassé, Marie-Pierre Lavoie, Patrick Gatien, Robert Filion, Marie-Christine Claveau, Annette Azar-Diehl, Annie Bédard.

Deux catégories de violations

En juin 2010, les appelants déposent une demande introductive d’instance auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, soutenant que plusieurs aspects du financement du système d’éducation pénalisent la minorité linguistique officielle et violent les droits qui lui sont reconnus par l’art. 23. Les violations reprochées sont nombreuses et peuvent être divisées en deux catégories.

La première catégorie regroupe les demandes de nature systémique. il s’agit notamment du non-accès à une subvention annuelle pour l’entretien des édifices, de la formule utilisée pour prioriser les projets d’immobilisation, du manque de financement du transport scolaire et du manque d’accès à des espaces pour des activités culturelles.

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La deuxième catégorie se compose de demandes en vue d’obtenir de nouvelles écoles ou des améliorations à des écoles existantes dans 17 communautés.

Première instance

Les appelants ont partiellement gain de cause en première instance. Ils portent en appel des conclusions sur neuf projets de création d’écoles ou d’amélioration d’écoles existantes qui ont été refusés par la juge de première instance, Loryl Russell, sous le prétexte que le nombre d’élèves ne justifie pas leur réalisation.

Les appelants plaident que la juge a commis plusieurs erreurs de droit dans son analyse en vue d’identifier les violations alléguées, dans son examen de la justification des violations au regard de l’article premier de la Charte et dans l’octroi des réparations demandées.

De son côté, la Province reproche à la juge de première instance de l’avoir erronément condamnée à verser des dommages-intérêts en vertu de la Charte, au motif qu’elle n’aurait pas financé adéquatement les frais de transport.

Le Conseil d'administration de la Fédération des parents francophones de Colombie‑Britannique (FPFCB). De gauche à droite. à l’avant : Suzana Straus (présidente), Christine Leroux et Karine LeBlanc-Sault. À l’arrière : Marc Paris, Marie-Hélène Hinse, Lucie Vallières et Christian Leclerc.
Le Conseil d’administration de la Fédération des parents francophones de Colombie‑Britannique (FPFCB). De gauche à droite, à l’avant : Suzana Straus (présidente), Christine Leroux et Karine LeBlanc-Sault. À l’arrière : Marc Paris, Marie-Hélène Hinse, Lucie Vallières et Christian Leclerc.

«Pragmatisme»

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique rejette l’appel et conclut que la Charte n’oblige pas la Province à octroyer des fonds publics pour financer les écoles qui sont réclamées. Elle s’appuie sur la nécessité de faire preuve de pragmatisme lorsque les tribunaux interprètent les obligations imposées par l’article 23 aux gouvernements.

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Estimant que la juge n’a pas reconnu l’immunité dont bénéficie l’État contre les condamnations au paiement de dommages-intérêts, la Cour d’appel annule l’octroi de dommages-intérêts pour le financement inadéquat du transport scolaire.

Écrite par le juge en chef Richard Wagner, avec l’accord des juges Rosalie Abella, Suzanne Côté, Nicholas Kasirer, Andromache Karakatsanis, Sheilah Martin et Michael Moldaver, la décision majoritaire de la Cour suprême du Canada accepte l’argumentation des avocats des appelants et de ceux des intervenants qui les appuient.

Pour une démarche simple et prévisible

Le juge en chef estime que «le temps est venu d’énoncer une démarche simple et prévisible, qui pourrait même permettre d’éviter, dans la mesure du possible, le recours aux tribunaux»: déterminer le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service envisagé, puis utiliser une méthode comparative pour décider si l’école ou le programme proposé par la minorité est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts pour le nombre d’élèves concernés.

À cet égard, il indique que l’existence d’écoles de la majorité présentant une taille similaire constitue le meilleur indicateur, et surtout le critère le plus simple à utiliser, pour déterminer si un nombre donné d’élèves permet d’atteindre les objectifs du programme d’études.

«En effet, pour démontrer qu’une école peut répondre aux normes pédagogiques, il est difficile de trouver un argument plus convaincant que l’existence ou le maintien d’écoles de la majorité de taille similaire.»

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Niveau approprié de services

La troisième étape consiste à déterminer le niveau approprié de services. L’application de ces principes donne un résultat fort positif pour les Franco-Colombiens qui, depuis plus de dix ans, réclamaient leurs pleins droits scolaires.

Ailleurs au pays, le jugement va grandement faciliter les négociations entre les conseils scolaires de la minorité et les fonctionnaires des ministères de l’Éducation, car, en cas de désaccord, on connaît les critères que les tribunaux provinciaux et territoriaux doivent maintenant appliquer.

Et on sait davantage que cette démarche vise à reconnaître le caractère réparateur de l’article 23 «de manière à faire des deux groupes linguistiques officiels du Canada des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation.»

Marie-Pierre Lavoie, présidente du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, et Suzana Straus, présidente de la Fédération des parents francophones de la Colombie-Britannique, ce 12 juin 2020. Photo: CSFCB

L’histoire en Ontario

Au début du jugement majoritaire, un bref survol rappelle un épisode bien connu de l’histoire franco-ontarienne. On peut y lire entre autres: «En Ontario, des parents et un conseil scolaire de langue française contestent la validité constitutionnelle du Règlement 17 qui interdit l’enseignement en langue française après les deux premières années du primaire.»

Il aurait été préférable d’écrire «un conseil scolaire catholique dont les conseillers élus sont en majorité de langue française».

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Avant 1968, les écoles de langue française en Ontario n’avaient jamais fait l’objet d’une garantie statutaire particulière. Et, une personne élue à un poste de conseiller scolaire représentait les contribuables des écoles séparées catholiques ou des écoles publiques, pas les électeurs francophones ou anglophones.

Pour assurer un minimum de participation aux décisions scolaires concernant les francophones, la législation de 1968 a prévu la création, au sein des Conseils scolaires publics, d’un Comité de langue française. Ayant présidé un tel Comité au Conseil scolaire public d’Ottawa, j’ai écrit un texte à ce sujet, en janvier 1977.

Avec les années, la francophonie ontarienne a opté pour l’indépendance scolaire. C’est ainsi que les deux premiers conseils scolaires de langue française ont été créés en 1988: le Conseil des écoles françaises de la communauté urbaine de Toronto (CEFCUT) et le Conseil scolaire de langue française d’Ottawa-Carleton.

Les accents sur les noms français

À plusieurs reprises, le jugement du plus haut tribunal du pays fait référence à la cause Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342. En fait, dans cette cause franco-albertaine, les trois individus sont francophones: Jean Claude Mahé, Angéline Martel et Paul Dubé.

Historiquement, l’administration de la justice dans plusieurs provinces de common law ne mettait pas les accents sur les noms français. C’était l’époque où la justice ne disposait pas du droit à des claviers français. Malheureusement, dans certaines juridictions, cette époque n’est pas encore complètement révolue.

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À lire aussi dans l-express.ca :

Mars 2020: Écoles : les Franco-Colombiens revendiquent l’égalité «réelle»

Juin 2020: Victoire de l’égalité des écoles en Colombie-Britannique

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

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