Budget fédéral 2021 : un endettement impressionnant mais gérable

Budget fédéral 2021
Reflet de l'édifice du Parlement canadien à Ottawa. Photo: Ericka Muzzo, Francopresse
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Publié 21/04/2021 par Francopresse

Malgré deux déficits consécutifs de 354 milliards $ pour 2021 et de 154 milliards $ pour 2022, dans le budget fédéral présenté lundi, certains experts soutiennent que les finances publiques se porteraient plutôt bien: la taille de la dette par rapport à l’économie demeure sous contrôle alors que les taux d’intérêt restent bas.

Les effets qu’aura le plan de relance pharaonesque de 101,4 milliards $ s’avèrent toutefois plus difficiles à déterminer, même si l’initiative pour un service de garde pancanadien est généralement bien accueillie.

Budget fédéral : dépenses nécessaires

«On ne devrait pas s’inquiéter outre mesure des déficits malgré leur montant important», croit Trevor Tombe, professeur au Département d’économie de l’Université de Calgary.

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Trevor Tombe

«On savait que ceux-ci seraient importants, et du reste, les dépenses étaient nécessaires pour soutenir les personnes et les entreprises affectées par la crise de la covid», ajoute-t-il.

Endettement VS capacité de payer

«On devrait plutôt regarder le niveau de la dette par rapport à notre capacité de payer, donc la dette relative au revenu total du Canada, au PIB.»

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«Le ratio de la dette par rapport au PIB est une bonne mesure de ce fardeau, et il va chuter après cette année. [Selon les prévisions du gouvernement] il atteindra un pic de 51% en 2021 et puis déclinera graduellement par après. Ça veut dire que la dette fédérale est soutenable», croit Trevor Tombe.

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Le Canada est l’un des grands pays les moins endettés au monde,

Une marge de manœuvre

Selon la professeure Geneviève Tellier, de l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, «la plupart des experts-économistes disent qu’on a une marge de manœuvre, les taux d’intérêt sont très bas et ça ne nous coûte pas cher d’emprunter. Les documents budgétaires démontrent d’ailleurs que le Canada demeure le pays du G7 le moins endetté.»

Geneviève Tellier

En 2025-2026, rappelle le fiscaliste Luc Godbout, de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, le budget fédéral ne prévoit qu’un déficit de 30 milliards $ – environ ce que le gouvernement libéral envisageait pour l’année 2019 avant la pandémie.

«Donc [en 2025], on sera grosso modo revenus au niveau de déficit que les Libéraux jugent acceptable», souligne Luc Godbout.

Des paiements d’intérêts plus élevés…

Il n’y a pas de quoi s’alarmer, pense le fiscaliste, mais il faut prendre acte du fait que la dette augmente: «Même si les taux d’intérêt sur la dette sont bas, on s’aperçoit que pour chaque dollar en revenu budgétaire que nous avons, cette année on consacre six sous pour payer les intérêts sur la dette. Dans cinq ans, on va être rendus à neuf sous.»

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«Ce n’est pas énorme, mais ça montre que si la dette s’alourdit, les intérêts à payer vont prendre une place plus importante dans nos dépenses», ajoute-t-il.

… mais moins de 10% du budget fédéral

Trevor Tombe temporise quelque peu: dans les années 1990, le gouvernement fédéral dépensait plus du tiers du budget fédéral pour payer les intérêts sur la dette – quoiqu’à l’époque, les taux d’intérêt étaient substantiellement plus élevés.

«Aujourd’hui, si on regarde jusqu’à la fin de l’horizon des prédictions, en 2025, on en dépensera moins de 10%, ce qui est bas, historiquement. Le fardeau de cette dette publique est donc beaucoup plus léger qu’à la plupart des autres périodes de l’histoire canadienne.»

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Un unifolié sur l’édifice du Parlement canadien à Ottawa. Photo: Ericka Muzzo, Francopresse

Des risques à long terme?

Le fait que le gouvernement ait substantiellement augmenté la proportion des obligations du Canada qui arrivent à échéance dans plus de 10 ans constitue une protection additionnelle d’après Luc Godbout, parce que cela permet au gouvernement de profiter de taux d’intérêt historiquement bas.

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Luc Godbout

Alors qu’avant la pandémie, seulement 15% des obligations émises par le Canada arrivaient à maturité en 10 ans ou plus, aujourd’hui c’est le cas de 42% d’entre elles, expliquait la ministre des Finances, Chrystia Freeland, en conférence de presse le 19 avril.

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Dans 10 ans?

«À court terme, ça nous protège. Par contre à long terme, pour une génération future, quand toutes ces obligations-là devront être renouvelées, à quel taux le seront-elles et quels seront les impacts à ce moment-là?» questionne Luc Godbout.

Une inquiétude que partage Geneviève Tellier. «La question, c’est qu’est-ce qui va arriver dans 10 ans? On est pas mal sûr que dans 5 ans, les taux d’intérêt n’augmenteront pas rapidement, parce qu’on va essayer de les garder bas. Mais dans 10 ans, il y a plein de choses qui peuvent arriver, et c’est là qu’il y a de l’incertitude.»

Un budget fédéral électoral

Geneviève Tellier constate une saveur électorale particulièrement prononcée dans le budget fédéral de 2021.

budget fédéral 2021
La couverture du Budget du gouvernement canadien 2021.

«Je vais citer une collègue, qui a dit ça hier : “Tout gouvernement minoritaire présente un budget électoral.” Mais celui-là est très électoral, il y en a pour tout le monde! Nommez un sujet, et il va être dans le budget. Il y a plus de 270 mesures, de nouvelles annonces. Il y en a pour tout le monde: les personnes à la retraite, les jeunes, les étudiants».

Le gouvernement tente d’aider les Canadiens dans un contexte économique plutôt difficile, observe la politologue. «Mais en même temps, c’est du clientélisme parce qu’on ratisse très large et on va jouer dans les platebandes de tous les autres partis. Donc on essaie d’aller chercher des appuis avec ce budget-là.»

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100 milliards $ pour une relance déjà en marche

«À chaque récession», rappelle l’économiste Trevor Tombe, «le gouvernement procure du soutien fiscal pour faciliter la relance. Habituellement, ça prend la forme de dépenses en infrastructures […] Donc c’est entièrement naturel qu’il y ait des mesures qui facilitent la relance, que ce soit les programmes prévus ici comme l’énergie propre et la séquestration du carbone ou le financement des services de garde.»

Dans les perspectives budgétaires du 31 mars, le directeur parlementaire du budget mettait en doute la nécessité d’avoir un plan de relance de cette ampleur, considérant que l’économie semble reprendre plus rapidement que prévu.

Même si les circonstances actuelles justifieraient l’ampleur de l’intervention dans ce budget fédéral, la professeure Geneviève Tellier se demande si le gouvernement n’en fait pas trop. «On va injecter 100 milliards $ dans l’économie. Est-ce que l’économie est prête à absorber ces programmes? Est-ce qu’on a assez de travailleurs, est-ce qu’on a assez d’entreprises, de ressources pour le faire?»

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L’édifice du Parlement canadien à Ottawa. Photo: PxHere

Mieux vaut trop que pas assez?

Le fiscaliste Luc Godbout, de l’École de gestion de l’Université de Sherbrooke, souligne que plusieurs économistes avaient remis en question l’ampleur du plan de relance, notant qu’on ne pouvait prévoir la vigueur de la reprise, mais que la ministre Freeland avait indiqué préférer faire l’erreur d’en faire trop que pas assez.

C’est une leçon apprise de la crise financière de 2008-2009, rappelle-t-il, où la plupart des pays auraient arrêté leurs mesures de soutien fiscal avant que la reprise ne se réalise pleinement.

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«On a quand même l’impression que la reprise va se faire rapidement, parce que l’économie allait assez bien avant la pandémie. Donc le gouvernement a assuré un pont, en attendant que la pandémie soit passée, mais ça se peut que l’économie retombe sur ses deux pieds facilement, donc, dans ce cas-là, ça se peut qu’il y en ait trop», constate Luc Godbout.

Retour de l’inflation?

Selon certains économistes, l’un des risques d’un plan de dépense excessif — surtout évoqué dans le cas américain — serait l’apparition de pressions inflationnistes dans l’économie. Un risque que même le Fonds monétaire international (FMI) juge peu crédible.

Pour Geneviève Tellier, ce sont les investissements en infrastructures qui pourraient entraîner une surchauffe du secteur.

Dans le budget fédéral, «on dit qu’on va augmenter la construction de logements sociaux, mais en même temps, est-ce que ça ne va pas nous coûter plus cher parce qu’il y a de l’inflation, parce qu’il y a une pénurie dans la construction, etc.?»

Investir dans les infrastructures peut être bénéfique pour la future croissance économique, mais «est-ce qu’il fallait le dépenser cette année plutôt que dans trois ans, par exemple?» questionne la politologue de l’Université d’Ottawa.

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Budget fédéral 2021: vue générale des opérations.
Budget fédéral 2021: vue générale des opérations. Revenus projetés: 296,2 milliards $. Dépenses: 650,3. Déficit: 354,2. Dette: un peu plus de 1000 milliards $…

Des services de garde à 10 $ à travers le Canada

Le gouvernement prévoit investir environ 30 milliards $ sur 5 ans pour établir à travers le Canada des places subventionnées en services de garde pour les jeunes enfants, une initiative qui se veut permanente.

«Ça fait longtemps qu’on en parle», rappelle Luc Godbout. «Ça a des effets sur la croissance économique, sur la participation au marché du travail, et ça rend les mères plus autonomes. Le Québec a servi pendant plus de 20 ans de projet pilote, et là on a décidé de l’étendre au reste du Canada.»

Concilier l’enjeu travail-famille

Le cas du Québec a permis aux chercheurs de tirer des conclusions solides sur les bénéfices économiques des services de garde pour jeunes enfants, soutient Trevor Tombe.

«Les recherches démontrent clairement que ça a un effet et que ça augmente la participation sur le marché du travail, particulièrement des femmes avec de jeunes enfants. C’est un des facteurs qui expliquent que le Québec a un taux de participation beaucoup plus élevé des femmes au marché du travail que beaucoup d’autres régions», selon l’économiste.

Geneviève Tellier note pour sa part que «jusqu’à la pandémie, ce n’était pas clair si les gens voulaient un tel service parce que ça coutait très cher [au gouvernement]. Mais avec la pandémie, on s’est rendu compte que même si ça coûte cher, les bénéfices surpassent les frais. C’est-à-dire que ça aide à concilier tout l’enjeu travail-famille, et ça aide les femmes sur le marché du travail aussi».

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«Ça restera à voir quelle partie de ce financement-là ira vers des places en garderie pour les minorités linguistiques», indique Stéphanie Chouinard, professeure adjointe en sciences politiques au Collège militaire de Kingston. «Mais il y aura assurément un certain pourcentage.»

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Les drapeaux des provinces canadiennes au Musée canadien de la guerre à Ottawa. Photo: Skeezix1000, Wikimedia Commons

Il faudra convaincre les provinces

Pour Trevor Tombe, la grande question demeure la volonté des provinces de participer à ce genre de programme, puisque selon le plan d’Ottawa, elles devront en assumer la moitié des coûts.

«La plus grande question ouverte, pour moi, c’est l’Alberta et Terre-Neuve. Ces deux provinces font face à d’importants défis fiscaux, et pour l’Alberta, sa part du programme monterait à 3,5 milliards $. Je ne sais pas si le gouvernement provincial voudra y penser», craint Trevor Tombe.

Et il reste à déterminer comment le Québec, qui dispose de son propre programme, sera compensé, ajoute l’économiste.

Accueil très favorable au budget fédéral dans la francophonie

Par ailleurs, rarement aura-t-on vu autant d’institutions de la francophonie canadienne applaudir si chaleureusement un budget fédéral. Le document proposé lundi par le gouvernement Trudeau est louangé à la fois pour les montants qu’il contient en lien avec les communautés francophones et pour le nombre de programmes qui en bénéficieront.

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FCFA
Jean Johnson

«C’est quasi historique», affirme sans ambages Jean Johnson, président de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA). «C’est vraiment quelque chose. On est vraiment fier d’avoir eu cette reconnaissance-là dans le budget

Le président de la FCFA mentionne d’abord la somme de 8,7 millions $ pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles. «Pour moi, ça démontre un niveau de sérieux par rapport à leur engagement. C’est comme ça que je l’interprète.»

Aide aux collèges et universités

Il se dit également heureux des 121,3 millions $ prévus sur 3 ans afin «d’offrir une éducation postsecondaire de qualité dans la langue de la minorité au Canada».

S’il espère qu’une partie de ces fonds serviront à venir en aide au Campus Saint-Jean, en Alberta, et à régler la crise qui prévaut à l’Université Laurentienne, dans le Nord de l’Ontario, Jean Johnson souhaite surtout que le problème de fond soit réglé.

«Ça va vouloir dire de tailler une place à travers le pays pour le “par et pour” dans les communautés et qu’on arrête de dépendre des bureaux de gouverneurs qui sont majoritairement anglophones, qui ne comprennent pas notre réalité et qui ne comprennent même pas pourquoi on aurait des services en français», martèle-t-il.

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Rémi Léger

Le professeur de sciences politiques de l’Université Simon Fraser Rémi Léger aimerait que les établissements de la francophonie minoritaire soient priorisés dans l’attribution des 121,3 millions $ prévus dans le budget fédéral.

«Normalement, en langues officielles, il y a environ le tiers qui va au Québec. Est-ce qu’on va vraiment donner le tiers au Québec? Ce n’est pas vraiment McGill et Concordia qui ont besoin d’argent tout de suite. À ce qu’on sache, la crise n’est pas là», souligne-t-il.

Soulagement dans le secteur culturel

«C’est majeur! Les investissements sont majeurs. On accueille favorablement et avec soulagement», réagit la directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Marie-Christine Morin.

Le budget fédéral prévoit en effets une multitude de nouveaux fonds pour appuyer la culture, dont:

  • Fonds de relance des arts, de la culture, du patrimoine et des sports : 300 M$/3 ans
  • Festivals locaux (par l’entremise de Patrimoine canadien) : 200 M$
  • Fonds de la musique du Canada : 70 M$/3 ans
  • Célébrations et commémorations : 19,6 M$/3 ans
  • Évènements culturels communautaires : 16 M$/2 ans
  • Festival des arts et de la scène : 14 M$/2 ans
Projet de loi C-10 radiodiffusion francophonie Marie-Christine Morin
Marie-Christine Morin

Selon elle, c’est carrément la vitalité culturelle des communautés francophones qui était en jeu. «Quand on a des centres culturels ou des institutions culturelles qui ferment, c’est la capacité des gens des communautés de vivre leur culture en français qui meurt aussi en même temps.»

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Budget fédéral : appui implicite aux médias?

Pour sa part, Alex Schmidt, président de l’Alliance des radios communautaires du Canada, dit espérer que le gouvernement fédéral accordera «une juste part du fonds de relance aux médias communautaires de langues officielles en situation minoritaire.»

Et notant l’appui additionnel de 21 M$ à CBC/Radio-Canada dans le budget Freeland, le président de Réseau.Presse (les journaux locaux) Francis Sonier estime que «le gouvernement reconnaît clairement l’importance de tenir les Canadiens informés avec des nouvelles locales et nationales dans les deux langues officielles […] et reconnaît implicitement le rôle fondamental et unique des 105 médias communautaires desservant les communautés de langues officielles en situation minoritaire».

Budget fédéral électoral… mais pas d’élections?

Le budget devra passer le test du vote à la Chambre des communes où les Libéraux sont minoritaires, possiblement la semaine prochaine. Le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a cependant déjà indiqué qu’il ne souhaitait pas la tenue d’élections en pleine pandémie.

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