Gamay : l’anti-snob par excellence

Septième de dix articles consacrés aux cépages

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Né en Bourgogne, le cépage Gamay a été replanté dans le Beaujolais, où il est très largement utilisé. Image générée par IA
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Publié 21/11/2025 par Pierre Ferland

Septième étape de notre série consacrée aux cépages. C’est le moment de l’année où le monde entier lève son verre en criant «Le Beaujolais Nouveau est arrivé!»… Même si, soyons honnêtes, les Québécois et Ontariens doivent regarder la fête de loin. Les monopoles du LCBO et de la SAQ ont cessé d’en importer depuis plus de trois ans. Triste symbole pour un vin qui fut jadis le plus joyeux ambassadeur du vignoble français.

Tout Beaujolais naît du Gamay. Mais le Gamay, lui, vagabonde largement au-delà des collines beaujolaises.

Le cépage Gamay est né en Bourgogne au XIVe siècle. Mais chassé de Dijon par Philippe le Hardi, qui jugeait ce raisin trop «vil et déloyal», il a trouvé refuge plus au Sud, sur les collines granitiques du Beaujolais. Là, il s’est refait une vie — et quelle vie!

Aujourd’hui, il incarne la convivialité à la française: accessible, fruité, jamais prétentieux.

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Philippe le Hardi, celui qui détestait le Gamay.

Le Gamay, c’est la fraîcheur incarnée. Rouge clair, souple, vibrant, il explose de cerise, framboise et pivoine. Un vin à boire jeune, légèrement rafraîchi, le sourire aux lèvres.

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Mais qu’on ne s’y trompe pas: derrière sa réputation de vin primeur se cachent des crus d’une grande élégance — Morgon, Fleurie, Moulin-à-Vent, Chiroubles — capables de vieillir dix ans et plus.

Ces crus sont tous des vignobles du Beaujolais, une région viticole française située dans le Nord du département du Rhône et sur quelques communes de Saône-et-Loire.

Beaujolais Nouveau: entre génie et malédiction

Né après la guerre pour célébrer la fin des vendanges, le Beaujolais Nouveau fut sans doute l’un des plus grands coups de marketing du XXe siècle. Une idée lumineuse — et fatale à la fois. Car il faut bien le dire: ce vin de fête a fait connaître le Beaujolais au monde entier, provoquant des scènes d’enthousiasme presque surréalistes.

À Tokyo, on trinquait dans des bains remplis de Beaujolais. À Londres, les cavistes organisaient des dégustations à minuit. À Paris, les cafés se remplissaient comme pour un match de Coupe du monde.

Les avions affrétés partaient de Lyon comme s’ils transportaient de l’or liquide, et les grandes villes d’Europe vibraient au rythme du primeur. La campagne fut un triomphe absolu.

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Mais ce succès planétaire a eu un prix. À force d’industrialiser la joie, on a réduit tout un vignoble à une caricature fruitée et fugace. Le public a fini par confondre le Beaujolais Nouveau avec le Beaujolais tout court, oubliant que derrière cette image de vin de comptoir se cachent dix crus d’une profondeur et d’une élégance exceptionnelles.

Le Beaujolais Nouveau a donc été le meilleur et le pire des ambassadeurs: il a mis la région sur la carte, puis l’a laissée s’y perdre.

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L’offre de Gamay de Château des Charmes, en Ontario, est généreuse et de très haute qualité.

Le renouveau du Gamay

Heureusement, la renaissance est bien entamée. Des artisans comme Jean Foillard, Marcel Lapierre, Guy Breton ou Yvon Métras ont redonné au Gamay sa dignité. Vendanges manuelles, levures indigènes, extraction douce: ils ont prouvé que ce cépage prétendument «modeste» pouvait produire des vins vibrants, profonds, lumineux.

Et ce mouvement dépasse les frontières françaises. En Ontario aussi, une génération inspirée s’empare du Gamay avec intelligence et sensibilité.

Parmi eux, Amélie Boury, œnologue au Château des Charmes, joue un rôle phare. Son Gamay Nouveau, qu’elle décrit comme «un plaisir, jamais une provocation», est un hommage assumé au Beaujolais qu’elle affectionne.

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Elle le vinifie avec précision, en travaillant des vignes de plus de trente ans qui apportent, dit-elle, «un caractère naturel que l’on ne peut pas trafiquer». Surtout, elle refuse la pression du calendrier: «Je n’ai pas de date imposée. Le vin sera embouteillé lorsqu’il sera prêt.»

Loin du côté «bubblegum» qui a parfois dévoyé le style primeur, elle recherche la pureté: fraîcheur, éclat, gourmandise, mais sans artifice.

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Amélie Boury, VP et oenologue à Château des Charmes, Niagara-on-the-Lake. Photo: courtoisie.

Un vin vieilli en foudre

Et parce qu’elle aime explorer les limites du cépage, elle signe également un Gamay 100% carbonique, millésime 2023, vieilli en foudre — un choix presque paradoxal pour un vin souvent embouteillé tôt.

«Le foudre apporte une oxygénation lente et nécessaire au Gamay, qui réduit facilement», explique-t-elle. «Cela permet de conserver le fruit sans aucun marquage boisé.»

Quant à la question, souvent posée, du potentiel du Gamay dans un monde qui recherche des vins plus frais et plus digestes, elle tempère les idées reçues. «Attention: un vin léger n’est pas forcément un vin peu alcoolisé. Le Gamay atteint facilement 12.5 à 13% en Ontario. Il donne des vins aériens, mais leur équilibre n’a rien de léger sur le plan technique.»

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Une vision lucide, ancrée dans l’expérience, qui résume parfaitement ce que devient aujourd’hui le Gamay: un cépage de liberté, mais aussi de précision.

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Château des Charmes à Niagara-on-the-Lake. Un incontournable lors d’une visite de la région. Photo: courtoisie

Accords conviviaux

Pour les accords de la table, le Gamay adore la convivialité: charcuterie, saucisson, fromages légers, volailles rôties, tartares… C’est le vin parfait pour dire: on se fait plaisir sans se compliquer la vie. Un vin qui rit, qui danse, qui rassemble.

Le Gamay, c’est l’anti-snob par excellence. Un vin honnête, joyeux, vivant. Il ne prétend pas être autre chose que ce qu’il est: un plaisir simple, immédiat, mais jamais banal. Et s’il a été banni par un duc, il a depuis conquis le monde — un verre à la fois, bien au-delà du Beaujolais Nouveau.

La semaine prochaine

La semaine prochaine, on reste dans la fraîcheur, mais changeons de couleur. Cap sur le Sauvignon Blanc, ce cépage aussi nerveux qu’élégant, un vrai régal pour les papilles.

Préparez vos verres: on voyagera du Bordelais à la Nouvelle-Zélande, en passant par la péninsule du Niagara.

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