La Laurentienne et deux ministères n’ont pas respecté leurs obligations envers la LSF

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Dans l'affaire des coupes à l'Université Laurentienne, la commissaire aux services en français de l’Ontario confirme que les droits des étudiants et professeurs francophones ont été bafoués. Photo: Julien Cayouette
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Publié 01/04/2022 par Julien Cayouette

L’Université Laurentienne à Sudbury, le ministère des Affaires francophones et celui des Collèges et Universités ont enfreint leurs obligations face à la Loi sur les services en français (LSF). Le blâme, assigné le 31 mars par la commissaire aux services en français de l’Ontario, Kelly Burke, est cependant limité à deux diplômes. Elle émet 19 recommandations pour clarifier plusieurs responsabilités.

Son rapport contient plusieurs constats concernant le manque de proactivité et de communication des trois organismes en question. Malgré le fait que le ministère des Collèges et Universités était au courant des problèmes financiers de la Laurentienne en décembre 2020, personne ne s’y est inquiété des répercussions sur les services en français.

commissaire aux services en français de l'Ontario
Kelly Burke

Le ministère des Affaires francophones a été mis au courant en janvier 2021 et a immédiatement soulevé ses préoccupations… Mais seulement des discussions informelles ont eu lieu. En raison de la Loi sur les arrangements avec les créanciers invoquée par la Laurentienne le 1er février 2021, aucun des ministères n’a participé à la prise de décisions concernant les programmes en français.

De plus, la LSF comprend un processus détaillé pour permettre la réduction de son offre de service en français. Ce processus n’a pas été suivi par la Laurentienne ou les ministères.

Confusion d’interprétation à la Laurentienne

Kelly Burke, qui dirige l’Unité des services en français de l’Ombudsman de l’Ontario, révèle également que les plaignants n’avaient pas la même interprétation de la désignation que les deux ministères et l’Université Laurentienne.

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Les premiers considèrent que la désignation protège les programmes. Les ministères et l’Université affirment plutôt que ce sont seulement les grades qui sont protégés.

Il n’y a cependant aucun paramètre qui dicte ce qui constitue un niveau de service adéquat pour ces grades. Donc, pour eux, un seul programme menant à un grade peut être suffisant.

La Laurentienne n’avait pas de limite dans le nombre de programmes ou de cours qu’elle pouvait couper et quand même respecter ses obligations. Cette absence de règle est d’autant plus flagrante que ce problème avait été signalé pendant le processus de désignation, mais que rien n’a été inclus, dévoile le rapport.

À l’encontre de l’esprit de la LSF

«Selon moi, c’est une interprétation qui va à l’encontre de l’esprit de la Loi sur les services en français», qui exige la promotion et l’assurance de la pérennité de la culture et de la langue française en Ontario.

«L’esprit de la Loi vaut beaucoup en francophonie. Ce que j’ai constaté, c’est qu’avec une interprétation qui voit un seul programme menant à un grade pourrait satisfaire l’obligation en vertu de la Loi, je suis en désaccord avec cette interprétation», dit Kelly Burke.

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Avec les paramètres qui sont présentement en place, la commissaire peut seulement dire que la Laurentienne n’a pas respecté ses engagements pour la Maîtrise en activités physiques et la Maîtrise ès Arts, puisque 100% des programmes ou cours permettant l’obtention de ces diplômes ont été supprimés.

Tous les autres grades désignés ont soit perdu entre 50 et 66% de leur programmation, soit ils n’ont pas été directement affectés. Néanmoins, le rapport présente plusieurs témoignages d’étudiants qui ont été touchés d’une façon ou d’une autre.

Il est erroné, selon la commissaire, d’affirmer que de couper seulement une partie de la programmation n’a pas d’effet sur l’offre de services en français.

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L’Université Laurentienne à Sudbury.

Pour que ça n’arrive plus

L’Université Laurentienne aurait déjà entamé des démarches pour rétablir les deux grades perdus. La nouvelle Maîtrise ès arts en études relationnelles remplacera d’ailleurs la Maîtrise ès arts lorsqu’elle sera approuvée par le ministère.

Kelly Burke affirme que ses recommandations visent à ce que ce genre de situation ne se reproduise plus dans les établissements postsecondaires désignés sous la LSF. Il faudra par contre que le gouvernement engage les ressources nécessaires pour assurer que le ministère des Affaires francophones puisse assurer un rôle proactif dans l’application de la Loi.

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Sans pouvoir ramener ce qui a été perdu, la commissaire dit que la perte des programmes était au cœur de son enquête. «Nous avons réagi très rapidement afin de souligner auprès de l’Université qu’il avait des enjeux avec leur programmation.»

«La restructuration, comme vous savez, est toujours en cours, donc on a cru bon de lancer notre enquête et de déposer notre rapport pour que l’Université et les ministères puissent réagir rapidement pendant que la restructuration est en cours.»

«Ici on a perdu 45% des programmes qui mènent à des grades à l’Université Laurentienne. Il y a un impact important, crucial, qu’il faut adresser. Le but même de l’exercice était de soulever les enjeux soulevés par les plaintes, mais aussi de soumettre des recommandations qui vont permettre immédiatement de remédier à la situation.»

L’Unité des services en français du bureau de l’ombudsman a lancé son enquête en juin 2021. Il a reçu 60 plaintes concernant les coupes à l’Université Laurentienne.

La Laurentienne «toujours bilingue»

L’Université Laurentienne a commenté le dépôt du rapport en ces mots: «Nous apprécions le rapport et les recommandations de la Commissaire aux services en français, et travaillerons volontiers avec le ministère des Collèges et Universités et le ministère des Affaires francophones pour donner suite aux recommandations, tout en nous efforçant d’offrir le meilleur enseignement possible dans nos programmes en français.»

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Denis Constantineau.

Par écrit, la Laurentienne dit être toujours pleinement engagée dans son mandat bilingue et vouloir attirer des étudiants qui veulent étudier en français.

Un avis que ne partage pas le porte-parole de la Coalition nord-ontarienne pour une université francophone, Denis Constantineau. «Ça vient confirmer ce que l’on dit depuis le début: l’Université Laurentienne ne pense pas à sa francophonie. Ils ont procédé aux coupes sans considérer l’impact sur les étudiantes et étudiants francophones et sur la communauté.»

Il considère que le blâme est partagé avec les deux ministères. Et il espère qu’ils appliqueront les recommandations de la commissaire pour tous les établissements concernés.

La solution: l’Université de Sudbury

«Il est trop tard, le dommage est fait à l’Université Laurentienne et pour nous, il n’y a pas de solution à l’intérieur de la Laurentienne. Le rapport vient confirmer que la Laurentienne n’a pas de rôle à jouer comme institution bilingue et que l’avenir réside dans l’Université de Sudbury comme université de langue française», dit M. Constantineau.

Du côté du ministère des Affaires francophones, la porte-parole de la ministre, Marilissa Gosselin, rappelle que le gouvernement vient d’adopter une version modernisée de la Loi sur les services en français pour améliorer l’accès aux services dans cette langue.

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«L’Université Laurentienne est une institution autonome, qui gère elle-même ses questions académiques et administratives. Le gouvernement s’attend à ce que l’université agisse dans l’intérêt de tous les étudiants, y compris les étudiants francophones, autochtones et ceux nécessitant un appui supplémentaire.»

Les recommandations de la commissaire :

  1. Le MAFO doit communiquer clairement à la Laurentienne ses obligations en vertu de sa désignation, la manière de s’y conformer et rendre l’information publique.
  2. Le MAFO doit adopter une nomenclature standard pour la désignation des établissements postsecondaires afin de pouvoir clairement identifier leurs obligations.
  3. Que l’UL développe un processus interne qui inclut une consultation avec le MCU et le MAFO avant de faire tout changement qui pourrait avoir un impact sur sa désignation prévue [à la LSF]; et que le résultat de cette consultation soit présenté devant le Sénat avant que celui-ci décide de tout changement.
  4. Que le MCU avis et consulte le MAFO dès que possible lorsqu’il prend connaissance de tout changement potentiel aux programmes de l’UL liés à sa désignation.
  5. Que le MAFO développe un modèle d’évaluation de la conformité de l’UL à ses obligations, y compris un examen de façon dont les changements à la programmation seront évalués.
  6. Que le MAFO est le MCU s’assure que l’évaluation de la conformité de l’Université Laurentienne soit faite avant tout changement futur qui pourrait affecter les services désignés.
  7. Que le MAFO, en collaboration avec le MCU, développe un modèle d’évaluation de la conformité des organismes gouvernementaux postsecondaires désignés par rapport à leurs obligations en vertu de la LSF. Ce modèle doit détailler le rôle du (de la) coodonateur(trice) des services en français dans la surveillance de la conformité de ces organismes.
  8. Que le MAFO adopte une approche proactive de l’application de la LSF, notamment en surveillant activement le respect des obligations d’évaluation de l’Université Laurentienne.
  9. Que le MAFO communique régulièrement toutes les politiques et obligations applicables à l’UL et ai MCU.
  10. Que le MAFO révise l’Ensemble de ses pratiques et procédures pour qu’il puisse communiquer régulièrement à tous les ministères parrains et organismes désignés leurs obligations en vertu de la désignation.
  11. Que le MAFO travaille de façon proactive avec les ministères parrains et les organismes désignés pour assurer la conformité des organismes désignés par rapport à leurs obligations.
  12. Que le MCU s’assure que l’UL se conforme aux exigences de rapport établies par le MAFO.
  13. Que l’UL s’assure qu’elle se conforme à toutes les exigences du rapport liées à sa désignation.
  14. Que le MCU s’assure que le (la) coordonnateur(trice) des services en français soit consulté(e) immédiatement par rapport à la conformité des l’UL à ses obligations en vertu de sa désignation sous la LSF, et que cette personne communique directement et régulièrement avec le (la) sous-ministre à cet effet.
  15. Que le MCU développe une politique qui détaille le rôle du (de la) coordonnateur(trice) des services en français dans la surveillance de la conformité des organismes désignés par rapport à leurs obligations en vertu de la Loi.
  16. Que l’UL s’assure qu’elle se conforme entièrement à ses obligations en vertu de la LSF à l’avenir.
  17. Que le MAFO évalue les implications de la désignation des grades, et non des programmes menant à ces grades, à la lumière des objectifs de la LSF pour protéger l’offre de service en français à l’UL.
  18. Que le MAFO s’assure que son interprétation de la désignation — à savoir si les programmes ou les grades (ou les deux) sont protégés — soit communiquée clairement au MCU, à l’UL et au public.
  19. Que le MCU, le MAFO et l’UL me fassent rapport dans six mois sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ces recommandations, puis à intervalles de six mois jusqu’à ce que je sois convaincue qu’ils ont pris des mesures adéquates pour les appliquer.

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