Une liberté de la presse toujours fragile

liberté de la presse
«Descente dans les ateliers de la liberté de la presse». On voit Louis-Philippe 1er, roi des Français, à gauche avec la main sur une ouvrière personnifiant la liberté de la presse. Photo: Wikimedia Commons, domaine public
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 28/04/2024 par Marc Poirier

Plus de 250 ans après que la Suède a été le premier pays à légiférer pour protéger la liberté de la presse, ce principe, qu’on étale comme l’un des fondements de la démocratie, est toujours bafoué par une longue liste d’États. Et parmi ceux-ci, des poids lourds comme la Chine et la Russie.

Il y a une trentaine d’années, l’Assemblée générale des Nations unies a proclamé le 3 mai Journée mondiale de la liberté de la presse. Si au Canada, et dans plusieurs pays, cette liberté est tenue pour acquise, dans la majeure partie du monde, ce n’est toujours pas le cas.

liberté de la presse
Le métier de journaliste est de plus en plus dangereux. Chaque année, des dizaines de journalistes sont tués en faisant leur travail. Wael Al-Dahdouh est journaliste palestinien. Il était chef du bureau d’Al Jazzera à Gaza et a été blessé lors d’une attaque israélienne et emmené au Qatar pour y être soigné. Photo: Wikimedia Commons, Attribution 3.0 Non transposé

Les journaux, véhicules des idées

Dès l’apparition des journaux, la liberté de presse est étroitement associée à la liberté d’expression puisque, en quelque sorte, les journaux et autres publications devenaient le véhicule par excellence des idées, des opinions.

Les habitués de cette chronique ne s’étonneront pas qu’on remonte à la Grèce antique (eh oui!) pour trouver les premières traces de la liberté d’expression.

Il est intéressant de voir que la notion du «droit égal à la parole» était un élément crucial de la société grecque, où la démocratie a connu ses balbutiements. Et déjà, il y a des milliers d’années, l’humour et la caricature étaient, à Athènes, des véhicules de ce qu’on nommait alors «la liberté de tout dire».

Publicité

Le Canada au 15e rang

Ironiquement, la Grèce affiche depuis quelques années le pire score de l’Union européenne au Classement mondial de la liberté de la presse 2023 dressé annuellement par Reporters sans frontières.

Selon ce palmarès, le Canada occupe le 15e rang sur 180 pays et a gagné quatre points par rapport à 2022. Le rapport cite la couverture médiatique des droits des peuples autochtones comme un élément à améliorer.

Grâce à l’imprimerie

Lorsque Gutenberg invente l’imprimerie au XVe siècle (ou plutôt lorsqu’il la réinvente, car la Chine avait joué dans ce film bien avant), la parole et la pensée inscrites sur papier se propagent en Europe à une vitesse jamais vue. C’est une véritable révolution.

L’un des premiers «journaux», Relation, est un hebdomadaire allemand fondé en 1605. Quelque 25 ans plus tard, Théophraste Renaudot fonde le premier journal français en 1631, La Gazette. C’est d’ailleurs en l’honneur de ce journaliste qu’a été nommé (à partir d’une blague) le prix littéraire Renaudot.

L’hebdomadaire Relation
L’hebdomadaire Relation, fondé en 1605 en Allemagne, est considéré comme étant le premier journal. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Censure de l’Église

Mais qui dit propagation des idées, des opinions, dit censure. Déjà en 1515, le pape Léon X ordonne qu’aucun livre ne soit imprimé avant d’être examiné par l’évêque de l’endroit.

Publicité

En 1559, un autre pape, Paul IV, instaure le fameux Index, soit un catalogue contenant une liste de livres et d’ouvrages interdits pour les yeux – et surtout les esprits – des catholiques romains à cause de leur contenu jugé immoral ou contraire à la foi.

Cet Index ne sera officiellement aboli qu’en… 1966.

L’information, une menace

Pour ce qui est des journaux, les chefs de différentes nations ne perdent pas de temps non plus à saisir la menace que peut représenter la circulation des connaissances, de l’«information», pour utiliser un mot moderne, et surtout des critiques dirigées contre eux.

Dès 1534, Henri VIII, nouvellement excommunié, exige que tout livre obtienne l’autorisation de son Conseil privé avant d’être imprimé. D’autres monarques européens feront de même afin de contrôler les idées subversives à leur endroit.

Malgré tout, la liberté de la presse finira par se montrer le bout du nez en Suède, comme on l’a dit, en 1766, année à laquelle ce pays inscrit cette protection dans sa constitution.

Publicité
liberté de la presse
Page couverture de l’Index Librorum Prohibitorum (Index des livres interdits) créé par le pape Paul IV au XVe siècle. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

À la fondation des États-Unis

Dix ans plus tard, la colonie américaine de la Virginie consacre le principe en inscrivant dans son Bill of Rights que «la liberté de la presse est l’un des remparts les plus puissants de la liberté et qu’elle ne saurait être restreinte que par des gouvernements despotiques». Et vlan Henri VIII!

Ce principe sera largement repris par les autres colonies du continent et deviendra un des fondements de la Déclaration des droits des États-Unis.

Ces idéaux vont inspirer une autre révolution, la française. La Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen adoptée par l’Assemblée nationale en aout 1789 stipule, à l’article 11, que tous peuvent «parler, écrire, imprimer librement».

Les journaux de 1789

Cette porte ouverte à la parole et aux écrits entraîne l’apparition rapide de journaux politiques à Paris: 166 ont vu le jour en 1789 seulement!

Mais la liberté de la presse aura la vie dure en France. Tour à tour, elle sera réprimée, attaquée, sinon presque abolie par la Terreur, Napoléon 1er, la Restauration, la Monarchie de Juillet et le Second Empire de Napoléon III.

Publicité

Il faudra l’arrivée de la Troisième République pour finalement rétablir le principe avec l’adoption de la Loi du 29 juillet 1881, toujours en vigueur.

liberté de la presse
La première dame des États-Unis Eleanor Roosevelt tient la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations unies en 1948. Photo: Wikimedia Commons, Attribution 2.0 Generic.

Et au Canada?

La Nouvelle-France ne comptait aucun journal puisque la Couronne l’interdisait dans ces colonies. L’histoire de la presse dans ce qui est maintenant le Canada débute en 1752 avec la sortie du Halifax Gazette.

Pourtant, ce n’est qu’après la Confédération de 1867 que les journaux pourront prétendre à une véritable indépendance éditoriale.

La première constitution du pays ne prévoyait pas de garanties à la liberté d’expression ou de la presse. Il faudra attendre l’adoption de la Charte des droits et des libertés, en 1982, pour y voir, à l’article 2, les notions de liberté de pensée, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de presse, désignées comme «libertés fondamentales».

L’ONU en 1948

L’idée d’une liberté de la presse comme pilier de la démocratie a continué son petit bonhomme de chemin.

Publicité

En 1948, l’Organisation des Nations unies, créée trois ans auparavant à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, adopte son document fondateur, la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Son article 19 affirme pour tout individu le droit «à la liberté d’opinion et d’expression», et de «répandre sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit».

Près de 75 ans plus tard, c’est encore loin d’être mission accomplie. Reporters sans frontières estime que la liberté journalistique n’est en santé que dans seulement 30% des pays du monde.

Bonne Journée mondiale de la liberté de la presse tout le monde…

Auteurs

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur