Jours noirs pour la liberté d’expression

En Russie, en France, aux États-Unis, au Canada...

liberté d'expression, Alexeï Navalny dans la vidéo de son testament politique.
Alexeï Navalny dans la vidéo de son testament politique. Il est mort en prison à l'âge de 47 ans.
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Publié 21/02/2024 par François Bergeron

Nous vivons des jours noirs pour la liberté d’expression en Russie, en France, aux États-Unis, au Canada, en ce début de 2024.

Russie

Commençons par le pire. Le politicien démocrate russe Alexeï Navalny est mort dans des circonstances encore imprécises, ce 16 février, dans la prison de l’Arctique où l’avait envoyé Vladimir Poutine. Les manifestations en hommage au dissident ont été interdites. Des centaines de personnes qui ont défié cette interdiction ont été arrêtées.

Navalny n’a peut-être pas été assassiné en prison. Le régime préfère éliminer ses opposants au moyen d’«accidents» ou de «maladies» fortuites, parfois au-delà des frontières de la Russie. Mais Navalny ne serait probablement pas mort s’il n’avait pas été harcelé, arrêté, emprisonné, maltraité. Poutine reste le premier responsable de son décès.

La démocratie et les libertés fondamentales, dont les libertés d’opinion et d’expression, n’existent pas dans la Russie de Poutine. Le président russe sera «réélu» triomphalement le 15 mars.

La télévision française

En France, le Conseil d’État (un bureau de plaintes des citoyens qui agit aussi comme conseil juridique du gouvernement) a demandé récemment à l’autorité de l’audiovisuel d’enquêter sur le pluralisme des opinions dans les émissions de nouvelles et d’affaires publiques de la populaire chaîne de télévision privée CNews, qui fait partie du même groupe que la radio Europe 1.

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Déjà, toutes les télés et radios françaises – pas les journaux, heureusement – doivent comptabiliser le temps d’antenne accordé aux invités directement identifiés à un parti politique.

C’est un accroc à la liberté de presse, mais c’est comme ça depuis longtemps et la majorité des Français trouve ça normal. C’est surtout un anachronisme, datant de l’époque où l’audiovisuel était une chasse gardée des pouvoirs publics. Imagine-t-on pareille exigence de «pluralisme d’opinions» imposée aux studios de cinéma, producteurs de musique ou maisons d’édition de livres? Bien sûr que non.

Reporters sans frontières, Christophe Deloire, Pascal Praud, CNews, liberté d'expression
Le président de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, invité à l’émission de Pascal Praud sur CNews.

Or, on demanderait maintenant à CNews – qui aligne de formidables animateurs et commentateurs, dont le polémiste québécois Mathieu Bock-Côté, vedette des médias de Québecor et chroniqueur au Figaro – de comptabiliser le temps d’antenne de tous leurs intervenants et invités en fonction de leur orientation politique.

Sachant qu’il y a plus d’orientations politiques en France que de fromages (dixit De Gaulle), un tel recensement virerait au cauchemar. Son principe est déjà abominable. La liberté de presse devrait s’étendre à l’audiovisuel et au numérique au même titre qu’aux vénérables journaux papier.

L’État n’a pas à imposer de ligne éditoriale aux médias privés, surtout que ceux-ci exercent un contrepoids salutaire à la pensée unique qui caractérise les ondes de la télé et de la radio publiques (en France comme ailleurs).

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Le plus inquiétant ici est que la plainte au Conseil d’État a été déposée par un organisme censé défendre la liberté d’expression: Reporters sans frontières… Des «journalistes» qui appellent les pouvoirs publics à s’ingérer dans les médias privés, au nom d’un pluralisme des idées qu’eux-mêmes ne pratiquent plus!

Science, métaphore et liberté d’expression

Le commentateur canadien Mark Steyn, qui est une vedette dans toute l’anglosphère, a perdu, le 8 février, le procès en diffamation que lui a intenté le climatologue américain Michael E. Mann… il y a 12 ans!

Après des délais kafkaesques, un jury du District of Columbia, apparemment aussi ignorant de la science et de la métaphore que du Premier Amendement de la Constitution des États-Unis, a ordonné à Steyn de verser un million de dollars à Mann.

Dans le magazine National Review, le chroniqueur avait comparé le scientifique de l’université Penn State à un pédophile notoire de cette même université… pour avoir «tripoté» des données sur le climat.

Michael E. Mann, Mark Steyn, liberté d'expression
Mark Steyn (à la télévision britannique) et Micheal E. Mann (photo: Joshua Yospyn, michaelmann.net, Wikimedia Commons).

Mann est le créateur d’un graphique en «bâton de hockey» censé représenter l’histoire des températures des derniers siècles. Repris par l’agence de l’ONU sur le climat, son travail montre des températures relativement stables pendant longtemps, partant soudainement à la hausse au 20e siècle, présumément à cause de l’industrialisation.

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Ce graphique est contesté par plusieurs scientifiques dont les recherches suggèrent que la planète a connu, depuis 10 000 ans, des variations majeures et quelques périodes de réchauffement plus important qu’aux 20e et 21e siècles.

Mann est également au coeur du «climategate» de 2009, le piratage de ses courriels avec le climatologue Phil Jones de l’université East Anglia, dans lesquels il recommandait de «cacher» ces variations historiques des températures qui discréditent son «bâton de hockey».

Très actif et vindicatif sur Twitter, Mann s’est fait plusieurs ennemis au fil des années dans la communauté scientifique. Quelques-uns d’entre eux ont témoigné pour la défense de Steyn, malheureusement sans succès.

La tentation totalitaire du NPD

Chez nous, un projet de loi émanant du député fédéral néo-démocrate Charlie Angus cherche à criminaliser ce qu’il considère comme de la «désinformation» sur les énergies fossiles et les changements climatiques dans la publicité et possiblement dans tout le discours public.

le député fédéral Charlie Angus (NPD), liberté d'expression
Le député fédéral Charlie Angus (NPD).

Le député compare la publicité des compagnies pétrolières à celle des compagnies de cigarettes, interdite depuis plusieurs années en raison de la nocivité du tabac.

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Il imagine une réglementation qui interdirait, par exemple, de mentionner que le gaz naturel émet moins de CO2 que le pétrole ou le charbon (vrai), ou encore que les énergies fossiles ont contribué puissamment aux progrès récents de l’humanité (vrai).

Il s’en faudrait de peu pour qu’une telle réglementation soit étendue à toutes les discussions, dans tous les médias, sur tous les enjeux énergétiques et climatiques. Et pourquoi pas sur d’autres enjeux: l’immigration, la mouvance LGBTQ, les finances publiques, l’Ukraine, Israël, etc.?

Vigilance

Décidément, la tentation totalitaire est partout. La défense des libertés d’opinion et d’expression exige une vigilance de tous les instants.

Auteurs

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

  • l-express.ca

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