Un premier film francophone en ouverture du Hamilton Black Film Festival

Haro sur les stéréotypes racistes

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Le Mythe de la femme noire, un film essentiel sur les préjugés racistes et misogynes toujours présents dans notre société.
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Publié 17/05/2023 par Dorian Vidal

Entre les 26 et 28 mai prochains se tiendra en personne à Hamilton, au cinéma indépendant Westdale,  une nouvelle édition du Black Film Festival. Et en ligne, tout le Canada pourra profiter des différentes créations depuis son ordinateur, entre les 25 et 30 mai. 

Fondé il y a trois ans par Paize Usiosefe – un professionnel du cinéma originaire du Nigeria – ce festival veut «améliorer la représentation au cinéma des histoires pensées, réalisées ou financées par des personnes de couleur, noires et autochtones, du monde entier.»

C’est ce qu’explique Julie Jardel, directrice du Centre francophone Hamilton, qui participe à l’organisation du festival cette année. Cette collaboration est le résultat de la volonté exprimée par Paize Usiosefe de rendre le festival bilingue.

C’est ainsi pour cette raison que Le Mythe de la femme noire a été sélectionné, premier film francophone à faire l’ouverture de l’événement.

Black Film Festival, Hamilton
Julie Jardel.

Un film important

Le Mythe de la femme noire, un film documentaire d’Ayana O’Shun sera projeté le premier soir, à 18h15, en présence de la réalisatrice. C’est d’ailleurs avec «grande hâte» que la cinéaste dit attendre le festival. Les rencontres autour d’un film sont ce qui lui a le plus marqué depuis la sortie québécoise du film.

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Ce film est «essentiel», affirme Julie Jardel. En permettant de «déconstruire beaucoup de préjugés ou d’idées préconçues qu’on a sur les femmes noires en Amérique du nord», ce documentaire met en valeur «des voix qui ont tendance à être sous-représentées au cinéma».

Répondre aux stéréotypes en en prenant conscience

Depuis longtemps, Ayana O’Shun souhaitait aborder ce sujet. Les thématiques qu’elle préfère aborder son d’ailleurs celles qui correspondent «à la défense de la diversité, la cause féminine, et ceux qui brisent les barrières illusoires séparant les êtres humains», explique-t-elle.

Avant de passer derrière la caméra, Mme O’Shun était comédienne. Elle nous raconte alors qu’elle s’est souvent vu proposée «les même rôles». Cela suit la réalisation du fait que l’image dépeinte par les médias et le cinéma de la femme noire «dans son ensemble ne correspondait en rien à ce que je voyais».

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La réalisatrice Ayana O’Shun.

Des stéréotypes résistants au temps

Toutes les idées reçues abordées avec justesse dans le film (la Jezebel, la nounou, et la femme noire en colère) sont le fruit d’une longue histoire.

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Ce long-métrage vise à «raconter l’histoire de ces stéréotypes, tout en donnant la parole à 21 femmes», explique Ayana O’Shun à l-express.ca. Par leur parcours différents, elles «expliquent comment ces stéréotypes les ont affectés, comment elles les ont combattu pour finalement trouver leur place au soleil».

Le «racisme systémique» et les stéréotypes sont «deux notions qui s’inter-influencent», explique la réalisatrice. Selon elle, ces stéréotypes persistent car ils sont intériorisés par «une vaste majorité» de la population.

Elle nous affirme même qu’elle «n’avait pas réalisé à quel point certains stéréotypes étaient aussi présents dans mon inconscient en grandissant».

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Le Black Film Festival revient en présentiel pour une 3e édition.

Blanc et noir: bien et mal?

Une des images marquantes du film est l’archive du test imposé à une petite fille noire de six ans. Devant elle, deux poupées, une noire et une blanche. Quand on lui demande de montrer laquelle représente une «bonne personne», elle sélectionne quasiment instantanément la poupée blanche.

Ayana O’Shun voulait surtout souligner la «douleur» de la petite fille, qui n’a pas d’autre choix que de montrer la poupée noire, quand on lui demande «quelle est celle qui lui ressemble».

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Ce test est réalisé depuis les années 50. Si la question peut légèrement varier, la poupée blanche est à chaque fois la préférée.

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Le test de la poupée, vieux de 80 ans, mais toujours avec les mêmes résultats. Ici, dans un documentaire d’Alain Mabanckou, diffusé par France 2. Photo: France TV

Pour la réalisatrice, cela illustre parfaitement le problème. «Quelque chose dans le discours ambiant fait que dès l’âge de six ans, une petite fille noire se sent inférieure». Le Mythe de la femme noire peut alors «amener à une prise de conscience de tous les problèmes causés par cette intériorisation», affirme Mme O’Shun.

Affirmer son identité

Le film n’est pas celui de «victimes», mais celui de modèles, qui par leur force, leur courage et leur côté «empowering» inspirent beaucoup de personnes. L’objectif même de ce film, selon les mots d’Ayana O’Shun, est de «briser le mythe, tout en montrant la réelle diversité» des femmes noires. Ce film est «au fond, un film sur la condition humaine», déclare la cinéaste.

Il n’y a pas besoin «de se conformer à des images faite de toutes pièces». C’est aussi sur ce point que ce film est encore plus intéressant. Encore tabou dans la société, et dans de nombreuses communautés, la santé mentale est quelque chose à ne pas sous-estimer.

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Finding Sally, documentaire au coeur de la révolution éthiopienne de 1974. Reclaiming the Throne, un documentaire sur une découverte généalogique marquée par l’esclavage.

Les conséquences directes des stéréotypes

En toute sincérité, elle nous explique qu’elle ne pensait pas aborder ce sujet dans ce projet. C’est «naturellement» que ce sujet est arrivé sur la table, lors des longs entretiens réalisés avec les différents intervenants. «C’est important d’en parler», affirme-t-elle.

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«Ce sont des non-dits qui étouffent»… Et en parler permet de montrer «que ces stéréotypes peuvent avoir des graves conséquences», pouvant mener jusqu’au suicide.

Il est alors «important d’écouter et de tendre la main». C’est un des messages que cherche à véhiculer ce film. Ayana O’Shun nous dit également être très touchée par les témoignages qu’elle a pu écouter après les projections. Elle se souvient par exemple de Jennifer, une jeune femme qui lui avoue que sa mère lui avait acheté des crèmes éclaircissantes, pour «faciliter sa vie».

C’est pour tout cela qu’il faut en parler. Comme l’affirme Julie Jardel, «les clichés ne tombent que si on fait l’effort de les déconstruire, petit à petit». C’est justement ce à quoi pourrait servir Le Mythe de la femme noire.

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Dope is Death, un documentaire sur le Dr. Mutulu Shakur, beau-père de Tupac, qui a créé le premier programme de désintoxication par acupuncture en 1973. Beloved, un documentaire iranien sur une vieille femme heureuse parmi ses vaches.

Les forces du cinéma

Aujourd’hui, même s’il y a des exceptions, ces clichés sont toujours représentés dans les productions cinématographiques. Dans Noire n’est pas mon métier, l’actrice française Aïssa Maïga rassemblait des témoignages d’actrices qui affirmaient se retrouver en permanence à jouer les mêmes rôles.

Pour la réalisatrice, le cinéma peut alors montrer qu’un autre monde est possible. «Avec les films documentaires», explique Ayana O’Shun, «on peut se connecter avec des personnes que l’on pensait, à tort, loin de nous». Les films permettent «une expérience d’unité dans un monde fait de diversités».

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Le cinéma, c’est aussi «parler des vraies choses d’une façon qui inspire, qui touche, qui motive, qui choque, ou qui provoque», déclare Julie Jardel. «Le cinéma a ce pouvoir de réussir à dire beaucoup en peu de temps», poursuit la directrice. «Il est à la fois une échappatoire, et un miroir d’une réalité qu’on ne voyait pas avant, consciemment ou inconsciemment».

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Bringing Back Christmas, une comédie de Noël. Toronto Motel, un court-métrage dramatique.

Persévérer a du bon 

Pour arriver à ce résultat, il n’a pas fallu baisser les bras. «Ce film a pris dix ans à réaliser, c’était très long de convaincre les distributeurs», nous apprend Ayana O’Shun. Mais au final, elle est heureuse d’affirmer que «ça a valu la peine de persévérer».

Dans sa «cuisinière à projets», comme elle aime la représenter, Ayana O’Shun a beaucoup de casseroles sur le feu. Toujours centré sur les questions des diversités, la cinéaste a reçu les financements pour son prochain film.

Rendez-vous à Hamilton

Pour découvrir ce film «essentiel» dans les meilleures conditions, il ne faudrait pas manquer l’ouverture du Black Film Festival de Hamilton, le 26 mai. C’est «toute une programmation qui est prévue pour l’occasion dans le magnifique Westdale», selon Julie Jardel.

Hamilton Black Film Festival
La salle du Westdale, un cinéma datant de 1935 classé «trésor historique» à Hamilton. Photo: thewestdale.ca

D’autres documentaires sont à l’affiche. Finding Sally, l’histoire d’une jeune fille d’une famille de la classe supérieure qui est devenue un rebelle communiste avec le Parti révolutionnaire du peuple éthiopien. Reclaiming the Throne s’intéresse au parcours et l’histoire familiale de son réalisateur, Joshua Cullins. Des longs et courts-métrages sont également au programme: Big Guy, Toronto Motel, ou encore la comédie Bringing Back Christmas.

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Tout ces films seront également disponibles en ligne. Comme le festival virtuel s’étend sur deux jours de plus, la programmation diffère quelque peu: un plus grand nombre d’oeuvres seront disponibles entre les 26 et 30 mai.

En plus des projections, «des discussions en personne avec des réalisateurs et réalisatrices» sont également au programme. Il y aura aussi des «remises de prix», et «un concert de kora, instrument envoûtant de l’Afrique de l’Ouest».

Julie Jardel l’assure, «vous ne serez pas déçus»!

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