Un couple de Noirs contre le Château Frontenac en 1945

Château Frontenac, François Charbonneau, L’Affaire Cannon
François Charbonneau, L’Affaire Cannon. Enquête sur le combat d’un médecin afro-américain contre la discrimination raciale au Château Frontenac, essai. Montréal, Éditions du Boréal, 2025, 328 pages, 32,95 $.
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Publié 10/05/2025 par Paul-François Sylvestre

Le Dr George Dows Cannon et son épouse Lillian Moseley se voient interdire l’accès à la salle à manger du Château Frontenac (Québec) en 1945 parce qu’ils sont Noirs. Quatre-vingts ans plus tard, dans un essai intitulé L’Affaire Cannon, François Charbonneau révèle les tenants et aboutissants du combat de ce médecin afro-américain contre la discrimination raciale en terre québécoise.

Je vous préviens que l’ouvrage a les allures d’une thèse de doctorat. On y trouve 576 notes en bas de pages. La bibliographie comprend 219 articles de journaux ou de revues, 94 rapports, livres, thèses et parties d’ouvrages, 18 écrits de George D. Cannon, 16 fonds d’archives, 12 entretiens et courriels avec l’auteur, ainsi que 11 sites Internet.

Ce n’est qu’à la page 189 que nous apprenons l’infortune du couple Cannon-Moseley au Château Frontenac. Nous avons d’abord droit à une description fouillée du tumultueux parcours universitaire et professionnel de ce médecin afro-américain, auquel s’ajoute son militantisme acharné en faveur des droits de la minorité noire aux États-Unis.

Plaintes de clients américains

Le 29 juillet 1945, le couple se voit assigner la chambre 4119 au Château Frontenac, «l’hôtel canadien le plus célèbre au monde». Les 30 et 31, il soupe au son de la musique classique dans la salle à manger. Mets excellents et serveurs prévenants. «I was drinking deep from the cup of enjoyable life. Du moins, jusqu’au soir du mercredi 1er août.»

Le maître d’hôtel explique à George qu’il ne peut pas les servir, selon un ordre catégorique du directeur de l’hôtel. L’adjoint de ce dernier explique qu’ils ont reçus des plaintes de clients américains indignés de la présence du couple noir les derniers soirs.

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Résultat: interdire à George et Lillian l’accès non seulement à la salle à manger, mais à l’ensemble des espaces publics du Château.

Victoire et règlement

Cannon entend porter plainte. Son avocat new-yorkais le dirige vers le Barreau du Québec, et c’est Me Édouard Laliberté qui obtient du juge Oscar Boulanger une injonction interlocutoire ordonnant au Château Frontenac de cesser de bafouer les droits du couple Cannon-Moseley. Elle s’accompagne d’une assignation à comparaître pour une poursuite en justice en vue d’une indemnité de 900 dollars.

À partir du samedi 4 août, le médecin et son épouse retrouvent – par ordre de la Cour supérieure – le droit dont ils avaient été privés de se rendre à la salle à manger. Il faudra attendre plus d’un an (4 octobre 1946) pour parvenir à un règlement à l’amiable déposé à la Cour supérieure du Québec: 1 091,81 dollars canadiens (capital, intérêts et dépens ou frais d’avocats).

En plus de payer cette indemnité, le Château Frontenac demande que le règlement ne puisse être interprété comme une reconnaissance de culpabilité. Il s’engage à ne jamais discriminer quiconque sur la base de la couleur de sa peau, mais refuse de reconnaître avoir exclu le Dr Cannon et son épouse «par préjugé de race».

Anglos et francos

François Charbonneau s’intéresse à la réaction du public de la Vieille Capitale et à la couverture médiatique de ce qu’il est convenu d’appeler «l’Affaire Cannon». Le docteur et son épouse reçoivent de nombreux encouragements des résidents de Québec qui expriment leur indignation. Constat: le Château Frontenac (anglais) a discriminé, mais la ville de Québec (française) n’est pas raciste.

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Et dans la presse canadienne-française et dans les journaux canadiens-anglais, les mots Nègre ou Negro se retrouvent parfois dans les titres d’articles décrivant ce qui s’est passé au Château. L’auteur note que cela, «à l’époque, n’a strictement aucune connotation péjorative».

Chose curieuse, Charbonneau a fouillé les journaux québécois et canadiens d’octobre 1946 à octobre 1947 et a «trouvé exactement… zéro article parlant de l’entente». Son livre est le premier à en traiter, avec une méticulosité exemplaire, dois-je préciser.

Auteurs

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

  • l-express.ca

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