Roman phare sur l’amitié ambivalente

Sébastien Dulude, Amiante
Sébastien Dulude, Amiante, roman, Montréal, Éditions La Peuplade, 2024, 224 pages, 27,95 $.
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Publié 05/07/2025 par Paul-François Sylvestre

Après trois recueils de poésie, Sébastien Dulude signe un premier roman où il aborde l’enfance avec brio. Intitulé Amiante, cette prose finement ciselée porte sur une amitié particulière, avec juste ce qu’il faut de non-dits et d’ellipses.

Les protagonistes du roman sont Steve Dubois, 9 ans, et Charlélie Poulin, 10 ans. Ces deux garçons vivent à Thetford Mines, ville phare de l’industrie de l’amiante québécoise. L’action se déroule d’abord durant l’été 1986, période où les deux garçons s’abandonnent aux plaisirs de l’amitié.

Enfants inséparables

La première fois que Steve rencontre le petit Poulin, il remarque d’abord un garçon à la dégaine polissonne, puis «l’ami que je cherchais désespérément». Devenus inséparables, les deux enfants passent l’été en enfourchant leurs vélos ou allongés dans leur cabane dressée dans un pin.

Leurs sentiments se forgent parmi «le frisson aigu des grillons, les trilles des passereaux et le sifflement des couleuvres». Très tôt dans le roman, Steve sent la peau de la cuisse de Charlélie contre la sienne. «Une électricité chaude reliait nos chairs…»

L’air de leur bouche s’échange. Le faîte du slip de Charlélie semble tendu, voire palpitant. Steve empoigne doucement le sexe de son ami et apprécie l’étrange humidité qui se forme à la pointe. «Bruissement d’ailes d’un oiseau en envol. Nous nous sommes éveillés. Ça n’avait rien d’éternel.»

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Poésie et rudesse

Le narrateur Steve est manifestement amoureux de Charlélie. Le romancier mêle poésie et rudesse du paysage minier pour dépeindre une amitié aussi profonde qu’ambivalente. Le texte de Sébastien Dulude m’a séduit par son écriture sensorielle, par sa façon d’illustrer comment l’enfance s’effrite sur l’adolescence.

Le roman comprend deux parties d’environ cent pages chacune. Il y a d’abord la rencontre amicale-amoureuse en 1986, puis nous assistons cinq ans plus tard à la reconstitution d’un paradis évanoui. Entre ces deux périodes, il y une tragédie qui affecte le cours de la vie de Steve.

Réflexion faite, l’adolescent ne sait plus si à neuf ans il ressentait consciemment «que le beau visage renaré de Charlélie Poulin, le calme anémone de ses longs cils et le cyan à ses lèvres étroites» lui inspiraient un ordre de sentiments fiévreux.

Mère et père

La mère de Steve est plus à l’aise en anglais. Mom ne dépose pas un bisou mais plutôt un kissy sur la joue de son fils. Elle prépare pea soup & soda crackers. Elle dit à son mari: «change de canal, Pierre, this isn’t for his age».

Pierre Dubois travaille à la mine. Il n’apprécie pas les posters d’hommes aux torses nus, tatoués et vêtus de cuir moulant sur les murs de la chambre de son fils. «Tu vas m’enlever tes photos de tapettes.» Qu’aurait-il dit s’il avait su que Steve gardait la photo de Charlélie dans son portefeuille?

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De 1986 à 1991, les confidences de Steve «se meuvent de crique en ruisseau en rivière». Il voit cela comme un seul territoire dans lequel ses émotions et ses sensations circulent librement, indistinctement, à feu doux.

Roman primé

Le romancier écrit que les mains de Charlélie soulageaient l’humeur en vrille de Steve, le rattrapaient. «Même maladroites, approximatives, ses caresses s’infusaient sous ma peau et me consolaient, comme tous les gestes de mon ami, ses paroles, ses regards. Il savait m’attiédir.»

Amiante a été trois fois lauréat, notamment pour le Prix des libraires du Québec, et douze fois finaliste, y inclus pour le Prix littéraire Le Monde.

Je reprends les mots du critique Dominic Tardif (La Presse), qui estime que ce roman a été écrit dans une langue «qui traduit certes le quotidien alangui de son personnage, mais peut-être davantage ce qui bourgeonne dans son esprit et son coeur».

Auteurs

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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