Quatre porte-paroles acadiens reçus à l’Élysée en 1968

«Quatre mousquetaires»

Acadiens, de Gaulle
Photo officielle devant le palais de l’Élysée: de g. à d., Gilbert Finn, Léon Richard, le président de Gaulle, Adélard Savoie et Euclide Daigle. Photo: P420-B010, Fonds Léon Richard, Docteur, Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson de l’Université de Moncton
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Publié 10/11/2024 par Marc Poirier

En janvier 1968, le président français Charles de Gaulle accueillait officiellement, au palais de l’Élysée, quatre représentants du peuple acadien pour une rencontre historique, ce qui marquait la reprise formelle des liens entre la France et la descendance de son ancienne colonie.

La démarche était plus que symbolique: elle a donné lieu à une entente par laquelle la France allait apporter une aide tangible à la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick. Ces «retrouvailles» jetteront les balises des relations entre la France et l’Acadie, qui se poursuivent jusqu’à nos jours.

Ce genre de situation est rarement le fruit du hasard. La visite de ceux qu’on allait qualifier de «quatre mousquetaires» a été le résultat de nombreuses tractations de coulisse et du travail de fins stratèges, avec l’apport direct du président de Gaulle lui-même.

Genèse de la visite acadienne en France

Tout se joue en juillet 1967 lors de la visite officielle du président de Gaulle au Canada au cours de laquelle il déclare «Vive le Québec libre!». Avant de prononcer cette phrase à Montréal, qui devient instantanément le symbole de la montée nationaliste du Québec, le général était arrivé à Québec par bateau.

Acadiens, de Gaulle
En 1967, le président Charles de Gaulle a visité le Québec (ici à Sainte-Anne-de-la-Pérade). Photo: Nichole Ouellette et Maurice Cossette, Wikimedia Commons, partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

Dans son discours à Québec, le président fait état de son souhait de renforcer la coopération entre son pays et «les Français de ce côté-ci de l’Atlantique». Dans la foule se trouve l’Acadien Gilbert Finn, qui est à Québec par affaires.

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De Gaulle adressait alors ses propos aux Québécois uniquement, mais il est bien conscient de la réalité francophone pancanadienne, et même acadienne.

Il en donne d’ailleurs la preuve lors d’une conférence de presse à Paris quelques mois plus tard. Il évoque alors les liens qu’il souhaite renforcer avec «tous les Français du Canada qui ne résident pas au Québec et qui sont un million et demi», tout en soulignant, en particulier, «ces deux-cent-cinquante-mille Acadiens, implantés au Nouveau-Brunswick et qui ont, eux aussi, gardé à la France, à sa langue, à son âme une très émouvante fidélité».

Organisation de la visite

À ce moment, la visite des «quatre mousquetaires» est déjà en préparation. C’est un haut fonctionnaire français, Philippe Rossillon, qui avait posé les pièces du casse-tête pour que quatre de ces Acadiens du Nouveau-Brunswick soient invités à Paris.

Plusieurs informations de cet épisode proviennent de l’ouvrage de Robert Pichette, L’amour retrouvé de la France pour les Acadiens: De Gaulle et l’Acadie. L’auteur était aux premières loges de ce qui se passait parce qu’il était à l’époque chef de cabinet du premier ministre néo-brunswickois, Louis J. Robichaud.

Robert Pichette, Acadie, de Gaulle
Dans son livre, l’auteur Robert Pichette relate en détail les prémices de la célèbre visite de la délégation acadienne en France, en janvier 1968.

Philippe Rossillon était l’un des organisateurs de la visite du président français au Québec. Sept semaines plus tard, soit en septembre 1967, il fait partie d’une mission menée par le ministre de l’Éducation nationale, Alain Peyrefitte, qui vient au Québec concrétiser les engagements pris par la France lors de la visite du général de Gaulle.

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Or, Rossillon veut absolument que l’Acadie tire parti de cette nouvelle collaboration. Il se rend à Moncton en septembre et cible personnellement les quatre éminents Acadiens qui rencontreront de Gaulle.

En plus de Gilbert Finn, il s’agit d’Adélard Savoie, recteur de l’Université de Moncton, d’Euclide Daigle, ancien rédacteur en chef du journal L’Évangéline et vice-président de l’Association acadienne d’éducation, et du docteur Léon Richard, président de la Société nationale de l’Acadie. Ce dernier agira comme président de la mission en France.

Même si ces quatre hommes font partie de l’élite acadienne, ils ne font pas l’unanimité, particulièrement dans le Nord du Nouveau-Brunswick, qui déplore qu’une seule région acadienne (celle de Moncton) soit représentée.

Rossillon réunit les quatre porte-paroles pour les informer que de Gaulle veut conclure un accord franco-acadien. Il se présente comme l’émissaire du président.

Les hommes discutent des besoins les plus pressants de la communauté acadienne. Rossillon leur propose ensuite d’adresser une lettre (à laquelle il contribuera) à de Gaulle pour lui demander une rencontre et lui exposer leurs demandes.

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À la fin d’octobre, de Gaulle leur répond et les invite formellement en France. La rencontre est prévue pour décembre, ce qui fait que la logistique doit s’organiser à un rythme accéléré.

Visite chargée de deux semaines

En fin de compte, les quatre Acadiens arrivent en France le 7 janvier 1968. À l’aéroport, de hauts fonctionnaires français les accueillent avec du champagne. Ensuite, ils montent dans les limousines qui les attendent et profitent d’une escorte motorisée.

Leur séjour de deux semaines sera chargé, avec des visites de musées (ils rencontrent André Malraux), de grandes entreprises, d’instituts. La France veut leur montrer ce qu’elle fait de mieux et toute sa modernité.

Certains se rendent même à Toulouse pour y voir la construction du Concorde, le célèbre avion supersonique à la fine pointe de la technologie aéronautique.

Le samedi 20 janvier, c’est le point culminant de la mission: la rencontre avec le président de Gaulle, au palais de l’Élysée. Les porte-paroles acadiens posent pour la photo officielle devant ce prestigieux site. C’est un traitement habituellement réservé aux chefs d’État que reçoivent ces représentants d’un peuple sans pays.

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Les quatre hommes ont un entretien privé de 45 minutes avec le président avant de prendre part au déjeuner officiel. Le président débute son toast en disant: «Après plus de deux siècles et demi où nous fûmes séparés, voici que nous nous retrouvons entre Acadiens et Français de France.»

Il le termine en levant son verre «en l’honneur des Acadiens, rameau très cher et, par bonheur, retrouvé».

journal L'Évangéline, Acadie
L’édition du 5 décembre 1956 de L’Évangéline: Photo: Google News Archives

Entente France-Acadie

La France se montre généreuse dans cette première entente avec les descendants de son ancienne colonie. Le journal L’Évangéline reçoit 400 000 $. L’Université de Moncton recevra 10 000 livres pour sa bibliothèque et une vingtaine de coopérants-professeurs.

D’autres coopérants seront envoyés dans les hôpitaux francophones et à L’Évangéline. Un don d’environ 22 000 $ est versé à la Société nationale de l’Acadie. Une commission est également créée afin de distribuer des bourses France-Acadie. Enfin, un service culturel au consulat de France à Moncton est créé.

Au lendemain du retour des envoyés acadiens, L’Évangéline titre en grosses lettres: «L’Acadie renaît». C’est l’euphorie du moment. Cette rencontre historique marquera le début d’une collaboration continue entre les deux partenaires.

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La visite permet également à la communauté acadienne de faire ses premiers pas sur la scène internationale.

Neuf ans plus tard, les Acadiens font leur entrée dans l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) lorsque le Nouveau-Brunswick, en même temps que le Québec, y est accepté comme membre à part entière.

Grâce à la descendance du Grand Dérangement, la Louisiane adhère à l’OIF en 2018 et la Nouvelle-Écosse en 2024, toutes deux avec le statut d’observateur.

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