Quand le français régnait des deux côtés de la rivière Détroit

Détroit
Gravure du XIXe siècle représentant Cadillac et son groupe arrivant au futur site de Détroit. Photo: Wikimedia Commons, domaine public
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Publié 21/09/2025 par Marc Poirier

Les régions de Windsor, en Ontario, et de Détroit, au Michigan, partagent le même héritage remontant à la Nouvelle-France. C’est la guerre qui finira par séparer les colons de descendance française dans deux pays distincts, ce qui leur fera connaître des destins bien différents.

Langlois, Drouillard, Goyeau, Parent, Ouellette: ces noms de rue de la ville de Windsor sont un rappel constant que les premiers colons établis sur la rive sud de la rivière Détroit étaient d’origine française.

Près de 50 ans après la fondation de Détroit, le gouverneur de la Nouvelle-France offre des terres sur la rive Sud de la rivière Détroit afin de coloniser la région qui allait devenir les villes de Windsor et de LaSalle. Des dizaines de familles répondront à l’appel.

C’est d’ailleurs l’établissement de LaSalle qui accueille les premiers colons en 1749. L’endroit prendra le nom de Petite Côte en 1794 avant d’être rebaptisé LaSalle en 1924. Il s’agit du plus ancien établissement européen permanent en Ontario.

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Image du fort Pontchartrain en 1710. Photo: Wikimedia Commons – Domaine public

Fondation de Détroit

La région de la rivière Détroit n’est pas inconnue des Français. Des jésuites y séjournaient depuis plusieurs années afin d’évangéliser les populations autochtones. Quelques coureurs des bois sont également présents.

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Vers 1680, René-Robert Cavelier de La Salle avait emprunté la rivière Détroit lors de sa célèbre expédition qui l’a mené jusqu’à l’embouchure du fleuve Mississippi, au bord du golfe du Mexique.

La rivière Détroit est également un site stratégique. Elle relie le lac Érié au lac Sainte-Claire, sur la route vers le lac Huron. Les autorités à Québec reconnaissent son importance en cas de conflits avec l’Angleterre.

Dans ce contexte et avec l’appui du roi Louis XIV, l’explorateur Antoine de Lamothe Cadillac quitte Montréal en 1701 avec une centaine de soldats, de colons et deux missionnaires.

C’est sur la rive Nord, aujourd’hui Détroit , qu’il fait construire le fort Pontchartrain. Suit peu après la construction d’une petite chapelle. C’est le début de la paroisse de Sainte-Anne du Détroit, qui existe toujours; elle est réputée être la deuxième plus ancienne paroisse catholique en activité continue des États-Unis.

La chapelle sera par contre rapidement détruite par un incendie déclenché par des Autochtones. Le brasier abîme aussi le fort et ravage d’autres bâtiments, dont la résidence de Lamothe Cadillac. Mais on reconstruira.

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Détroit
Détroit et Windsor. Carte: Google

Rébellion autochtone

La présence française sur les deux rives de la rivière Detroit s’accroît.

En 1755, on dénombre environ 500 habitants à Détroit. Mais cela ne devait pas durer. Après la conquête de Québec en 1759 et Montréal en 1760, les Britanniques sont maîtres du Canada.

Un groupe de 200 miliciens mené par le major Robert Rogers est dépêché pour prendre possession de Détroit. Les habitants français sont toutefois autorisés à demeurer sur place, à condition de prêter allégeance à la Couronne britannique.

Les Anglais ne peuvent cependant pas savourer tranquillement leur conquête pendant longtemps. Dès 1763, les nouveaux maîtres de Détroit doivent affronter une rébellion autochtone fomentée et menée par le chef outaouais Pontiac.

Mécontent de la façon dont les Britanniques traitent les Autochtones, Pontiac réussit à rassembler plusieurs nations dans le but de chasser les nouveaux occupants. Les guerriers autochtones réussissent à saisir plusieurs petits forts autour des Grands Lacs, capturant ou tuant des centaines de colons et de soldats.

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Après avoir tenté à deux reprises d’attaquer le fort Détroit (anciennement fort Pontchartrain) par la ruse de l’intérieur, Pontiac décide de l’assiéger.

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Siège du fort de Détroit, en 1763, mené par le chef Pontiac. Photo: Frederic Remington – Wikimedia Commons – Domaine public

Le Québec inclut les Grands Lacs

À l’automne, le gouvernement britannique adopte la Proclamation royale, qui réorganise ses territoires nord-américains.

Dans l’espoir de ramener la paix avec les nations autochtones, un vaste territoire entre les Appalaches et le fleuve Mississippi, des Grands Lacs au golfe du Mexique, leur est réservé, avec interdiction aux colons européens de s’y aventurer.

Certains groupes commencent alors à se dissocier de Pontiac, qui mène toujours le siège contre Détroit. À la fin octobre, le chef outaouais se résigne et bat en retraite. Mais il continuera à mener des attaques dans la région jusqu’en juillet 1765.

En 1774, l’Acte de Québec agrandit le territoire de la Province de Québec, qui englobe maintenant toute la région des Grands Lacs.

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Ancienne carte (1718) de la région des Grands Lacs, détail de la Carte de la Louisiane et du cours du Mississippi de Guillaume de L’Isle. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Indépendance des États-Unis

Un autre évènement bouleversera cependant l’ordre établi: la guerre d’Indépendance des États-Unis.

Le traité de Paris, qui met fin au conflit en 1783, accorde la région de Détroit aux États-Unis. Mais les Britanniques refusent de quitter le fort. Ils ne s’en retireront qu’après la signature en 1794 d’un nouveau traité entre les États-Unis et la Grande-Bretagne.

Par ce traité, la rivière Détroit devient la frontière séparant les deux rives toujours occupées majoritairement par des colons d’origine française.

Détroit et la rive Nord de la rivière se retrouvent alors dans le territoire américain du Michigan, alors que les établissements de la rive Sud qui formeront Windsor et LaSalle demeurent possession britannique, précisément dans le Haut-Canada. Une communauté divisée.

Après une autre guerre opposant les États-Unis et le Royaume-Uni, celle de 1812, une immigration massive venue du Kentucky et de la Nouvelle-Angleterre, ainsi que des îles Britanniques, met fin à la majorité francophone de la région de Windsor.

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La communauté francophone recevra néanmoins des renforts en provenance du Bas-Canada dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

À Détroit, le fait français amorce alors un déclin.

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Cette maison a été habitée par l’influent Jacques Baby, mais bâtie par un Écossais nommé Alexander Duff, à Sandwich, maintenant intégré à la ville de Windsor. Né à Détroit d’une famille importante, Jacque Baby déménage à Sandwich en 1794. Il siègera au Conseil législatif et au Conseil exécutif du Haut-Canada et sera nommé juge. La maison Duff-Baby est maintenant un musée. Photo: Wikimedia Commons – partage dans les mêmes conditions, 3,0 non transpo
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Le pont Ambassador est l’un des trois liens (deux tunnels existent) entre Windsor et Détroit. Un deuxième pont – nommé Gordie-Howe – est en construction depuis 2018. Il devait ouvrir cet automne, mais le tout pourrait être repoussé à 2026. Photo: Wikimedia Commons – partage dans les mêmes conditions, 4,0 international

Un saut vers le présent

Même si l’assimilation a efficacement réduit le nombre de locuteurs et de locutrices du français, la langue de Molière n’a pas disparu à Détroit, quoique sa survivance soit surtout attribuable à des personnes venues plus récemment d’Europe ou d’Afrique.

Il n’y a pas de données précises sur le fait français à Détroit, mais dans l’État du Michigan, il y aurait un peu plus de 19 000 personnes qui parlent français à la maison. Certains avancent que, sur les 10 millions d’habitants et d’habitantes du Michigan, 1 million sont de souche canadienne-française.

Quant à Windsor, selon le recensement de 2021, un peu plus de 9000 personnes sur les plus de 422 00 de la région métropolitaine de cette ville étaient de langue maternelle française, ce qui représente une baisse de 1500 personnes par rapport aux données de 2016.

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D’un autre côté, en 2021, près de 40 000 personnes déclaraient avoir une connaissance du français, soit plus de 9% de la population de Windsor. Pas trop mal pour 275 ans d’histoire des francophones de la région, qui n’a pas toujours été favorable au maintien de la langue française.

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