Quand la langue de Molière et celle de Shakespeare sont devenues égales

Les «pères» de la Confédération à la Conférence de Québec en 1864 (peinture de Robert Harris).
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Publié 11/12/2022 par Marc Poirier

La modernisation de la Loi sur les langues officielles occupe une grande part de l’actualité francophone depuis 2017. Oui, 2017!

Même si l’étude du plus récent projet de modernisation est bien avancée, les élus se tiraillent encore sur son application et son interprétation.

Souvenons-nous, les disputes autour de la Loi sur les langues officielles ne datent pas d’hier.

Le 7 septembre 1969

«L’anglais et le français sont les langues officielles du Canada pour tout ce qui relève du Parlement et du gouvernement du Canada; elles ont un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur emploi dans toutes les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.»

C’est par ces mots, inscrits à l’article 2 de la première Loi fédérale sur les langues officielles (LLO), que le Canada est devenu un pays officiellement bilingue, le 7 septembre 1969.

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Par cet acte législatif, le Canada corrigeait finalement le pacte confédératif de 1867 qui n’avait pas répondu aux attentes des francophones de l’époque, notamment des francophones qui avaient le malheur de ne pas habiter le Québec ou l’Ontario.

Loi sur les langues officielles du Canada
Pierre Elliot Trudeau, élu premier ministre du Canada en 1968. Il fera adopter la toute première Loi fédérale sur les langues officielles en 1969. Photo: Wikimedia Commons, Archives néerlandaises, domaine public

Mauvaises surprises

La protection accordée par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) aux réseaux existants d’écoles catholiques dans ces deux provinces – et qui assurait une certaine garantie aux écoles de langue française – ne s’étendait pas ailleurs au Canada, comme allaient bientôt le constater les francophones du Nouveau-Brunswick et du Manitoba.

François Larocque
François Larocque.

Selon le professeur de droit à l’Université d’Ottawa François Larocque, il aura fallu plusieurs crises et plusieurs recours devant les tribunaux pour que les francophones réalisent «à quel point ils s’étaient fait avoir» par l’AANB. «Les francophones pensaient avoir des droits linguistiques qu’ils n’ont pas eus.»

Mais revenons à l’adoption de la Loi sur les langues officielles.

Si le 7 septembre 1969 constitue évidemment une date historique, celle du 26 mars 1968 l’a été tout autant. Ce jour-là, le cabinet fédéral approuvait la proposition du premier ministre du moment, Lester B. Pearson, d’élaborer ce projet de loi, tâche que terminera son successeur, Pierre Elliot Trudeau.

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Loi sur les langues officielles du Canada
Le premier ministre Lester B. Pearson. Photo: Duncan Cameron. Bibliothèque et Archives Canada, PA-2122238

La Commission Laurendeau-Dunton: les prémices

L’histoire de l’adoption de la Loi sur les langues officielles est directement liée à la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme.

Créée en 1963 par Pearson, la Commission avait l’ambitieux mandat de «faire enquête et rapport sur l’état présent du bilinguisme et du biculturalisme, et de recommander les mesures à prendre pour que la Confédération canadienne se développe d’après le principe de l’égalité entre les deux peuples qui l’ont fondée».

Ce n’est pas de la petite bière!

Et ce mandat ne se limitait pas aux deux grands groupes linguistiques, puisque le mandat précisait la nécessité de tenir compte «de l’apport des autres groupes ethniques à l’enrichissement culturel du Canada, ainsi que les mesures à prendre pour sauvegarder cet apport».

Le multiculturalisme prendra d’ailleurs une grande place dans les travaux.

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La Commission était coprésidée par André Laurendeau, éditeur du Devoir et ardent nationaliste, et par Davidson Dunton, recteur de l’Université Carleton, à Ottawa, et ancien président de Radio-Canada. La Commission sera baptisée «Laurendeau-Dunton» pour cette raison.

Les deux hommes sont assistés de 10 commissaires, un par province, tous bilingues, dont une seule femme, Gertrude Laing, du Manitoba, et un seul francophone de l’extérieur du Québec, l’Acadien Clément Cormier, prêtre et recteur-fondateur de l’Université de Moncton.

Loi sur les langues officielles du Canada
André Laurendeau, coprésident de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Photo: Wikimedia Commons, Archives La Presse, vers 1945, domaine public

Pourquoi une commission royale d’enquête?

Essentiellement, c’était une réponse au mouvement de revendications et de contestations au sein de la société québécoise qu’avait facilité la Révolution tranquille.

Les francophones du Québec exigeaient une plus grande place dans la société canadienne, alors que d’autres évoquaient carrément la séparation de la province du reste du pays.

Dans son rapport préliminaire de 1965, après avoir parcouru le pays, la Commission constate que la situation est pire que ce qu’on percevait. Les commissaires, précise le document, «ont été contraints de conclure que le Canada traverse actuellement, sans toujours en être conscient, la crise majeure de son histoire».

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La crise tire sa source au Québec, dit la Commission, mais s’est étendue à l’échelle du pays, «à cause de l’importance numérique et stratégique du Québec, et parce qu’elle suscite ailleurs, ce qui est inévitable, des réactions en chaîne».

En toile de fond, il y avait la montée du mouvement souverainiste québécois qui faisait craindre à l’unité du pays.

Québec, nationalisme
Le nationalisme québécois a fait peur au Canada anglais pendant la deuxième moitié du 20e siècle.

Donner un électrochoc au Canada

Le diagnostic brutal de la Commission était voulu, souligne Valérie Lapointe-Gagnon, professeure d’histoire au Campus Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. «On veut vraiment donner un électrochoc au Canada, avertir les citoyennes, les citoyens que, si on continue dans cette voie-là, on fonce dans un mur.»

langues officielles, bilinguisme
Valérie Lapointe-Gagnon.

L’une des premières solutions – il y en aura plusieurs – avancées par la Commission, dans le premier volume de son rapport final publié en 1967, est l’adoption d’une loi sur les langues officielles et l’instauration du bilinguisme au sein des institutions fédérales.

La Commission recommandera aussi que l’Ontario et le Nouveau-Brunswick imitent le gouvernement fédéral. Seul le Nouveau-Brunswick agira et adoptera sa loi sur les langues officielles au printemps de 1969, quelques mois avant l’adoption de la loi fédérale.

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Les recommandation de la Commission

La loi fédérale adoptée en 1969 reprend plusieurs recommandations de la Commission :

  • Uun statut égal pour le français et l’anglais.
  • La préparation dans les deux langues officielles de l’ensemble des lois, règlements, décrets et autres documents publics du Parlement canadien.
  • Le droit du public de recevoir des services du gouvernement fédéral dans les deux langues officielles.
  • Le droit de toute personne d’être entendue dans la langue officielle de son choix par les instances judiciaires.

Le contenu de la première loi fédérale sur les langues officielles

La loi crée également le poste de commissaire aux langues officielles, dont le bureau sera mis sur pied en 1970 avec Keith Spicer comme premier titulaire.

Interprètes Parlement
Raymond Théberge, l’actuel commissaire aux langues officielles du Canada.

La loi prévoit également la création de «districts bilingues» au pays afin de mieux desservir les minorités linguistiques. Le gouvernement fédéral abandonnera cette idée par la suite.

Certaines voix s’étaient cependant fait entendre au sein de la Commission contre l’idée d’un bilinguisme institutionnel anglais-français. Le commissaire Jaroslav Rudnyckyj, d’origine ukrainienne, préconisait pour sa part un bilinguisme multiple et avançait le principe du multiculturalisme.

Si on avait suivi les recommandations du commissaire Rudnyckyj, le français aurait été une langue minoritaire parmi plusieurs autres au Canada. Donc, au lieu de renforcer le pacte francophone-anglophone de 1867, qui avait mené à la création du pays, on l’aurait sans doute affaibli.

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Langues officielles
La ministre Ginette Petitpas Taylor annonçant du dépôt du projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada, le 1er mars 2022, au Lieu historique national de Grand-Pré en Nouvelle-Écosse, avec sa statue de l’héroïne acadienne Évangéline. Photo: Alex Tétrault, Francopresse

Charte des droits et libertés

Bien que marquante, la LLO de 1969 comportera aussi des lacunes. La Charte canadienne des droits et libertés incluse dans la nouvelle constitution canadienne de 1982 élargira les droits des francophones, notamment en matière d’éducation.

Celle-ci mènera à une nouvelle mouture de la loi en 1988. Trente-quatre ans plus tard, la troisième édition de la Loi sur les langues officielles se laisse toujours désirer…

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