150 ans de porte-paroles franco-ontariens: une histoire mouvementée

Nouvel ouvrage de l’historien Serge Dupuis

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Serge Dupuis, Les Porte-paroles franco-ontariens, essai, Ottawa, Éditions David, 2021, 272 pages, 24,95 $.
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Publié 04/11/2021 par Clément Lechat

Parcourir 150 ans d’histoire individuelle et collective des Franco-Ontariens en 272 pages. C’est le défi relevé par Serge Dupuis avec son nouvel ouvrage Les porte-paroles franco-ontariens, publié aux éditions David.

L’historien natif de Sudbury a présenté son essai lors d’une conférence en ligne le 28 octobre. Un lancement en marge du congrès annuel virtuel de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), du 25 au 30 octobre.

«Cet ouvrage sera un incontournable pour documenter l’histoire des Franco-Ontariens», se réjouit Peter Hominuk, directeur général de l’AFO.

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Peter Hominuk, directeur général de l’AFO, en ouverture de la conférence.

«Un jeu d’échelles entre l’histoire politique de l’Ontario et de l’Ontario français. Les grands moments de l’organisation. Les récits de vie de ces 35 personnes qui ont occupé la fonction de porte-parole franco-ontarien, de la fin du XIXe siècle aux années 2020.» C’est comme cela que Serge Dupuis résume son travail.

Auteur en 2019 de Deux poids deux langues, Serge Dupuis est un spécialiste, entre autres, de l’histoire politique et institutionnelle des minorités francophones canadiennes et de leur rapport au Québec.

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Serge Dupuis. Deux poids deux langues Brève histoire de la dualité linguistique au Canada. Québec, Éditions du Septentrion, 2019, 234 pages, 27,95 $.

Les porte-paroles franco-ontariens est le fruit d’une initiative qui lui a été confiée par l’AFO et les éditions David en 2016 pour marquer les 110 ans de l’organisation porte-étendard de la communauté. Il a répondu aux questions de Mathilde Hountchégnon, animatrice de l’événement, et de l-express.ca.

Comment cet ouvrage est-il né?

Le projet s’inscrivait dans la planification communautaire stratégique de l’AFO. Elle voulait mettre en valeur des modèles accessibles de son passé, mais aussi préserver sa mémoire. On était en train de perdre certaines histoires et acteurs de longue date l’AFO. Tout n’était pas documenté dans les archives.

Nous avons d’abord fait un projet-pilote avec [le militant franco-ontarien] Yves Saint-Denis, en octobre 2016, pour l’interviewer alors qu’il était encore en pleine forme.

Serge Dupuis.

Nous avons pu en interviewer 17, soit la moitié des présidents de l’ACFÉO/ACFO/AFO depuis 1910. Au départ, nous voulions mettre les biographies individuellement les unes après les autres sur le site de l’AFO. Mais on s’est dit que ça pourrait faire un projet de livre.

La plus courte des entrevues a duré 45 minutes, mais la plupart ont duré de 2 à 3 heures. Je partais de fragments de l’histoire institutionnelle de l’AFO, des documents qu’on pouvait trouver sur ces individus-là, en ligne ou dans les archives du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l’Université d’Ottawa. J’ai demandé aux candidats, lorsque c’était possible, de me soumettre leur curriculum vitae afin de nourrir des questions taillées sur mesure.

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Lors de la crise scolaire du règlement 17 (1912-1927), les porte-paroles cherchent de l’aide à l’extérieur, jusqu’à Londres et au Vatican. «Aller se faire entendre ailleurs pour être plus fort ici», ça reste encore important aujourd’hui?

Oui. On le voit du règlement 17 à la résistance de novembre 2018, jusqu’à la crise à l’Université Laurentienne.

La réalité, celle du règlement 17 à l’époque, et qui est toujours la même aujourd’hui, est que les Franco-Ontariens représentent moins de 10% de la population provinciale. Donc, dans l’échiquier provincial, la francophonie est importante, mais elle n’a pas le poids quelle peut avoir au Québec ou au Nouveau-Brunswick.

Lorsqu’il y a un dialogue de sourds entre le porte-parole franco-ontarien et Queen’s Park, alors on va chercher ailleurs. Cet «ailleurs» là, en 1916, c’était le Conseil privé à Londres. En 2018, c’était l’émission Tout le monde en parle à Radio-Canada.

On va chercher des appuis ailleurs pour gêner le gouvernement provincial dans la manière qu’il traite les Franco-Ontariens, l’amener à reculer ou à reconsidérer certaines choses.

Demi-victoires

Souvent, on peut voir un lien entre le règlement 17 et la résistance de 2018, car on décroche des demi-victoires. On n’a pas le Commissariat aux services en français tel qu’il existait avant l’automne 2018, mais on a un Commissariat au sein du bureau de l’Ombudsman.

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À l’époque du règlement 17, on voulait un plein système scolaire, avec des écoles primaires et secondaires gérées par les Canadiens-Français, ou du moins par les Catholiques. Mais on finit par obtenir une demi-victoire.

C’est instructif de voir qu’on revient à des mécanismes, des réflexes et des résultats qui ont des liens entre eux.

Est-ce qu’on retrouve une fibre commune, quelque chose qui rassemble tous les porte-paroles franco-ontariens, même s’ils sont divers et appartiennent à leur génération?

Je pense que ça revient beaucoup à la dualité nationale. À l’idée que les francophones ont participé à la fondation du Canada, donc ne seraient pas des citoyens de seconde zone et mériteraient un minimum de reconnaissance et d’autonomie.

Je pense que c’est probablement ce qui rassemble tant Napoléon-Antoine Belcourt (le premier président de l’ACFÉO, ancêtre de l’AFO) que Carol Jolin (actuel président de l’AFO), qui n’ont pas vécu à la même époque.

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Napoléon-Antoine Belcourt, premier président de l’Association canadienne-française d’éducation d’Ontario (ACFÉO). Tableau: Charles Ignace Adélard Gill. Collection de la Chambre des communes.

Je ne dis pas que les présidents partagent des points de vue partisans, parce qu’on a eu des présidents qui tendaient plus à gauche, d’autres plus à droite. La plupart du temps, c’était une figure qui se trouvait au centre.

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Il y a un fil conducteur. Il est très fort. C’est un prérequis pour la fonction et il interpelle les gens pour se présenter à la présidence.

Le président de l'AFO Carol Jolin
Carol Jolin, l’actuel président de l’AFO.

Avez-vous identifié des crises de légitimité ou des déconnexions entre les porte-paroles officiels et ceux qu’ils représentent?

Ce risque-là a toujours existé. Il s’est fait ressentir à différents moments donnés. Dans les années 1970 et 1990, cette remise en question de la légitimité du porte-parole a été la plus forte. D’abord par les jeunes dans les années 1970. Puis par les nouveaux arrivants francophones dans le Centre Sud-Ouest dans les années 1990.

Dans les deux cas, les critiques étaient trop dures. Mais elles comprenaient des éléments de vérité auxquels l’organisme a dû réagir et s’adapter, non sans difficultés.

Le clergé et l’élite libérale jouaient un rôle immense dans le leadership. On se basait sur ce qu’on constatait, ce qu’on observait, des opinions… On ne pouvait pas se référer à des sondages très détaillés.

Or, j’en suis convaincu, la science et les données informent les acteurs et leur permettent de prendre de meilleures décisions qui vont correspondre aux préoccupations des gens sur le terrain.

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Élitisme

L’organisation a parfois été accusée d’élitisme. J’essaye de démontrer qu’il y a une fonction à jouer pour une certaine élite avec un rôle de porte-parole, parce que sans ça c’est le chaos.

Heureusement pour l’AFO, elle n’a pas connu de crise de légitimité dans la dernière décennie et demie, comme l’ACFO avait eu à vivre dans les années 70 et 90… Ce qui avait contribué à son déclin et à la fermeture du chapitre torontois en 2003.

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