Plus on est d’élèves, moins on apprend

La réforme va-t-elle vraiment favoriser la «résilience»?

Ontario
Des classes trop nombreuses mènent à une dégradation de la qualité de l'éducation.
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Publié 23/04/2019 par Michèle Villegas-Kerlinger

 

Les réformes concernant le nombre d’élèves dans les classes, le 15 mars par le gouvernement provincial dans  l’œuvre de l’éducation pour vous n’ont cessé de faire des vagues. On n’a qu’à penser au 4 avril lors du débrayage de quelque 100 000 élèves d’environ 700 écoles secondaires de l’Ontario.

Parents, enseignant et étudiant tous mobilisé

Malgré les dires du premier ministre Doug Ford et de sa ministre de l’Éducation Lisa Thompson (ancienne directrice générale de la Coopérative des chèvres laitières), qui voulaient donner tout le crédit de cette manifestation aux enseignants, qu’ils accusaient de manipuler les élèves, tout le mérite revient aux jeunes.

Les principaux intéressés, se sont organisés tout seuls grâce aux réseaux sociaux.

Les enseignants, eux, ont manifesté deux jours plus tard à Queen’s Park, où plus de 150 autobus de partout en Ontario se sont joints aux gens de la grande région de Toronto.

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Des milliers de professeurs, de parents, d’élèves et de conseillers scolaires ont montré leur mécontentement vis-à-vis les coupes sombres annoncées par le gouvernement provincial sur les classes.

Tout cela en exprimant leurs craintes quant à l’impact qu’auront les dites coupes dans les écoles.

Manifestation d’enseignants le 6 avril contre les compressions en éducation.

Moyenne de 28 élèves par classe au secondaire

Le premier ministre a dit que ces coupures sont destinées à améliorer le système d’éducation en Ontario. Les moyennes d’élèves par classe qu’il propose, selon lui, correspondent à celles des autres provinces du Canada.

Mais, en regardant les chiffres de plus près, on voit que ce n’est pas tout à fait exact.

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Les Maritimes ont des moyennes se situant entre 24 et 30 élèves par classe et le Québec a des limites oscillant entre 20 et 32 élèves.

Par contre, l’Alberta a une moyenne de 23 élèves entre la 10e et la 12e année, et la Colombie-Britannique, une moyenne de 22 entre la 8e et la 12e année.

Le chiffre 28 proposé par M. Ford pour le palier secondaire serait une moyenne.

Il ne mentionne pas de limite. En réalité, le premier ministre prend pour modèle pour la province de l’Ontario le système d’éducation des Maritimes.

Perte d’emplois

Quant à la ministre Thompson, elle a déclaré qu’aucun enseignant ne perdrait son poste à la suite des coupures. Elle a ajouté que le gouvernement subventionnerait toute différence éventuelle entre le nombre de profs qui partiraient à la retraite et le nombre de profs excédentaires.

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Mais des milliers d’enseignants ont déjà été mis à pied. Voici les derniers chiffres pour quelques conseils scolaires dans la grande région de Toronto:

Toronto District School Board (le plus grand de la province): environ 1000 enseignants;

Peel District School Board (le plus grand de la province après le TDSB): 369 enseignants;

Dufferin-Peel (catholique): 179 enseignants;

Halton District School Board: 155 enseignants à l’élémentaire;

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Les écoles de langue française (publiques et catholiques): 300 enseignants au cours des quatre ans à venir.

Et ce n’est qu’un début. Entre-temps, les conseils scolaires attendent l’argent promis et espèrent encore et toujours un équilibrage des classes.

Plus d’élèves, moins de choix

On estime que les réformes annoncées, dont le changement du nombre d’élèves par classe, supprimeront 3 500 postes en éducation au cours des quatre ans prévus pour la mise en place du plan du gouvernement:

à la maternelle – La moyenne actuelle de 25,57 élèves par classe ne changera pas;

De la 1re à la 3e année – La moyenne de 19,8 élèves par classe ne changera pas;

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Pour la 4e à la 8e année – la moyenne augmentera de 23,84 à 24,5 par classe;

Et enfin 9e à la 12e année – La moyenne augmentera de 22 élèves à 28 par classe.

Il est important de se rappeler que ces chiffres sont des moyennes. Donc au niveau secondaire, un professeur pourrait avoir une classe de 28, mais une autre classe de 20 et une troisième de 36…

Autre scénario: si un professeur en technologie avait trois classes de 18 élèves, son collègue qui enseigne les maths pourrait en avoir trois de 38.

Il se peut aussi que les cours en technologie soient carrément annulés, privant les élèves de la possibilité de se former dès l’école secondaire dans un domaine spécialisé.

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Qui dit moins de professeurs, dit moins de choix de cours pour les élèves, mais aussi moins d’activités parascolaires (sports, clubs, etc.). Mais aussi moins de contact entre les professeurs et les parents et moins entre les professeurs et chaque élève. Cela impliquera encore moins d’adultes et de supervision dans les écoles, moins de support sur chaque classe pour les élèves en général et pour les élèves en difficulté en particulier, et plus de violence.

Il va de soi que dans les classes nombreuses, les élèves se concentrent moins et sont moins engagés. Le professeur passe plus de temps à gérer la classe qu’à enseigner la matière proprement dite.

De plus, en Ontario, les ordinateurs et le matériel scolaire sont achetés en prévision de classes de 20 à 30 élèves et un grand nombre de salles de classe sont conçues pour un maximum de 30 élèves.

Cours de maths en Oregon pour plus de 45 élèves. Cette salle de classe fait le double de bien des salles dans les écoles ontariennes.

Ford parle de classes soi-disant modernes afin de promouvoir le succès des élèves de façon économiquement responsable.

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Sa ministre de l’Éducation parle de faire naître la «résilience» chez les jeunes grâce à des classes nombreuses. Leurs objectifs sont louables, mais leurs solutions dénotent une ignorance absolue des élèves d’aujourd’hui et de leurs besoins.

Nos élèves d’aujourd’hui

Selon Jean Twenge, psychologue américaine, spécialiste en différences générationnelles et auteure du livre iGen:Why Today’s Super-Connected Kids Are Growing Up Less Rebellious, More Tolerant, Less Happy — and Completely Unprepared for Adulthood — and What That Means for the Rest of Us», la  Génération i, ou la génération Z, qui comprend les personnes nées entre 1995 et 2012, serait unique en son genre, car elle est la première à avoir grandi entièrement avec la technologie mobile et les réseaux sociaux.

L’omniprésence des portables n’a pas que des effets désirables sur cette génération, et il faut absolument en tenir compte lorsqu’on prend des décisions qui concernent les jeunes personnes.

Leur santé mentale est plus fragile

En général, les adolescents d’aujourd’hui se sentent plus seuls et sont plus anxieux et déprimés que les jeunes des générations précédentes, ce qui affecte négativement leurs compétences sociales et même leur sommeil.

Twenge fait remarquer que la iGen, ayant grandi avec des téléphones portables, ne se souvient pas d’une ère pré-Internet. Il faut souligner qu’en moyenne, nos élèves d’aujourd’hui passent entre cinq et six heures par jour à texter, à clavarder, à jouer à des jeux vidéo, à naviguer, à diffuser en streaming, à partager des clips et des photos… Et ce, à l’école comme ailleurs.

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Selon la psychologue, plus de deux heures par jour en ligne augmente le risque de sérieux troubles mentaux.

Il s’ensuit que le nombre d’élèves souffrant d’une maladie mentale a augmenté proportionnellement à l’arrivée et avec la popularité sans cesse croissante des portables.

Le temps passé sur les réseaux sociaux prive les jeunes d’interactions sociales indispensables à leur développement. Internet crée des attentes irréalistes chez les élèves qui, s’ils ne correspondent pas aux soi-disant «normes», souffrent d’une faible estime de soi et se sentent exclus de la société.

En France, le téléphone portable est désormais interdit en classe.

Dangers physiques

Il existe aussi des dangers physiques attribuables à un usage abusif du portable: la lumière bleue endommage l’oeil, les écouteurs peuvent affecter négativement l’ouïe, la dextérité et la force des doigts sont sacrifiées au profit des quelques mouvements nécessaires pour faire fonctionner un téléphone.

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Cela dit, il semblerait louable que le gouvernement veuille interdire les téléphones en classe, mais avec un si grand nombre d’élèves à leur charge, comment feront les professeurs pour faire respecter cette interdiction? Les écoles vont-elles interdire le téléphone dans la cafétéria ou même sur leur propriété?

Avec moins de professeurs, qui surveillera les élèves? Et que faire du nombre croissant d’élèves qui souffrent de cyberdépendance et qui piquent une crise dès qu’ils sont privés de leur appareil?

Avec de plus en plus de jeunes atteints de troubles mentaux, sans parler des élèves souffrant de difficultés d’apprentissage, d’hyperactivité ou de ceux qui ne parlent ni français ni anglais qui se retrouvent dans nos écoles, comment leurs besoins seront-ils satisfaits et leur succès garanti dans une classe d’une quarantaine d’élèves? C’est ça, la classe moderne dont parle le premier ministre?

La iGen grandit plus lentement

Comparée aux générations précédentes, la iGen passe, en général, plus de temps avec ses parents, ne se hâte pas d’obtenir son permis de conduire, et semble moins s’intéresser au monde des adultes. Pour certains parents, il y a là de quoi se réjouir, mais ces choix semblent cacher une réalité troublante.

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Pour expliquer ces préférences, Twenge cite la «Théorie des histoires de vie» qui suggère que la rapidité ou la lenteur des jeunes à grandir est due à leur perception de ce qui les entoure. Un environnement hostile et compétitif force l’enfant à devenir un adulte plus vite alors qu’un environnement sécuritaire favoriserait un développement plus lent.

Dans son livre How to Raise an Adult, Julie Lythcott-Haims, ancienne doyenne des étudiants de première année à l’Université Stanford en Californie, parle plus particulièrement des enfants de parents «hélicoptères». Souvent, ces jeunes préfèrent rester dans leur coquille, ont peur de se tromper et défendent difficilement leurs droits et intérêts. Les inégalités financières les démoralisent et brisent leurs rêves pour l’avenir. Ces enfants se sentent impuissants à changer leur sort.

La ministre de l’Éducation a dit vouloir favoriser la résilience chez nos élèves. Pourtant, les experts disent que le meilleur moyen de faire naître la résilience chez un individu, c’est grâce à des relations significatives, à l’enseignement des habiletés d’adaptation et à la réflexion. C’est les enseignants et le personnel de soutien à l’école qui, travaillant en tandem avec les parents et l’administration, pourvoient ces précieux services.

Suivre les mauvais exemples

Est-ce que le système d’éducation concernant les classes? en Ontario pourrait être meilleur? Sans doute, mais vouloir suivre l’exemple des Maritimes ou encore celui des pays comme les États-Unis, dont le constat d’échec est on ne peut plus flagrant, ne semble pas être la voie à suivre.

L’ampleur du déficit et de la dette de l’Ontario n’est un secret pour personne. On n’a qu’à regarder l’horloge de la dette de la province pour se rendre compte de la situation financière précaire de la province. Ne rien faire compromet l’avenir de tous, surtout de nos jeunes qui hériteront de la mauvaise gestion des fonds publics exercée par les gouvernements du passé.

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Mais vouloir faire payer si cher nos élèves une dette qui n’est pas la leur semble injuste, voire cruel. Compromettre l’avenir de ceux qui devront, un jour, prendre la relève et s’occuper des décideurs d’aujourd’hui paraît peu logique. Le pourront-ils? Le voudront-ils?

Parfois, ce qui fait bonne figure sur papier peut avoir des conséquences désastreuses en pratique tout comme des économies à court terme peuvent coûter très cher à long terme.

La iGen est une génération pour qui la justice sociale est très importante. L’événement du 4 avril en fait foi.

Les prochaines élections de l’Ontario sont prévues pour 2022. C’est alors que les élèves qui ont quitté leurs classes le mois passé pourront faire entendre leur voix.

Auteur

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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