Partir ou rester: les inquiétudes des députés francophones libéraux

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Le gouvernement minoritaire de Justin Trudeau fait face à des motions de censure depuis le début de la session parlementaire. Il pourrait tomber à tout moment si les partis d’opposition s’entendent sur un vote de confiance. Photo: Inès Lombardo, Francopresse, au congrès libéral 2023
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Publié 08/10/2024 par Inès Lombardo

Deux sortent, deux restent. À l’approche des prochaines élections fédérales, quatre députés francophones voient leur avenir et celui du Parti libéral se confronter aux intentions des conservateurs – encore floues ou absentes – notamment pour les communautés en situation minoritaire.

«Demain matin on serait un gouvernement majoritaire assuré, un raz-de-marée libéral, je ne changerai pas ma décision.»

Pour René Arseneault, c’est la famille surtout qui a pesé dans sa décision de quitter la scène politique fédérale. «Mes enfants sont tous revenus à côté de chez nous», lâche-t-il avec un sourire.

«J’ai besoin d’une pause politique, de me reconnecter avec le travail, quand le poids de ton travail et de ta sueur mène à quelque chose. Qu’il n’y ait pas d’influence, de jeu ou de stratégie, parce que c’est ça la politique, tu fais dix pas le jour, puis la nuit c’est six pas en arrière sans aucune raison.»

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René Arseneault, député sortant de Madawaska–Restigouche au Nouveau-Brunswick, assure qu’il ne voit pas Pierre Poilievre rester plus de quatre ans s’il est élu aux prochaines élections fédérales. Photo: courtoisie

Le député néo-brunswickois est le deuxième francophone en région minoritaire à avoir annoncé son départ du caucus libéral cet été, après Francis Drouin.

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Ce dernier confie quant à lui avoir perdu «le cœur et la passion» d’être député, non pas à cause de la controverse qui a suivi ses propos en comité au printemps, mais bien à cause d’une forte pression et surtout, à la demande de sa conjointe.

Les deux députés reconnaissent qu’il y a une «fatigue» ambiante à l’égard de Justin Trudeau dans leurs circonscriptions, principalement rurales, et que les électeurs se sentent déconnectés des décisions prises à Ottawa. Cependant, ils nient que les sondages favorables aux conservateurs pour les prochaines élections fédérales aient pesé dans leur décision de quitter.

Les intentions de vote pour les élections fédérales de 2014 à aujourd’hui

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Les sondages n’ont jamais été si défavorables pour le Parti libéral de Justin Trudeau, qui se retrouve pratiquement au même niveau d’intentions de vote que le Nouveau parti démocratique (NPD), autour de 21%. Le Parti conservateur de Pierre Poilievre en récolte jusqu’à 43%. Source: Angus Reid Institute 2024

Moins de financement pour les francophones?

Si le Parti conservateur du Canada accède au pouvoir, Francis Drouin craint que, «comme sous Harper», les enveloppes aux organismes francophones en situation minoritaire soient gelées. «[Les francophones] ont survécu, mais ils n’ont pas pu avancer.»

René Arseneault nuance: «Pour les droits linguistiques, la nouvelle Loi sur les langues officielles, ça se change difficilement. La feuille de route est déjà déployée jusqu’en 2028.»

Les conservateurs avaient d’ailleurs massivement voté en faveur du projet de loi C-13, devenu la loi modernisée sur les langues officielles.

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Selon le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles, Randy Boissonnault, les francophones hors Québec ont «besoin de champions qui savent ce que c’est de vivre en situation minoritaire».

Il rappelle que le Plan d’action pour les langues officielles, présenté par les libéraux en 2023 avec un budget «record» de 4,1 milliards $, touche une trentaine d’initiatives et huit ministères.

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Le ministre Randy Boissonnault, également député d’Edmonton–Centre, annonce qu’il se représentera officiellement en janvier. Photo: Inès Lombardo, Francopresse

Un Plan d’action bonifié, mais pas permanent

Le Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 a repris la somme de 2,7 milliards $ sur cinq ans du plan précédent. Cette somme est permanente, donc reconduite à chaque plan.

Toutefois, la nouvelle somme de 1,4 milliard $ ajoutée en 2023 amène bien à un total de 4,1 milliards $, mais il s’agit d’une somme temporaire, qui pourrait ne pas être reconduite après 2028.

Peur des coupes

Si les conservateurs veulent modifier la nouvelle Loi sur les langues officielles, «ils doivent introduire une nouvelle législation», rappelle François Rocher, professeur émérite à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

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Le politologue François Rocher. Photo: courtoisie

«Par ailleurs, même si la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale a elle aussi été adoptée, elle n’est pas encore en vigueur, car on attend toujours le décret et l’adoption des règlements pour la rendre opérante.»

Mais c’est surtout l’avenir du Régime canadien de soins dentaires, de l’allocation canadienne pour enfants (ACE) ou encore des garderies à dix dollars qui préoccupent René Arseneault, Randy Boissonnault et Francis Drouin.

Sollicités, des députés du Parti conservateur du Canada n’ont pas donné suite à nos demandes pour clarifier leurs positions sur ces sujets.

«Ces craintes ne sont pas infondées étant donné le “flou artistique” qui entoure la position des conservateurs sur ceux-ci, remarque François Rocher. Comme toutes ces politiques sont particulièrement coûteuses et que Pierre Poilievre ne cesse de dire qu’il faut réduire les dépenses de l’État canadien, couper ou retarder ces programmes me semble être dans la mire des conservateurs.»

Pour Francis Drouin, l’avenir de l’information serait également en jeu sous un gouvernement conservateur. «Je trouve qu’un parti politique qui dit “je veux éliminer CBC”, ça va avoir un impact sur Radio-Canada. Et ça va avoir un impact sur les communautés en situation minoritaire.»

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Son collègue René Arseneault voit un défi plus large. «Tout se dit et se vaut. Il n’y a plus du tout de respect par rapport aux professionnels de l’information. Quelqu’un qui a étudié, qui a fait sa carrière là-dedans, il n’est pas plus pesant qu’un “nono” qui prend son téléphone cellulaire et qui dit n’importe quoi.»

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Le député franco-ontarien Francis Drouin assure que la fatigue d’une partie de la population envers Justin Trudeau est due au «cycle politique normal». «Ça arrive à n’importe quel gouvernement au bout de neuf ans!» Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

«Le Parti libéral va gagner les prochaines élections»

Mona Fortier, députée fédérale d’Ottawa–Vanier, partage les mêmes appréhensions que ses trois collègues quant à un éventuel gouvernement Poilievre, mais elle y ajoute les droits reproductifs des femmes et «une fonction publique en santé».

Ce sont ces raisons qui la «motivent le plus» à se représenter à nouveau sous la bannière libérale. «[Pierre] Poilievre n’a pas de plan», réagit-elle en entrevue avec Francopresse. La députée assure simplement qu’elle «sera prête pour aller affronter les opposants».

Écartée du Cabinet par Justin Trudeau en 2023, elle a été remplacée par Anita Anand au Conseil du Trésor. Sans commenter cette exclusion, elle assure avoir de nouveau eu «l’honneur pour la troisième fois» d’être tout juste nommée par le premier ministre à la présidence du Comité national de la plateforme libérale.

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La députée Mona Fortier se dit «prête» pour les prochaines élections fédérales. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

Randy Boissonnault fait lui aussi partie de ceux qui se représenteront aux prochaines élections.

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Malgré le désir de changement des Canadiens, visible dans le dernier sondage sur les intentions de vote des élections fédérales de l’institut Angus Reid, le ministre lance: «Les sondages, c’est la dernière chose que je regarde. Le seul qui compte est celui de la journée de l’élection, point à la ligne.»

«Le parti libéral va gagner les prochaines élections, sous le leadership de Justin Trudeau. Tous les gens qui se sont engagés contre M. Trudeau se sont trouvés sur le mauvais côté de l’histoire le lendemain.»

Bon nombre de députés espèrent «rebâtir» le parti, assure une source libérale proche du caucus, avec la volonté de voir à sa tête un nouveau chef. Plusieurs d’entre eux s’attendaient à ce que Justin Trudeau jette l’éponge et déclenche des élections dans l’été.

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