L’odyssée des Cadiens de la Louisiane

Cadiens, Louisiane
L’arrivée des Acadiens en Louisiane, une murale réalisée par Robert Dafford à Saint-Martinville, en Louisiane. Photo: Flickr CC BY-NC 2.0 DEED
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Publié 09/03/2024 par Marc Poirier

«On était en Louisiane avant les Américains, on sera ici après qu’ils sont partis.» Ce gros clin d’œil de la chanson Ma Louisiane, du chanteur louisianais bien connu Zachary Richard, résume admirablement l’esprit cadien qui prévaut toujours dans cet État du Sud des États-Unis.

Cadien et non cajun, car mettons tout de suite une chose au clair: le mot «cajun» ne devrait pas exister en français. Pour le dire poliment, il s’agit d’un anglicisme. Pour être vrai, c’est une corruption linguistique, une déformation d’une déformation, un illogisme. Bref, c’est pas beau!

Les Cadiens (ou Cadjins), quand ils parlent français, ne se décrivent jamais comme des «Cajuns». Pourquoi donc?

Lorsque les Acadiens se sont installés en Louisiane dans les années suivant la Déportation, ils ne s’identifiaient pas à l’oral comme des «Acadiens», mais comme des «Cadjins», soit un diminutif ou une variante d’«Acadiens» (d’ailleurs prononcé autrefois, et encore de nos jours par certains, comme Aca-djins).

Les anglophones ont écrit le gentilé comme ils l’entendaient, d’où le mot «Cajun», prononcé «ké-djeune». Des francophones de l’extérieur de la Louisiane ont par la suite «francisé» le mot anglais «Cajun» en conservant la même graphie, mais en lui donnant la prononciation française «ka-jeun».

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Voilà pourquoi «Cajun», en français, est un non-sens et devrait être extirpé des dictionnaires et de nos bouches à la faveur de «Cadiens».

Voilà pour ça.

Cadiens, Louisiane
Le drapeau des Cadiens de la Louisiane compte des références aux origines françaises (les lis), aux origines acadiennes et à la participation à la Révolution américaine (l’étoile), et à l’Espagne (la tour), pays qui a gouverné la colonie pendant 40 ans. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Dérangés, mais non déportés

Avant d’aller plus loin, déboulonnons un mythe qui a la vie dure, très dure même, voulant que les Acadiens aient été déportés en Louisiane. Faux et archifaux!

Les Acadiens ont été déportés dans les colonies américaines du Massachusetts à la Géorgie, en Angleterre et en France. Aucun n’a été déporté en Louisiane. Nada.

Les Acadiens sont arrivés en Louisiane de leur propre chef.

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Cadiens, Louisiane
La musique et la nourriture cadiennes ont énormément gagné en popularité depuis quelques décennies. Le plat d’écrevisses bouillies est un classique de la cuisine cadienne. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Le premier groupe y met les pieds en février 1764. Il s’agit de quelques familles déportées en Géorgie qui auraient été attirées en Louisiane par un certain Joseph de Goutin de Ville, né à Port-Royal en Acadie d’une mère acadienne, mais résident de la Nouvelle-Orléans depuis 1747. Il a un lien de parenté (c’est le cousin de son père) avec l’un des membres du groupe.

Une autre vague arrive quelques mois plus tard en Louisiane. Elle compte environ 600 Acadiens, qui étaient détenus en Nouvelle-Écosse, avec à leur tête les frères Joseph et Alexandre Broussard dit Beausoleil. Les deux frères ont chacun épousé une parente du nommé de Goutin de Ville.

Et puis, en 1785, arrivent en Louisiane quelque 1600 Acadiens qui avaient été déportés en France et qui ont fini par accepter l’invitation des représentants de l’Espagne en France de s’établir au chaud, parmi leurs compatriotes.

C’est sans compter les nombreux Créoles blancs (Français non acadiens) et noirs (esclaves) qui se trouvent également dans la colonie désormais espagnole de la Louisiane.

Cadiens, Louisiane
Détail d’une fresque de Robert Dafford représentant des Acadiens à Nantes, d’où des centaines d’Acadiens sont partis en 1785 pour la Louisiane. Photo: Wikimedia Commons, Attribution-Share Alike 3.0 Unported

L’enracinement en Amérique

Les Acadiens s’adaptent remarquablement à leur nouvel environnement. Plusieurs parviennent rapidement à accumuler un cheptel important. Cette relative aisance en amènera certains à atteindre le statut d’élite, ce qui, dans le Sud des États-Unis de l’époque, rime avec esclavagisme.

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Ce phénomène fera son apparition dès la fin des années 1770; en 1785, 10% des fermiers acadiens auraient au moins un esclave. À certains endroits, leur proportion aurait frisé les 40% (selon Carl A. Brasseaux, The Founding of New Acadia, Bâton-Rouge, Louisiana State University Press, 1987.)

La distance et le peu de communication font en sorte que les Cadiens et leurs frères et sœurs de ce qu’ils appellent «l’Acadie du Nord» (les provinces maritimes) n’auront que très peu de contacts pendant longtemps.

Cadiens, Louisiane
La statue d’Évangéline trône, un peu à l’écart, dans un parc de Saint-Martinville, en Louisiane. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Un phénomène qui survient au milieu du XIXe siècle leur donnera cependant une cause commune: Évangéline.

Le personnage inventé par le poète américain Henry Wadsworth Longfellow dans son livre Evangeline: A Tale of Acadie, séparé de son Gabriel à Grand-Pré au moment de leur déportation, sera un grand succès littéraire et fera connaître la saga du Grand Dérangement à l’échelle de l’Amérique du Nord et même ailleurs.

Au début du XXsiècle, les Cadiens vont «s’approprier» l’héroïne mythique qu’est Évangéline avec la publication de The True Story of Evangeline en 1907 par le juge louisianais Félix Voorhies, d’origine cadienne par sa mère, Cidalise Mouton.

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Selon Voorhies, la «vraie» histoire d’Évangéline – inspirée par des histoires familiales – est celle d’Emmeline Labiche et de Louis Arceneaux, qui ont véritablement existé.

Comme Évangéline et Gabriel, les fiancés sont séparés au moment de leur expulsion. Mais alors qu’Évangéline est réunie avec son amour sur son lit de mort à Philadelphie, Emmeline retrouve Louis sous un chêne, à Saint-Martinville, au bord du bayou Teche, lieu symbolique d’établissement acadien en Louisiane.

L’histoire finit mal: Louis s’est marié et a refait sa vie. Emmeline pleure la sienne et meurt, après avoir perdu la raison.

Cadiens, Louisiane
Le fameux chêne à Saint-Martinville, en Louisiane, où Emmeline Labiche et Louis Arceneaux, les «vrais» Évangéline et Gabriel, se seraient retrouvés après avoir été séparés pendant la Déportation. Photo: Wikimedia Commons, 2,0 Generic

Un retour aux sources

Cet élan de fierté identitaire frappe cependant un mur au tournant de la Première Guerre mondiale, alors que la Louisiane proscrit l’enseignement du français dans les écoles. On interdit même aux élèves de parler français entre eux. Ceux qui transgressent cette règle sont soumis à des punitions corporelles.

En conséquence, ces jeunes Cadiens, une fois devenus adultes, auront un réflexe d’autoprotection: ils cessent de parler français à leurs enfants. Cette répression linguistique perdure jusque dans les années 1960, provoquant des ravages pour le français en Louisiane.

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Zachary Richard.
Zachary Richard.

Le vent tourne en 1968 avec la création du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL), un organisme gouvernemental. Après avoir tout fait pour faire disparaître le français, l’État veut maintenant le rétablir et le promouvoir.

La refrancisation des jeunes se fait par le biais d’écoles d’immersion. Le rattrapage à faire est gigantesque et le succès n’est pas garanti. Mais de plus en plus de jeunes Cadiens et Créoles renouent avec la langue de leurs grands-parents et arrière-grands-parents.

Les Cadiens n’ont pas dit leur dernier mot. À l’instar des francophones à l’extérieur du Québec, on les a souvent laissés pour morts. Mais le corps bouge toujours.

Laissons le dernier mort à Zachary Richard qui, avec son âme de poète, a réussi, lors du premier Congrès mondial acadien en 1994, à lancer ce cri du cœur: «On est tombé de la falaise. Mais on n’a pas encore touché terre.»

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