Les nouvelles de Fanie Demeule: une écriture déjantée

nouvelles, Fanie Demeule, Je suis celle qui veut sauver sa peau
Fanie Demeule, Je suis celle qui veut sauver sa peau, nouvelles, Montréal, Éditions Hamac, 2022, 176 pages, 18,95 $.
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Publié 17/12/2022 par Paul-François Sylvestre

La lecture de Je suis celle qui veut sauver sa peau, de Fanie Demeule, m’a laissé passablement désorienté. Dans ce recueil de quinze nouvelles, l’autrice transgresse à la fois les raisonnements et les sentiments.

Les textes adoptent un style varié – autofiction, fantastique, drame psychologique, réalisme magique – et sont presque tous écrits au «je».

Ils explorent les zones troubles de nos obsessions, de nos vulnérabilités, de nos hontes et de nos angoisses.

Comme James Joyce

La nouvelle intitulée Wake (veillée funèbre ou mortuaire) n’est pas sans rappeler Finnegans Wake, une œuvre littéraire de James Joyce, publiée en 1939, et réputée comme étant un texte difficile, voire illisible et intraduisible.

«Des hommes et des femmes embrassent à pleine bouche le cadavre à moitié dénudé […] des doigts viennent le stimuler par des attouchements.»

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Pause pipi

Marcel Duchamp a écrit que «ce sont les regardeurs qui font les tableaux». Cela autorise la narratrice à expliquer comment les hommes sont œuvres d’art lorsqu’ils pissent debout. En se soulageant, ils se transforment en sculpture.

Dans la nouvelle Le jet, la narratrice découvre quelques postes privilégiés d’observation où le ballet des jets successifs sont synonyme de fontaine miraculeuse.

Elle épie un employé lors de ses pauses pipi et découvre comment il se transforme en «un phénomène du plus haut calibre esthétique».

Un rôle qui joue un rôle

Fanie Demeule adore multiplier les niveaux de lecture.

Dans une nouvelle où elle auditionne pour une troupe de théâtre et obtient la première place, elle «joue un rôle qui joue un rôle par-dessus le rôle [qu’elle] joue continuellement dans la vie».

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L’expérience est poussée le plus loin possible, au point de friser «l’évanouissement pour livrer ce qu’on attend de moi».

Maison toujours sale

L’autrice sait ciseler de savoureuse comparaison. Ainsi, en examinant des feux d’artifice, elle n’est pas sans remarquer le pouvoir des spectacles pyrotechniques pourtant éphémères. Demeule y voit l’image même de la vie: «bref éclat de couleur vite avalé par une noirceur insondable».

Trois étages, trois chambres, deux salles de bains, une cour. Un prix dérisoire. Mais Il faut nettoyer la maison, titre d’une nouvelle où un couple s’acharne à frotter avec rage.

La saleté ne disparaît jamais. Serait-ce que la maison est déjà propre, mais qu’il y a quelqu’un d’inlavable…?

La demi-sœur magicienne du roi Arthur

Certaines nouvelles sont parfois émaillées de références littéraires, historiques ou mythologiques.

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Lors de la veillée funèbre, il est question du Livre vermeil de Montserrat, un recueil de textes religieux parmi lesquels figurent plusieurs hymnes de la fin du Moyen Âge.

Il est question de la fée Morgane, personnage du cycle arthurien, dans lequel elle est la demi-sœur magicienne du roi Arthur. Nue, elle attend la visite de Cernunnos, dieu gaulois du renouveau et des cycles naturels, très largement représenté dans le monde celte.

Recherche originale

Dans la nouvelle sur la maison à nettoyer, il est fait allusion aux écuries d’Augias, mythe important de la littérature grecque antique, et aux eaux purificatrices du dieu-fleuve Alphée.

Grâce à un style finement ciselé et à une recherche originale, Fanie Demeule réussit à nous offrir plusieurs niveaux de lecture.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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