Le sens de la désorientation

Le confinement et les sens

Écart sanitaire et déconfinement sécuritaire: encore beaucoup de confusion. Photos: Mélanie Tremblay, Francopresse
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Publié 29/07/2020 par Lise Marie Baudry

Je planche depuis un bout de temps sur ma série sur les sens. Je n’arrivais pas à trouver la bonne amorce. Jusqu’à ce que je me rende à l’évidence: je suis plus désorientée que souffrante. Je navigue dans l’absurde.1

Déconfinement A: terrasse d’un sports bar un midi. Seule. Dans le passé, ça ne m’a jamais dérangé d’aller au resto seule. Mais depuis le 16 mars, j’ai mangé 288 repas seule. «Il y a dans tout ça comme un relent de fastidieuserie.»2

L’hôte me demande mon nom, mon numéro de téléphone. Oui, je sais: traçage. Je ne comprends pas que des gens trouvent cela une intrusion de la vie privée. Quand on faisait des réservations autrefois, on donnait notre nom et notre numéro de téléphone. Qu’est-ce qui a changé?

Cheminements obligatoires partout. Suivez les décals pour entrer. Pour sortir. Pour aller à la toilette. On vous accompagnera. Un immense jeu de Serpents et échelles. Faites attention de ne pas tomber sur un serpent.

Si vous voulez des condiments, il faut presque les apporter de chez soi. Chute du cours du ketchup. Pénurie de moutarde. Serveuses et serveurs portent des masques. Mais pas de gants. Ils nettoient soigneusement les tables et les chaises. Puis les réajustent avec leurs mains.

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Déconfinement B: je réalise que je m’étais moi-même circonscrite dans mes déplacements, généralement pour parer au plus pressé. Nous étions tellement occupés. Et nos occupations étaient tellement importantes. Il fallait faire les courses vite vite. Combiner les déplacements pour le maximum d’accomplissement. Faire plusieurs choses à la fois. Pas le temps. C’est urgent. Plus tard.

Maintenant, quand j’ai besoin d’un pain, je prends une heure ou plus. Je vais le chercher au bout du monde pour passer le plus de temps possible à l’extérieur de mon condo. En voiture, je ne fais de mal à personne, n’est-ce pas ?

Déconfinement C: Dans mon quartier, il y a des commerces qui ont fermé. Des boutiques, des restos. Il y a des vitrines vides, des annonces de location. Je réalise que même les établissements que je ne fréquentais pas vont me manquer. Ils faisaient partie de mon décor.

Dans le quartier voisin: Mon restaurant tibétain préféré est fermé. Il ne semble pas qu’il va rouvrir.

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Déconfinement D: Sport extrême # 1. Salon de coiffure. Chaises de la salle d’attente sur le trottoir. Cris d’outrage face à ma coupe confinement. Égalisation à la tondeuse. Ça repoussera.

Sport extrême # 2. Salon de pédicure. Pans de plexiglas partout. Un fauteuil sur deux est occupé. À part cela, pas grande différence dans l’expérience. Pour mes orteils, oui.

Il y a un pigeon qui vient tous les jours sur mon balcon pour roucouler contre le compresseur d’air climatisé. Le dialogue ne semble pas évoluer, le compresseur garde ses distances. Mais le pigeon est persistent.

1 Trame sonore: She’s come undone, Guess Who. Only happy when it rains, Garbage. 19th nervous breakdown, Rolling Stones.

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2 Citation littéraire: Greg, Achille Talon et l’âge ingrat, 1980, Dargaud, p.42

À litre aussi dans cette série sur le confinement et les sens:

Le son : Le silence et la fureur

Le goût : Poussière et farine

La vue: Comportements démasqués

Auteur

  • Lise Marie Baudry

    Lise Marie Baudry œuvre depuis plus de 30 ans dans la francophonie ontarienne et torontoise. Elle a notamment été directrice générale du Centre francophone de Toronto. Ses opinions n'engagent qu'elle-même.

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