Le Palais idéal: le rêve fou du facteur Cheval

Il est de ces réalisations qui ne rencontrent écho que dans nos rêves les plus fous. Si fous, qu’on se persuade exister seulement dans notre imaginaire torturé. Et pourtant, fixant devant moi les trois géants gardiens du «Palais idéal», incrustés dans un imbroglio de pierres et de coquillages, je ne peux que témoigner: le fantasme rejoint parfois la réalité.

Une œuvre folle et touchante

C’est dans la commune française Hauterives, située dans le département de la Drôme, dans la région Auvergnes-Rhône-Alpes, que l’on peut découvrir l’extraordinaire réalisation d’un seul homme, «Le Palais idéal».

En pénétrant dans ce village de maisons grises en pierre que je trouvais triste, je ne m’attendais pas à voir une construction aussi exubérante. Caché des regards extérieurs dans l’enceinte d’une propriété, le Palais idéal du facteur Cheval est une réalisation qui fascine.

Haut de 12 mètres, s’étalant sur 26 de long et 14 de large, l’édifice est un enchevêtrement de formes, de créatures animales ou mystiques, de personnages de la Bible ou de la mythologie égyptienne…

Ce palais que personne ne peut habiter semble pourtant ouvrir ses bras aux adultes comme aux enfants, à toutes les cultures et les religions avec son temple hindou, sa fontaine, sa grotte et sa mosquée.

En faisant le tour, en plongeant dans les entrailles et en montant sur la terrasse du palais, j’ai l’impression de pénétrer dans l’univers de Buñuel, de Gaudi, de Dali et de celui de nombreux artistes naïfs caribéens réunis. Je m’émerveille devant l’imagination débridée et la réalisation d’une œuvre aussi onirique.

Je suis touchée par les messages inscrits sur les parois du tunnel. Qu’ils soient citations ou mémoires d’un homme habité par son rêve, par sa passion.

Je prends du temps – et il en faut – pour admirer chaque détail, mesurer le génie de Ferdinand Cheval et le travail impressionnant que cela a dû représenter pour un homme seul de matérialiser son rêve.

Un travail de titan

«10 000 journées, 93 000 heures, 33 ans d’épreuves», déclarait Ferdinand Cheval à propos de son œuvre qu’il commença en 1879 et termina en 1912. Le labeur d’un homme fou, dirent certains à l’époque. La réalisation d’un rêve pour lui.

Facteur à pied, Ferdinand Cheval parcourt seul de longues distances pour distribuer son courrier.

Durant ses marches, il a tout le loisir de rêver aux destinations qu’il ne connaîtra jamais, aux paysages qu’ils voient sur les cartes postales qu’il distribue. Il se met alors à rêver d’un palais original dans lequel tous ses concepts de traditions, de culture, de nature s’entremêleraient.

C’est lors d’une de ses tournées de facteur que Ferdinand Cheval trébucha sur une pierre à la forme incongrue. Cet obstacle fut le détonateur de son projet. Faire de cette incongruité naturelle un monument et réaliser son rêve.

Sans l’aide ni le soutien de personne, seul avec sa brouette, le facteur Cheval érigea petit à petit son palais, selon son imagination, jour après jour, une fois sa tournée terminée.

À 76 ans, il put enfin admirer son œuvre terminée. En 1905, il écrit: «Fils de paysan je veux vivre et mourir pour prouver que dans ma catégorie il y a aussi des hommes de génie et d’énergie. Vingt-neuf ans je suis resté facteur rural. Le travail fait ma gloire et l’honneur mon seul bonheur; à présent voici mon étrange histoire. Où le songe est devenu, quarante ans après, une réalité.»

Une consécration tardive

Si cette œuvre architecture unique au monde attise la curiosité, elle ne fait pas l’unanimité.

Certains lui trouvent un aspect surchargé et rococo à outrance. D’autres, mal à l’aise, devant la densité de détails et le foisonnement de figurations et de formes la juge démente.

Ferdinand Cheval ne connaîtra jamais la reconnaissance publique et artistique de son palais.

Il faudra attendre 1969 pour qu’André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, pousse à le faire classer «Monument Historique», arguant que «en un temps où l’Art naïf est devenu une réalité considérable, il serait enfantin de ne pas classer, quand c’est nous, Français, qui avons cette chance de le posséder, la seule architecture naïve du monde, et d’attendre qu’elle se détruise». 

Aujourd’hui, le Palais idéal est devenu un site touristique non négligeable avec plus de 200 000 visiteurs par année.

Le film L’incroyable histoire du facteur Cheval, réalisé en 2018 par Niels Tavernier, avec Jacques Gamblin dans le rôle-titre et Laetitia Casta, contribua à faire connaître le palais et à accroître sa popularité en France et à l’international.

Ferdinand Cheval aurait été heureux de savoir le fruit de son labeur ainsi prisé par le monde entier.