Le défi de vieillir en français chez soi

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Comme tout le monde, les personnes âgées francophones veulent vieillir chez elles, dans leur communauté. Photo: iStock.com/AnnaStills9
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Publié 17/05/2025 par Marine Ernoult

Les personnes âgées francophones en situation linguistique minoritaire veulent vieillir chez elles dans leur langue, mais c’est un souhait souvent irréalisable. Aux quatre coins du pays, elles sont confrontées à un manque de services et de soins à domicile en français. Les initiatives se multiplient pour pallier la pénurie.

«Tous les aînés veulent vieillir chez eux quelle que soit leur langue, mais c’est d’autant plus important pour les francophones. Loin de chez eux, ils se retrouvent souvent dans des foyers de soins anglophones», affirme la directrice du Centre d’études du vieillissement de l’Université de Moncton et professeure titulaire à l’École de science infirmière, Suzanne Dupuis-Blanchard.

La chercheuse explique les nombreux avantages que représente le maintien à domicile. «Les aînés restent dans la communauté linguistique et culturelle où ils ont toujours vécu, ils peuvent continuer à s’engager. C’est bon pour leur santé physique et mentale.»

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Les gens veulent vieillir chez eux. Photo: iStock.com/lucigerma

Les établissements de soins de longue durée dans la langue de la majorité contribuent, au contraire, à leur «isolement social», estime le directeur général de la Société Santé en français (SSF), Antoine Désilets.

«Ils sont déracinés, n’arrivent pas à communiquer, car ils ont vécu toute leur vie en français et sont contraints de vivre leurs derniers moments en anglais. Ça a un cout sur leur mieux-être», poursuit le responsable.

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«Ne pas vieillir chez soi à tout prix»

Pouvoir rester chez soi n’écarte pas pour autant le risque d’isolement. Suzanne Dupuis-Blanchard rapporte que 35% des aînés francophones vivant dans leur logement éprouvent un sentiment de solitude.

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Suzanne Dupuis-Blanchard.

«Ce niveau assez élevé est inquiétant. Des études démontrent l’impact négatif de l’isolement sur la santé physique, y compris sur les maladies cardiovasculaires, avertit-elle. Il ne faut pas vieillir chez soi à tout prix, mais avec une bonne qualité de vie.»

Suzanne Dupuis-Blanchard insiste sur la nécessité de planifier son maintien à domicile, qu’il s’agisse de repenser l’accessibilité de son logement ou de réfléchir au soutien social et familial à proximité ainsi qu’aux transports accessibles.

À cet égard, le directeur général de la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada (FAAFC), Jean-Luc Racine, réclame davantage d’habitations de «type logement communautaire adapté aux besoins des plus âgés.»

D’après une étude réalisée par la FAAFC en 2023, la moitié des aînés demeurent dans des maisons familiales inadaptées et seront amenés à déménager dans les dix prochaines années.

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«Ils veulent continuer à vivre en français, mais souvent dans les communautés rurales où ils habitent, il n’y a pas d’options intermédiaires entre les grandes maisons et les foyers de soins, regrette Suzanne Dupuis-Blanchard. Ils sont alors obligés de partir.»

Des services en français «à peu près inexistants ou très précaires»

Quelles que soient les stratégies mises en place par les aînés, ils se heurtent systématiquement au manque de services et de soins à domicile en français.

«Ils sont à peu près inexistants ou très précaires. Un jour vous l’avez, le lendemain c’est en anglais, confirme Jean-Luc Racine. Quand vous introduisez quelqu’un dans votre intimité, le français est pourtant essentiel pour faciliter le lien de confiance et garantir la qualité de la prestation de soins.»

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Antoine Désilets.

Antoine Désilets rappelle pour sa part que les francophones perdent leur langue acquise avec l’âge. «Si les soins à domicile sont en anglais, ils ont besoin de leurs proches pour communiquer. Ça veut dire se reposer davantage sur des proches aidants, qui eux-mêmes n’ont pas d’appui.»

À l’automne 2024, Suzanne Dupuis-Blanchard a mené une recherche au Nouveau-Brunswick qui révèle la grande «anxiété» des aînés francophones sur le sujet.

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«Ils savent qu’ils devront accepter des services en anglais. Pour nettoyer la cour, le déneigement ou l’entretien de la maison c’est correct, mais ils ne sont pas prêts à l’accepter pour des soins personnels. Ça doit être absolument en français», détaille-t-elle.

Pour changer la situation et disposer de plus de personnel bilingue, l’experte appelle à «mieux planifier les ressources humaines». Pour elle, «il faut absolument parler du vieillissement de la population dans nos écoles, encourager les jeunes à faire carrière dans ce secteur».

«Le bilinguisme doit être reconnu comme une compétence professionnelle, renchérit Antoine Désilets. Après, il faudra faire concorder la capacité linguistique des professionnels et des usagers, et là-dessus on doit encore améliorer la collecte de données.»

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Les gens veulent vieilllir chez eux. Photo: iStock.com/monkeybusinessimages

Repenser les villes

Même lorsqu’il y a de rares services en français, les francophones, «installés dans des régions rurales éloignées ou [des secteurs] invisibles en milieu urbain», sont en effet «plus difficiles à rejoindre», déplore Jean-Luc Racine.

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Jean-Luc Racine.

La FAAFC lancera ainsi en juillet un projet d’éclaireur de proximité. Des personnes recevront une formation pour repérer les signes de vulnérabilité chez les aînés et les aînées (problème de mobilité, démence, désorganisation, etc.) en vue de les adresser à un service de soutien approprié.

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Depuis deux ans, la FAAFC propose aussi des services de soutien à domicile bénévoles dans neuf provinces et territoires. Transport, visites amicales, ménage, déneigement, l’éventail de services est large.

Au Nouveau-Brunswick, Suzanne Dupuis-Blanchard est, elle, à l’origine de l’initiative Foyer de soins sans mur. Le programme permet à des personnes âgées de recevoir une panoplie de services à domicile. Adopté par près de 30 établissements néo-brunswickois, il sera nationalisé à la fin de l’année.

Aux yeux de la chercheuse, les villes doivent aussi s’adapter aux enjeux du vieillissement. Elle incite notamment les communautés à devenir des collectivités-amies des aînés, un concept mis au point en 2006 par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Repenser les politiques de transports, d’habitat, d’emploi, de soutien communautaire et de services de santé… au total l’OMS cible huit domaines dans lesquels les collectivités peuvent améliorer leur accessibilité.

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