Le boum des cafés de spécialité

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À Calgary, Phil Robertson et Sebastian Sztabzyb torréfient eux-mêmes les grains de café qu’ils vont chercher à l’autre bout du monde. Photo: courtoisie
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Publié 02/01/2024 par Marine Ernoult

Fini le double-crème, double sucre du Tim Hortons. Pour les palais les plus exigeants, direction les bars à café, où chaque tasse est préparée avec précision et tout le savoir-faire des baristas.

«On incite les gens à déguster un café plutôt qu’à l’avaler, à redécouvrir ses qualités gustatives, aromatiques et olfactives. Ça fait partie de notre travail d’éducation», partage Pierre Tardiveau, patron du Sens Cafe à Kingston, en Ontario.

Le Français a immigré il y a un peu plus de deux ans au Canada pour ouvrir son bar à café. Le passionné est intarissable sur la saisonnalité des grains, leurs différences de goûts selon leur variété, leur terroir d’origine et leur torréfaction.

«Un grain du Brésil sera plus chocolaté, alors qu’un autre provenant d’Éthiopie sera plus fruité et moins sucré», détaille l’ancien ingénieur qui a suivi des formations en caféologie pour devenir barista.

Pierre Tardiveau
Pierre Tardiveau, originaire de France, a ouvert Sens Cafe il y a un peu plus de deux ans à Kingston en Ontario. Photo: courtoisie

Caféologie

Derrière le comptoir, Pierre Tardiveau et ses deux autres baristas réalisent leurs espresso, cappuccino, macchiato et autre latte avec la précision de véritables horlogers. Pour préserver les notes rondes et voluptueuses du café, ils utilisent des techniques d’extraction dites douces et des cafetières, appelées V60 ou encore Chemex.

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L’eau chaude traverse lentement une mouture plus grossière et moins compactée et reste plus longuement au contact du café, «révélant des arômes qui chatouillent les papilles comme du bon vin», explique Pierre Tardiveau.

Le lait est également émulsionné à 65 degrés afin de faire ressortir le sucre présent naturellement dans le gras.

John Manzo
John Manzo. Photo: courtoisie

«C’est très difficile de trouver un bon barista, ça prend des années de perfectionnement pour maîtriser toutes ces techniques», prévient-il.

Sens Cafe fait partie de ces bars qui proposent du café de spécialité: un grand cru, cultivé dans les champs d’Amérique latine ou d’Afrique, qui ne représente que 1% de la production mondiale.

«Ces endroits attachent une grande importance à la traçabilité, ils s’approvisionnent directement auprès de petits cultivateurs qu’ils connaissent, relève John Manzo, professeur associé de sociologie à l’Université de Calgary en Alberta. Ils torréfient eux-mêmes leurs grains pour garantir la meilleure qualité et la plus grande fraîcheur.»

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«Nous avons aussi une relation de proximité avec nos clients, nous défendons des valeurs communautaires et de partage», ajoute Pierre Tardiveau.

Vancouver, capitale du café

Au Canada, ces lieux se multiplient depuis le début des années 2000. Le premier à avoir ouvert ses portes est le Cafe Artigiano à Vancouver.

«Vancouver n’avait pas de traditions en la matière, tout restait à inventer. Cela a permis au café de spécialité de s’implanter et de se répandre par la suite dans le reste du pays», avance John Manzo.

Le sociologue souligne également la proximité de Seattle, où la compagnie Starbucks est née en 1971. Vancouver est la troisième ville au monde à avoir accueilli un établissement de l’enseigne américaine en 1987.

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Chez Sens Cafe, Pierre Tardiveau utilise des techniques d’extraction dites douces et des cafetières manuelles comme la V60 ou encore celle de la marque Chemex. Photo: courtoisie

Les trois vagues

Dans les années 1900, le café est avant tout considéré comme un moyen de rester éveillé, explique le sociologue John Manzo.

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Le café soluble, rapide et peu cher, voit le jour. La première vague représente donc la découverte du café et son intégration dans le quotidien. Il s’agit alors d’une consommation de masse, où les gens boivent du café pour ses effets et non pour ses qualités.

La deuxième vague apparaît dans les années 1970 avec l’arrivée des chaînes comme Starbucks, poursuit le spécialiste. La qualité s’améliore et les grandes entreprises popularisent des produits dérivés à base de café, comme le latte ou le cappuccino. Le café filtre s’impose également. Le café est élevé au rang de plaisir.

Avec la troisième vague, née au début des années 2000, le café devient un art. «La provenance des grains, les techniques de torréfaction et d’extraction sont mises de l’avant», observe Marion Bidault, directrice des opérations chez Phil & Sebastian, en Alberta.

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À Calgary, Phil Robertson et Sebastian Sztabzyb utilisent des méthodes d’extraction douce et des cafetières Chemex pour préserver les arômes du café. Photo: courtoisie

Le nouvel or noir de l’Alberta

L’art du café de spécialité a eu du mal à s’emparer de Toronto et Montréal. La présence d’importantes communautés italiennes constituerait une partie de l’explication, selon John Manzo.

«Il y avait déjà du café partout dans ces deux villes. Elles avaient leurs façons de faire, à l’ancienne, avec de vieux grains importés d’Italie, torréfiés parfois des mois avant d’être moulus.»

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Plus de vingt ans plus tard, le paysage a bien changé. Le sociologue assure que les habitants de ces deux métropoles ont désormais une «fabuleuse scène du café» à portée de tasse.

«Certaines boutiques proposent sept types de grains différents à partir desquels vous pouvez faire votre espresso, c’est incroyable… Les propriétaires doivent investir des centaines de milliers de dollars dans l’achat de moulins et de machines à espresso très haut de gamme», rapporte-t-il.

À l’Ouest, l’Alberta est devenue le nouvel eldorado du café de spécialité. À Calgary, trois pionniers se taillent une place de choix dans le marché: Phil & Sebastian Coffee Roasters, Rosso Coffee Roasters et Monogram Coffee.

Là encore, comme à Vancouver, John Manzo attribue ce boum à l’absence de tradition du café: «Avec l’esprit d’entreprise qui caractérise la ville, ça a laissé de la place à plus d’innovation.»

Ce sont les acolytes Phil Robertson et Sebastian Sztabzyb qui ont lancé le bal. En 2007, ils ouvrent un premier café dans l’enceinte du marché fermier de Calgary. Seize ans plus tard, ils possèdent neuf établissements, emploient 45 baristas et deux maîtres-torréfacteurs.

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À Calgary, Phil & Sebastian possède neuf établissements, emploie 45 baristas et deux maîtres-torréfacteurs. Photo: courtoisie

Des lieux de sociabilité

Le duo d’anciens ingénieurs maîtrise toute la chaîne de production du choix du grain vert jusqu’à la torréfaction. Une fois par an, ils se rendent dans des pays producteurs en Afrique et en Amérique latine pour visiter des plantations à la recherche de la nouvelle pépite.

À leur arrivée à Calgary, les grains sont congelés afin de «préserver leur qualité et de conserver leurs arômes pendant plusieurs mois, à l’abri des variations de température», précise Marion Bidault, directrice des opérations chez Phil & Sebastian.

Ils sont ensuite torréfiés selon une méthode brune : une torréfaction légère qui donne un côté beaucoup plus doux au produit final.

Les grains torréfiés de Phil & Sebastian se retrouvent jusque dans les percolateurs de Montréal. «Notre réputation d’avant-gardisme a maintenant dépassé les frontières de la province, et ce, jusque sur la côte Est», assure Marion Bidault.

D’un bout à l’autre du pays, l’engouement pour le café de spécialité ne se dément pas.

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«C’est un marché très dynamique, encore en pleine croissance chez les 25-40 ans. Les gens sont curieux et préfèrent de plus en plus consommer moins, mais mieux», affirme Pierre Tardiveau.

«Ces bars à café sont toujours très populaires. On y vient aussi pour bouquiner, se rencontrer, envoyer des courriels. C’est un espace de liberté, de bien-être», confirme John Manzo.

Vietnam, Coffee Dak Lak
Le café aux oeufs de Coffee Dak Lak à Toronto. Photos: Nathalie Prézeau

Fous de café 

Les Canadiens se classent sixièmes parmi les consommateurs de café dans le monde. Selon un récent rapport de l’Association canadienne du café, 71 % des Canadiens boivent au moins une tasse par jour.

Ils sont nombreux à la boire chez Tim Hortons. «Beaucoup de travailleurs vont là-bas pour avoir quelque chose de bon marché qui les maintient éveillés, c’est un mécanisme de distribution de caféine», considère John Manzo, sociologue à l’Université de Calgary.

Aux yeux du chercheur, c’est également un lieu de sociabilité pour les personnes âgées: «Elles sont là pour l’expérience sociale et veulent pouvoir rester assises longtemps pour discuter.»

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