L’attrition dans nos programmes d’immersion: un problème majeur

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Plusieurs familles anglophones inscrivent leurs enfants en immersion française pour s'assurer qu'ils deviennent bilingues. Photo: iStock.com/~UserGI15613517
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Publié 29/03/2025 par Michèle Villegas-Kerlinger

Les programmes d’immersion en français au Canada sont d’une popularité non contestée. Offerts dans toutes les provinces, bien que le modèle au Québec diffère des autres, ces programmes ont produit des générations de citoyens capables de s’exprimer, à différents niveaux, dans les deux langues officielles du pays et même, parfois de continuer à étudier ou à travailler en français.

Ironie du sort, ces programmes ont été conçus au Québec dans les années 1960 en grande partie par des mères anglophones soucieuses que leurs enfants apprennent le français tout en fréquentant une école de langue anglaise.

Suite à l’adoption de la Loi sur les langues officielles du Canada en 1969, les programmes d’immersion ont connu un engouement partout au pays et n’ont cessé de gagner en popularité depuis.

Plus de la moitié des élèves décrochent

Selon les recherches faites dans le cadre d’un projet pilote datant de 2021 par Laurent Cammarata, professeur titulaire en éducation à la Faculté Saint-Jean de l’Université d’Alberta, les inscriptions dans les programmes d’immersion au Canada ont connu une hausse de 75% depuis le début des années 2000.

immersion française, rétention
Laurent Cammarata

Le hic, c’est que moins de la moitié de ces élèves terminent leurs études secondaires dans le programme. À titre d’exemple, pour l’année scolaire 2016-2017, il y avait presque 49 000 élèves inscrits dans un programme d’immersion à la maternelle. Pour la même année, il n’y en avait que 13,500 en 12e année.

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Il faut préciser qu’il existe trois périodes clés où les abandons semblent particulièrement importants: entre les 3e et 4e années à l’élémentaire, entre les 6e et la 7e année à l’intermédiaire, et entre les 9e et 10e années au secondaire.

En fait, cela n’a rien d’étonnant en Ontario puisque les examens provinciaux obligatoires de l’OQRE ont lieu au cours des 3e, 6e, 9e et 10e années. Si l’enfant en immersion a de mauvais résultats sur ces examens, les parents pourront se demander si le programme lui convient.

Plusieurs causes

Cette tendance à la baisse, de la maternelle à la 12e année, est constante partout au pays. Mais, pour aussi étrange que cela puisse paraître, on a très peu de données sur les causes précises du phénomène, puisque très peu de conseils scolaires sondent les parents ou les élèves à ce sujet.

Cela dit, l’équipe de M. Cammarata a décidé de s’informer elle-même des causes potentielles de l’abandon du programme. L’équipe a identifié au moins trois causes principales de l’attrition auxquelles on pourrait en ajouter quelques autres.

1 – Attentes irréalistes

La première cause d’abandon que l’équipe de M. Cammarata a relevée trouve son origine dans le manque d’information chez les parents quant au programme d’immersion. Leur perception ne correspond pas toujours à la réalité et, par conséquent, les attentes des parents peuvent être irréalistes.

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Prenons, par exemple, ceux qui s’attendent à ce que leur enfant soit parfaitement bilingue après avoir suivi tout, ou même une partie seulement, du programme.

Il va sans dire que certains élèves arriveront à s’exprimer assez bien en français, surtout à l’oral, et à comprendre la langue jusqu’à un certain point. Mais d’autres resteront à un niveau intermédiaire, voire débutant, pour des raisons qui leur appartiennent.

2 – Inquiétudes

Une deuxième cause signalée par M. Cammarata et son équipe est le manque de connaissances de la part des parents quant à l’apprentissage d’une langue seconde.

Pour le ou la jeune enfant qui apprend une deuxième langue, il y a souvent un délai naturel au niveau de la lecture et de l’écriture en anglais puisque, dans de nombreux conseils, l’enfant lit et écrit exclusivement en français jusqu’à la 3e année. Lorsque les parents constatent un retard, ils peuvent s’en inquiéter et décider de retirer leur enfant du programme d’immersion.

3 – Manque d’aide à la maison

Une troisième cause mentionnée par les chercheurs serait l’impossibilité des parents d’aider leur enfant avec les travaux scolaires puisqu’ils ne parlent pas français eux-mêmes. Il est vrai que certains élèves peuvent se débrouiller tout seuls, mais d’autres pourraient profiter de l’aide supplémentaire à la maison.

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Si les conseils scolaires informaient mieux les parents au sujet des programmes d’immersion et de l’apprentissage d’une langue seconde, en plus de leur donner les supports nécessaires, ces derniers seraient mieux équipés pour prendre une décision informée quant aux études de leurs enfants.

4 – Pas de programmes enrichis

Trois causes additionnelles d’abandon des programmes d’immersion pourraient s’ajouter à celles déjà mentionnées.

La première est le fait que très peu d’écoles d’immersion en Ontario offrent d’autres programmes comme le Baccalauréat international (BI) ou le placement avancé (AP). Ces programmes accrédités sont très recherchés par les parents, et pour cause. Les diplômes du BI et du AP sont reconnus non seulement au Canada, mais encore dans d’autres pays et, dans certains cas, ils peuvent donner droit à un crédit universitaire.

En revanche, les conseils scolaires publics et catholiques de la province, à l’instar d’autres provinces au pays, ont décloisonné les cours en 9e année. Certains conseils ont même décloisonné la 10e année.

Qu’est-ce que cela veut dire? Le décloisonnement est une initiative du ministère de l’Éducation pour rendre le système d’éducation plus équitable en offrant un seul niveau de chaque cours au lieu de deux comme par le passé. Ce changement, entré en vigueur à l’automne 2021, a remplacé les niveaux appliqué et théorique  qui avaient vu le jour en 1999.

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Malheureusement, le décloisonnement n’a pas répondu à toutes les attentes du ministère ni des parents. Vouloir offrir un seul niveau de cours à tous les élèves, c’est supposer que les besoins de tous ces élèves sont pareils, ce qui est loin d’être le cas.

Certains parents, dont les enfants sont capables de suivre un programme plus académique et rigoureux que les cours décloisonnés, optent pour le BI ou l’AP. S’ils ont à choisir entre ce dernier et un programme d’immersion, dont le diplôme n’est pas forcément reconnu ailleurs au Canada, il se peut bien qu’ils choisissent le BI ou l’AP.

Si les écoles d’immersion offraient un de ces deux programmes très en demande, les parents et les enfants n’auraient pas à choisir entre les deux.

5 – Retard au secondaire

Une autre raison d’abandon du programme est la grande différence entre ce que les élèves font et apprennent à l’école élémentaire et intermédiaire… et ce qui se passe au niveau secondaire.

La transition entre la 8e et la 9e année peut être brutale pour un grand nombre d’élèves. Pourquoi? Parce que l’enfant se rend compte qu’il peut, pour la première fois de sa vie, échouer un cours.

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Celui ou celle qui a fait ses études primaires et intermédiaires, sans acquérir les connaissances de base et de bonnes habitudes, arrivera en 9e année avec un sérieux retard – non seulement en français, mais encore dans toutes les autres matières. Le retard en français peut être tel que tout rattrapage sera à toutes fins utiles insurmontable et, par conséquent, les parents retireront l’enfant du programme.

Si les élèves en immersion arrivaient à l’école secondaire avec un bagage académique solide, sans parler de bonnes habitudes d’étude, il y aurait sans doute moins d’abandons en 9e année.

6 – Bienfaits tardifs

Enfin, une cause d’abandon est la perception erronée que le programme d’immersion aux niveaux élémentaire et intermédiaire est suffisant. Pourtant, la plupart des bienfaits associés au programme ne se réaliseront qu’à la fin de la 12e année.

Bien s’exprimer en français et en anglais, à l’écrit comme à l’oral, dans un pays officiellement bilingue, où la demande en personnel bilingue est très forte dans certains secteurs, comme la fonction publique, les banques ou les assurances, est incontestable.

Si les écoles secondaires offraient une plus grande variété de cours pratiques et plus d’activités parascolaires en français, faisaient plus d’excursions et invitaient à l’école plus de conférenciers et d’anciens élèves pour parler de leur expérience et de leur parcours, mettaient sur pied plus d’échanges et d’interactions avec la communauté francophone locale, les parents et les enfants verraient tous les avantages et le côté pratique du programme.

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Des pistes de solution

La Colombie-Britannique a une longueur d’avance sur les autres provinces en ce qui concerne l’attrition dans les programmes d’immersion, ses causes et des solutions possibles. Dans un document préparé pour l’université Simon Fraser par André A. Obadia et Claire M.L. Thériault, ces derniers parlent de leurs recherches et classent quelque 200 solutions potentielles en quatorze catégories.

Quelques idées avancées, en plus de celles déjà citées plus haut, sont:

  • des cours de français offerts aux parents;
  • un réseau de soutien pour les parents et les enfants;
  • plus d’heures d’enseignement en français;
  • des classes moins nombreuses;
  • l’enseignement de cours uniquement en français pour les enseignants en immersion;
  • plus d’investissement de la part des conseils scolaires pour du matériel et des services en français;
  • des ressources matérielles et humaines suffisantes pour éliminer le recours à un système de loterie;
  • des professeurs hautement qualifiés et passionnés par le français et ses cultures;,
  • du transport scolaire gratuit;
  • une planification à court et à long terme du programme;
  • une plus grande harmonisation des programmes au sein d’un même conseil scolaire;
  • un programme de la plus haute qualité;
  • une plus grande promotion et valorisation des programmes d’immersion.

En identifiant les causes de l’attrition dans les programmes d’immersion, qui peuvent être différentes d’un conseil scolaire à un autre, voire d’une école à une autre, et en développant une stratégie efficace pour y apporter des solutions, ces programmes continueront d’être très populaires, non seulement chez les plus jeunes, mais encore chez les plus grands.

Auteurs

  • Michèle Villegas-Kerlinger

    Chroniqueuse sur la langue française et l'éducation à l-express.ca, Michèle Villegas-Kerlinger est professeure et traductrice. D'origine franco-américaine, elle est titulaire d'un BA en français avec une spécialisation en anthropologie et linguistique. Elle s'intéresse depuis longtemps à la Nouvelle-France et tient à préserver et à promouvoir la Francophonie en Amérique du Nord.

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