Langues officielles: rien sur les ententes avec les provinces

Loi sur les langues officielles
La ministre Ginette Petitpas Taylor à Grand Pré le 1er mars pour dévoiler le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada. Photo: CPAC
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Publié 03/03/2022 par Inès Lombardo

Le projet de loi C-13 pour moderniser la Loi sur les langues officielles au Canada, déposé le 1er mars par la ministre Ginette Petipas Taylor, a soulevé des réactions plus enthousiastes que celui porté par la ministre Mélanie Joly en juin dernier.

Mais des manques subsistent, dont l’absence de clauses linguistiques dans les ententes entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires.

Les organismes francophones soulignent notamment «des gains importants», comme l’indique la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).

Les mesures positives sont précisées, les pouvoirs du commissaire aux langues officielles renforcés, le Conseil du Trésor et Patrimoine canadien se partagent la mise en œuvre et la surveillance de l’application de la Loi.

Loi sur les langues officielles
La ministre Ginette Petitpas Taylor. Photo: CPAC

Travailler et se faire servir en français

La grande nouveauté est l’édiction d’une nouvelle loi centrée sur l’usage du français dans les entreprises privées de compétence fédérale.

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Des secteurs ont fait l’objet de plaintes récurrentes par le passé. En novembre dernier, le PDG d’Air Canada, Michael Rouseau, avait prononcé un discours en anglais uniquement, à Montréal, arguant d’un manque de temps pour apprendre le français.

De nouveaux droits et obligations pour travailler et se faire servir en français seront intégrés au sein de ces entreprises privées de compétence fédérale au Québec et dans les régions à forte présence francophones. Patrimoine canadien sera chargé de surveiller la bonne application de cette loi, sur ses deux aspects.

Concernant les aspects de services aux consommateurs des entreprises privées de compétence fédérale, les droits et obligations concernent surtout le Québec. «Les consommateurs au Québec ont le droit de communiquer en français avec une entreprise privée de compétence fédérale qui y exerce ses activités et de recevoir de celle-ci des services dans cette langue.»

Des précisions sur les mesures positives

En entrevue avec Francopresse, la présidente Liane Roy a salué une «nette amélioration». Notamment sur les précisions concernant les mesures positives.

Enjeux francophones, élections fédérales
Liane Roy

La Partie VII de l’actuelle Loi sur les langues officielles demande aux institutions fédérales de prendre des «mesures positives». La nature de ces mesures est clarifiée dans le nouveau projet de loi indiquant qu’elles doivent être «concrètes» et «prises avec l’intention d’avoir un effet favorable sur les minorités francophones et anglophones et les deux langues officielles au Canada».

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La nature des mesures concerne, entre autres, la promotion et l’appui à l’apprentissage du français et de l’anglais; inciter les organisations et associations à promouvoir le bilinguisme; l’appui à des «secteurs essentiels» qui œuvrent à l’épanouissement des minorités francophones et anglophones; ou encore, faire accepter et apprécier les deux langues à l’ensemble de la population canadienne.

Les institutions devront appliquer ces mesures sur la base d’analyses avec les minorités anglophones et francophones. Un processus particulier sera mis en place pour assurer le respect de ces mesures au sein des institutions fédérales qui devront, après l’entrée en vigueur de la loi, considérer l’impact négatif que pourraient avoir leurs décisions sur l’épanouissement des minorités anglophone et francophone.

Transfert de fonds entre le fédéral et les provinces

Mais «il n’y a aucune référence à l’une de nos grandes demandes: l’insertion de clauses linguistiques exécutoires dans les ententes de transfert de fonds entre le fédéral et les provinces et territoires».

François Larocque, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, ne s’explique pas pourquoi le gouvernement fédéral n’a pas légiféré sur les clauses linguistiques alors qu’il avait l’occasion de le faire. «Ces clauses brillent par leur absence dans le projet de loi C-13», affirme-t-il.

François Larocque
François Larocque

D’autant qu’à la fin janvier, le dépôt du projet de modernisation avait été repoussé par la ministre Petitpas Taylor à la suite du jugement sur les services à l’emploi pour les francophones en Colombie-Britannique.

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À l’époque, le cabinet de la ministre n’avait pas précisé si le report concernait les deux grands enjeux que portait le jugement: les clauses sur les ententes avec les provinces et les mesures positives.

«Cette question-là a un impact majeur sur le terrain», selon la FCFA. «En Colombie-Britannique, des clauses linguistiques faibles ont eu un impact dévastateur sur les services d’aide à l’emploi en français dans la province.»

«Et on a vu avec la signature des ententes sur le Programme national de garderies combien rien n’est assuré quand il n’y a pas de clauses qui exigent explicitement des services équitables en français.»

«Peut-être est-ce un calcul de la part de la ministre des Langues officielles»

Le professeur Larocque pense que ce report était davantage lié à la partie VII de la Loi qui comprend les mesures positives.

«Et sur ce point, il y a une nette amélioration. Avec ces mesures positives, on devrait être aptes à maintenir le poids démographique [de la minorité francophone au Canada].»

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«Peut-être est-ce un calcul de la part de la ministre des Langues officielles… Car le travail commence tout juste pour ce projet de loi. Peut-être souhaitait-elle laisser venir les réflexions sur les clauses linguistiques lors de l’étude du projet de loi, pour montrer une certaine flexibilité», avance-t-il.

Les femmes particulièrement interpellées

L’absence de clauses linguistiques est également soulignée par L’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC).

«L’accès à un réseau de service de garde universel et respectueux de la dualité linguistique est une priorité pour les femmes francophones et acadiennes. L’ajout de clauses exigeant des services en français dans ces ententes permettra aux communautés de s’épanouir tout en assurant aux femmes un accès au marché du travail», ajoute la présidente de l’organisme, Nour Enayeh par voie de communiqué.

L’AFFC «soutient que le projet de loi proposé ne doit pas entraîner d’effets différenciés défavorables à l’épanouissement des femmes francophones et acadiennes».

«Le fardeau de transmission de la langue française ne doit plus uniquement peser sur les épaules des femmes. Chaque décision entraîne des effets incommensurables sur elles. C’est pour cette raison qu’il est essentiel de poser un regard critique sur le projet de loi afin d’atténuer les effets négatifs que la Loi pourrait entraîner sur les femmes francophones et acadiennes», estime encore Nour Enayeh.

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Loi sur les langues officielles
Nour Enayeh. Photo: Maryne Dumaine

L’immigration francophone pas encore assez précise

La présidente de la FCFA, Liane Roy, aurait «aimé voir un objectif plus précis de rétablissement et l’augmentation du poids démographique de la communauté francophone en situation minoritaire».

«On mentionne seulement [dans C-13] que cette politique doit continuer pour le maintien ou l’accroissement du poids démographique. Mais nous, on dit depuis 2003 qu’on ne rencontre pas les cibles. Il y a tout un rétablissement à aller chercher.»

Elle poursuit… «Le document de réforme [Livre blanc] de Mme Joly était plus complet sur ce point. Ça ne va pas aussi loin dans C-13.»

«Je ne dirai pas que c’est un recul pour autant, car on parle de reddition de compte, de cibles. Mais il manque un objectif précis à cette politique. Est-ce que ça va être le rétablissement du poids démographique ou un maintien?»

«Ça ne fait pas ce que le gouvernement dit qu’il veut faire en immigration si on se réfère au document de Mélanie Joly en février 2021.»

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Dans le prochain Plan d’action

Le document de réforme de l’ancienne ministre des Langues officielles fait place à un «important volet concernant la politique d’immigration francophone dans le prochain Plan d’action pour les langues officielles».

Il prévoyait aussi que la politique d’immigration francophone devait s’arrimer aux ententes conclues avec les gouvernements provinciaux… Notamment celle qui confie au gouvernement du Québec la responsabilité de sélectionner et d’intégrer des immigrants sur son territoire.

La vision du gouvernement dans ce document devait aussi favoriser «davantage» l’intégration des immigrants… Notamment en «améliorant leur accès à la francisation et au bilinguisme».

Quatre têtes: problématique?

C’est un point sur lequel Joël Godin, porte-parole conservateur en matière de langues officielles, fustige le projet de loi C-13.

Langues officielles
Joël Godin

«Le projet de loi [C-13] dit qu’il faut développer une politique d’immigration, avec des indicateurs. Mais ce n’est pas ça! Il faut des résultats. On le sait, présentement, l’immigration francophone dont la cible est de 4,4% hors Québec n’est pas suffisante. On sait aussi qu’en 2023, on n’atteindra pas cette cible.»

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Joël Godin est également vice-président du Comité permanent des langues officielles. Il déplore que la Loi soit appliquée par «quatre têtes»… Le Conseil du Trésor. Patrimoine canadien. Les Langues officielles. Le commissaire aux langues officielles.

«C’est un manque de leadership», selon le député. Il craint que ce partage ne fasse que «perdre certaines affaires»… Et que chacun se déclare incompétent lorsque ça tombe dans sa cour.

«Un jour historique»

La ministre des Langues officielles a qualifié ce 1er mars «jour historique» en conférence de presse à partir de Grand-Pré, en Nouvelle-Écosse, après avoir déposé à la Chambre des communes son projet de loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

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