Langues officielles: l’aéroport de Toronto manque encore à ses obligations

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Les aéroports assujettis à la Loi sur les langues officielles doivent s’assurer que les services fournis par des tiers – que ce soient les restaurateurs ou les employés aux portes d’embarquement et aux postes douaniers – sont offerts de qualité égale dans les deux langues officielles. Photo: Daniel Case, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0
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Publié 12/06/2025 par Camille Langlade

L’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto rejette la majorité des recommandations du commissaire aux langues officielles, selon un rapport obtenu par Francopresse. Sur 20 plaintes déposées contre l’aéroport de Toronto, Lester B. Pearson, seules cinq ont mené à la mise en œuvre d’une solution.

Francopresse a obtenu le rapport de suivi des recommandations du Commissariat aux langues officielles (CLO). Ce suivi, mené entre aout 2024 et février 2025, concerne des plaintes liées à des faits survenus entre octobre 2021 et avril 2022.

Le document fait état de 20 plaintes jugées fondées qui ont été déposées en 2021 et 2022 contre l’Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (AAGT), gestionnaire de l’aéroport Pearson. Celles-ci épinglent notamment des communications et des services qui n’ont pas été fournis en français, en ligne et sur place.

Assujettie à la Loi sur les langues officielles, l’AAGT a l’obligation de diffuser des informations simultanément dans les deux langues officielles et avec une qualité égale.

Site Internet et réseaux sociaux

Le rapport pointe du doigt les communications numériques de l’aéroport, tant sur son site Internet que sur ses réseaux sociaux, où l’on trouve des publications non traduites – ou partiellement traduites – en français. Certaines comportant encore, au moment de la publication de cet article, des fautes d’orthographe.

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aéroport de Toronto Lester B. Pearson
À la suite des recommandations du commissaire aux langues officielles, les bulletins Checking In sur le site Internet de l’aéroport sont maintenant tous bilingues. Mais certains mots restent mal orthographiés, comme «marche» au lieu de «mars». Photo: capture d’écran

Si l’AAGT a mis en place des mesures pour se conformer à la Loi, elle reste néanmoins en désaccord avec certaines conclusions du commissaire.

Sur le site Internet, les rapports de la section «Gestion du bruit» ne s’affichent qu’en anglais après leur téléchargement. L’administration maintient que ces documents relatifs au bruit des avions ne sont pas soumis à la Loi sur les langues officielles «parce qu’ils ne constituent pas une communication ou un service destiné au public voyageur».

«Oh, je ne peux pas vous aider»

Le bilinguisme se perd aussi dans les couloirs de l’aéroport. Selon plusieurs plaintes, des employés ont refusé de répondre à des voyageurs en français.

«Oh, je ne peux pas vous aider, vous avez choisi le français. Pourquoi choisir le français?», a déclaré un policier aidant des voyageurs à un poste d’inspection en novembre 2021.

Là encore, l’AAGT décline toute responsabilité. «[Elle] a affirmé que les services de police de la région de Peel n’agissaient pas en son nom et qu’ils fournissent des services de police généraux au titre de la Loi sur les services policiers», peut-on lire dans le rapport.

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Or, le commissaire rappelle que l’autorité aéroportuaire doit s’assurer que les agents de police communiquent dans les deux langues officielles, car ils sont mandatés pour offrir des services au nom de l’institution fédérale, même s’ils sont employés par un service tiers.

Il recommande aussi à l’AAGT de mettre en place des mécanismes de surveillance pour s’assurer que les employés qui travaillent en première ligne pour des tiers – y compris des compagnies aériennes et des restaurateurs – présentent une offre active de service bilingue.

L’AAGT maintient que ces personnes sont sous la responsabilité des organismes qui les recrutent, et ne fournissent pas des services en son nom.

Les francophones en attente

Dans un document transmis au CLO, l’administration explique en outre que «si aucun employé francophone n’est disponible, l’accès à un service de ligne linguistique doit être assuré».

Or, le commissaire souligne que cette ligne ne peut pas être considérée comme un service de qualité égale dans l’autre langue, «car un anglophone peut obtenir une assistance immédiate en personne, alors qu’un francophone doit attendre d’être mis en relation avec un interprète».

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Étant donné que le suivi de l’enquête est toujours en cours, le bureau du CLO a décliné la demande d’entrevue de Francopresse.

«Je tiens toutefois à réitérer qu’il arrive encore trop souvent que les autorités aéroportuaires manquent à leurs obligations linguistiques […] Le nombre important de plaintes que je reçois année après année en témoigne», rapporte le commissaire dans une déclaration écrite.

Au moment de la publication, l’AAGT n’avait pas répondu à nos demandes.

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La Loi sur les langues officielles modernisée donne au commissaire Raymond Théberge de nouveaux outils pour accompagner les institutions fédérales vers un meilleur respect de leurs obligations linguistiques, dont des sanctions administratives pécuniaires le cas échéant. Photo: courtoisie

Le ras-le-bol d’un plaignant

«À chaque fois que je voyage au Canada en dehors du Québec, systématiquement, il n’y a pas d’offre active, lâche Claude (prénom modifié pour des raisons de confidentialité), un des plaignants cités dans le rapport. C’est vrai pour le personnel de sécurité de l’aéroport, pour le sous-contractant qui s’occupe de faire la fouille, la vérification des bagages et pour les commerçants qui sont à l’aéroport.»

Il n’en est pas à sa première plainte auprès du CLO. L’une de ses motivations. «C’est une façon de garantir des jobs aussi stables, bien payés, en français, pour notre communauté», ajoute-t-il.

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«À chaque fois que j’ai fait une plainte, j’ai trouvé le suivi du commissaire précis, clair. Je savais où j’étais rendu dans le processus […] J’ai l’impression que je suis pris au sérieux, j’ai l’occasion d’apporter des précisions», dit-il.

Claude a déjà déposé cinq plaintes pour dénoncer des manquements à la loi à l’aéroport de Toronto, et ce, dès la porte d’entrée, où il a eu affaire à un agent de sécurité unilingue anglais.

«On est loin du “Bonjour/Hi”. C’est écrit airport/aéroport, mais la personne qui signe avec un gun puis un drapeau du Canada, il ne comprend pas “Bonjour”, puis ça, ça m’a dérangé.»

Il espère que la nouvelle Loi sur les langues officielles va contraindre davantage les institutions. «Il va y avoir un essoufflement de ma part, si c’est juste pour faire des plaintes pour faire du papier, j’en vois pas l’intérêt. Puis même si je les fais des dizaines de fois, à un moment donné, je m’essouffle», confie-t-il.

Comment fonctionne une plainte auprès du CLO?

Lorsqu’une personne estime qu’une institution ou une administration fédérale assujettie à la Loi sur les langues officielles n’a pas respecté ses obligations linguistiques, elle peut déposer une plainte auprès du CLO.

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Les plaintes recevables donnent lieu à des enquêtes menées par le commissaire aux langues officielles ou à des recours judiciaires. Au terme de l’enquête, le CLO publie un rapport préliminaire, puis un rapport final.

Le commissaire y formule des recommandations à l’institution concernée afin de corriger les lacunes observées. Un suivi est ensuite assuré par le CLO, qui peut produire un rapport de suivi pour vérifier si les recommandations ont été mises en œuvre.

aéroport de Toronto Lester B. Pearson
L’aéroport international Lester B. Pearson de Toronto est l’un des plus achalandés au monde. Photo: iStock.com/Yelena Rodriguez Mena

Plus de pouvoir du CLO avec la nouvelle Loi?

«La Loi sur les langues officielles modernisée donne désormais au commissaire de nouveaux outils pour guider les institutions fédérales vers un meilleur respect de leurs obligations en matière de langues officielles», explique le bureau du CLO dans un courriel.

Le commissaire peut dorénavant conclure des accords de conformité avec les institutions et émettre des ordonnances en cas de non-conformité. «Lorsque le gouvernement les aura mises en œuvre, après avoir présenté un décret et adopté des règlements, le commissaire pourra imposer des sanctions administratives pécuniaires.»

Néanmoins, chaque dossier reste évalué au cas par cas. «Dans plusieurs cas, la conformité à la Loi peut être atteinte à l’aide d’autres outils que l’ordonnance. L’ordonnance est un outil très coercitif, généralement utilisé en dernier ressort», ajoute le bureau.

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Obstruction

Claude déplore également le fait qu’un aéroport, par son refus de mettre en œuvre les recommandations du commissaire, sous-entend qu’il est «contre la loi» et ne «la respectera pas».

«Il y a une sorte d’obstruction, il y a une volonté avouée de ne pas respecter les francophones», poursuit-il.

«Le commissaire, c’est un fonctionnaire qui fait des papiers. L’aéroport l’a bien compris, puis agit en conséquence. Puis les perdants au final, comme toujours dans l’histoire canadienne, c’est les francophones.»

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