La vie dans les chantiers: deux sexes, deux poids, deux mesures

Lucette Larouche, Le roman de ma mère
Lucette Larouche, Le roman de ma mère, roman, Montréal, Éditions Québec Amérique, 2024, 318 pages, 29,95 $.
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Publié 11/05/2024 par Paul-François Sylvestre

Lucette Larouche a décidé de reconstituer la vie de ses parents dans les chantiers vers les années 1950-1960. Dans Le roman de ma mère, c’est Évelyne, 78 ans, qui raconte le passé à sa fille Odile. La mère bouge les yeux dans le vague «comme s’ils se déplaçaient d’un souvenir à l’autre».

Québec Amérique offre un espace de création aux auteurs émergents, avec la mention «Première impression», et souligne ainsi la parution de leur premier livre. C’est le cas de Lucette Larouche.

Camp de bûcherons

Thomas, le mari d’Évelyne, a un poste de commandement dans un campement de bûcherons et il peut y amener sa femme. Le cuisiner, appelé cook, est accompagnée de sa femme dans la cookerie. Évelyne est la seule autre femme dans le campement. Le dimanche après-midi, elle aide les hommes à écrire une lettre à leur épouse ou blonde.

Un bûcheron lui demande de rédiger une lettre d’amour, ce qu’elle n’a jamais fait du temps où Thomas était au loin dans les chantiers. À part «j’ai hâte que tu reviennes», elle n’a osé aucun mot affectueux. «C’est exclu de leur langage, à Thomas et à elle.»

Au lit, Évelyne trouve les assauts de son mari déplaisants, mais elle s’y habitue et, «comme ça ne dure jamais très longtemps, ça ne la dérange pas trop». Pour Thomas, chaque grossesse est une preuve de plus de sa virilité; pour Évelyne, c’est «la bénédiction du bon Dieu, comme le prêche le curé».

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Soirées de musique et de danse

Quand un bûcheron avertit qu’un «géant» s’apprête à tomber, il s’agit d’un arbre. Même s’il n’y a que des hommes dans les soirées, les reels alternent avec les sets carrés. Les mâles les plus enthousiastes «se secouent les gigots, suivant les consignes du calleux de quadrilles».

Le prêtre qui visite les camps de bûcherons est un Rédemptoriste et ami de jeunesse de Thomas. Évelyne sait que son mari y voit un saint. Un homme en soutane ne peut pas avoir de défauts, Or, Thomas ne se rend pas compte que ce prêtre est «un tâteux» lorsqu’il s’approche de sa fille.

Douze grossesses

Évelyne a un accouchement difficile. Elle doit être hospitalisée. Thomas lui murmure qu’il a peur de la perdre. Il n’a jamais fait un aveu aussi touchant. Elle perd l’enfant et le médecin informe Thomas qu’il va procéder à «la grande opération».

Lorsqu’il l’informe qu’on «enlève tout dans son ventre pour pus qu’elle ait d’enfant», Thomas réagit comme un macho:  Ça veut dire qu’elle sera pus “bonne”!» Le médecin lui lance: «Tu as eu neuf enfants, elle a eu douze grossesses, sans compter deux fausses couches. Tu trouves pas qu’elle a fait son devoir?»

Odile, la fille de Thomas et Évelyne, est celle qui raconte dans la seconde partie du roman. Elle fait tout pour ne pas connaître le même sort que sa mère. Pas question d’être enchaînée à un mari et à une douzaine d’enfants. J’ai moins vibré à ce témoignage composé de flash-backs d’inégale valeur.

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Il n’en demeure pas moins que Le roman de ma mère brosse un intéressant tableau d’une famille, d’une époque. Ce portrait de la vie des femmes nous rappelle qu’il n’y a pas longtemps qu’elles peuvent choisir leur destin.

Auteurs

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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