La presse francophone minoritaire, un média qui a du caractère

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Les presses de L'Express de Toronto en 2017.
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Publié 06/10/2024 par Marc Poirier

La presse francophone au Canada a une longue histoire qui remonte à bien avant la Confédération. Dans les communautés en situation minoritaire, elle a joué et continue de jouer un rôle majeur dans la survie de la langue française.

Le 27 mai 1871 à Saint-Boniface, au Manitoba, Le Métis devient le premier journal francophone de la province.

Comme le chemin de fer n’a pas encore atteint la région, le propriétaire du journal, l’avocat Joseph Royal, a dû faire transporter l’équipement acheté au Minnesota par charrette à bœuf jusqu’à la rivière Rouge, puis par bateau. Quand on parle de pionniers…

Le Métis aura une durée de vie étonnante pour l’époque, subsistant jusqu’en 1926 alors que lui succède La Liberté, toujours en publication.

Cette longévité ne sera pas caractéristique de plusieurs premiers journaux francophones du pays, qui seront pratiquement mort-nés.

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Le Métis a été le premier journal de langue française au Manitoba. Photo: Internet Archive

Des jours parfois éphémères

En 1858 parait Le Courrier de la Nouvelle-Calédonie, dans ce qui était alors la colonie de l’île de Vancouver. Se définissant comme un «journal politique et communautaire», il rend l’âme près d’un mois plus tard, après une dizaine de parutions.

Il faudra attendre au XXe siècle pour que cette publication ait des successeurs: La Colombie, en 1945, Le Soleil de Vancouver (rebaptisé Le Soleil de la Colombie-Britannique), puis La Source, journal bilingue en circulation depuis 1999.

Le Progrès, fondé en 1858 à Ottawa, sera le premier journal de langue française en Ontario. Il entend servir les Canadiens français de la capitale et se veut être le «défenseur de leurs droits». Il ne les défendra cependant que six mois…

Trois autres journaux francophones distribués en Ontario l’avaient précédé, mais ils étaient tous publiés à Détroit. Il s’agit de la Gazette française (1825), L’ami de la jeunesse (1843) et Le Citoyen (1850), qui desservait tous trois la région de Windsor. Eux aussi ne survivent que quelques semaines ou quelques mois.

D’ailleurs, un nombre ahurissant de journaux français ou bilingues sont publiés aux États-Unis entre 1838 et 1911 (environ 200), dont une bonne partie en Nouvelle-Angleterre, qui a connu une vague d’émigration canadienne-française massive entre 1860 et 1900.

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Encore une fois, la durée de vie de la très grande majorité de ces journaux ne dépasse pas quelques mois.

Après Le Progrès, le robinet d’encre s’ouvre également en Ontario. Entre 1870 et 1900, pas moins de 34 autres publications voient le jour dans cette province, très majoritairement à Ottawa et à Windsor.

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La Gazette, devenue La Gazette de France, premier journal de l’Hexagone en 1631. Ici une édition de 1786. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Parlant de Gazette

La Gazette sera un titre de journal très populaire, en français comme en anglais. Le mot «gazette» s’est d’ailleurs longtemps employé comme synonyme de journal (au Canada francophone, plus souvent prononcé «gâzette»), même si ce sens est aujourd’hui vieilli.

Avant de traverser l’Atlantique, le nom de gazette désignait déjà le premier journal en France, publié en 1631 par Théophraste Renaudot (le prix Renaudot, c’est lui), «grâce» aux bonnes grâces d’un certain cardinal Richelieu.

En Nouvelle-France, il n’y avait étonnamment pas de journaux. La monarchie française interdisait l’imprimerie dans sa colonie, voulant éviter le brassage d’idées. Quelle idée!

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Ainsi, en 1764, un an après que la Nouvelle-France soit devenue une possession britannique, est fondée La Gazette de Québec/The Quebec Gazette, une publication bilingue.

Mais un journal l’avait devancé dans la colonie voisine: la Nouvelle-Écosse (l’ancienne Acadie). Publié pour la première fois en 1752, la Halifax Gazette mérite la distinction d’être le premier journal dans ce qui deviendra le Canada.

Quant au premier journal uniquement de langue française en Amérique du Nord, l’honneur revient à la Gazette du commerce littéraire, fondé à Montréal en 1778. Disons que, côté titre, l’imagination n’était pas fertile.

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L’Acadie a eu son premier journal en 1867, fondé à Shediac, au Nouveau-Brunswick. Premier numéro du Moniteur Acadien. Photo: Wikimedia Commons, domaine public

Pas de gazette acadienne

En Acadie, il n’y aura pas de Gazette, mais plutôt des noms associés au territoire ou à la culture.

Le premier-né est Le Moniteur Acadien fondé en 1867 à Shediac, près de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Il s’agit d’une initiative d’un Québécois («Canadien», disait-on à l’époque), Israël Landry. Sa mission: «Venir en aide à notre pauvre peuple acadien en lui fournissant une feuille qui lui apprendra ce qu’il est, ce qu’il a été et ce qu’il est appelé à devenir.»

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Le journal vivra jusqu’en 1926. Beaucoup plus tard, en 1984, un nouveau journal naît à Shediac et prend quelques années plus tard le nom de Moniteur acadien de son lointain prédécesseur.

Néanmoins, c’est un autre journal, L’Évangéline, qui deviendra le véritable journal du peuple acadien. Fondé en 1887 en Nouvelle-Écosse, il déménage à Moncton en 1905. Il devient définitivement un quotidien en 1949 et s’affirme comme un journal de combat pour la «cause» acadienne. Il ferme en 1982.

Deux ans plus tard, l’Acadie Nouvelle prendra la relève et deviendra un quotidien à son tour en 1989, non sans une bataille épique avec un autre journal, Le Matin, qui se présentait aussi comme le successeur de L’Évangéline.

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Valentin Landry fonde en 1887 le mythique journal L’Évangéline, qui cessera de paraître en 1982. Photo: Wikimedia Commons domaine public

Les journaux d’aujourd’hui

L’Ontario français aura également son quotidien militant avec la parution du Droit, dès 1913, fondé par un père oblat en réaction à l’adoption du règlement 17 par le gouvernement provincial qui interdisait le français dans les écoles. Le journal sera l’un des rares de l’époque à subsister jusqu’à aujourd’hui.

Plusieurs autres journaux toujours en circulation s’ajoutent au fil des ans en Ontario, notamment Le Voyageur de Sudbury, L’Express de Toronto, L’Orléanais, La Tribune de Nipissing Ouest, Agricom, Le Goût de vivre, Le Nord et Le Régional. Et il y en a d’autres.

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L’abbé Charles Charlebois, un oblat, principal cofondateur du Droit, en 1913. Photo: courtoisie Archives Le Droit

De même, dans l’Ouest du Canada, des journaux francophones naîtront, comme L’Eau vive en Saskatchewan et Le Franco en Alberta, suivant les traces de journaux pionniers comme Le Patriote de l’Ouest et La Survivance.

Ailleurs, dans les provinces de l’Atlantique, Le Petit Courrier du Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse est fondé en 1937 et deviendra Le Courrier de la Nouvelle-Écosse qu’on connaît aujourd’hui.

Les francophones de l’Île-du-Prince-Édouard comptent sur La Voix acadienne depuis 1975, et ceux et celles de Terre-Neuve sur Le Gaboteur depuis 1984. Au Nouveau-Brunswick, plusieurs autres naiitront et mourront. Le Saint-Jeannois, fondé en 2002, est bien ancré dans la ville portuaire.

Les journaux francophones dans les territoires du Grand Nord apparaissent à la même époque: L’Aurore boréale au Yukon (1983), L’Aquilon aux Territoires du Nord-Ouest (1986) et Le Nunavoix au Nunavut (2002).

Tous ces vaillants médias de la presse écrite naviguent parfois difficilement, alors que les défis de la transformation de l’univers médiatique se multiplient.

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