La forêt de la Place de l’Ontario est rasée

Pour le méga-spa privé

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La Place de l'Ontario. Photo: Ontario Place For All
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Publié 04/10/2024 par Charles-Antoine Rouyer

La coupe à blanc de la forêt urbaine de l’île Ouest de la Place de l’Ontario, à Toronto, a débuté ce jeudi 3 octobre sous le couvert de la nuit, alors qu’une procédure d’appel est en cours et une demande d’injonction a été immédiatement déposée.

«Mon client est surpris que cela se produise alors qu’un appel est en cours devant la Cour d’appel de l’Ontario», a indiqué Éric Gillespie, l’avocat du groupe communautaire Ontario Place Protectors. «Notre client a déposé une demande d’injonction auprès de la Cour d’appel de l’Ontario et nous attendons de savoir quand la demande sera entendue», a ajouté Éric Gillespie.

Ontario Place Protectors a fait appel, la semaine dernière, de la décision négative de la Cour supérieure de l’Ontario. Le groupe communautaire estime que la Loi ontarienne de 2023 sur reconstruction de la Place de l’Ontario est inconstitutionnelle, car elle protège la Province contre toute responsabilité civile liée aux travaux à la Place de l’Ontario.

«Notre client avance qu’il y a une violation de la Constitution canadienne, article 96, qui confère des pouvoirs aux juges des cours supérieures. La législation de l’Ontario sur la Place de l’Ontario a retiré tout pouvoir à un juge d’accorder des réparations», résume Éric Gillespie.

Aucune date n’a encore été fixée pour l’appel ni aucune date pour entendre la demande d’injonction, a précisé l’avocat.

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L’abattage des arbres à la Place de l’Ontario s’est poursuivi toute la journée de jeudi 3 octobre. En milieu d’après-midi, une grande partie de la forêt urbaine d’arbres matures avait déjà été rasée.

850 arbres

«Nous avons reçu une alerte à cinq heures du matin», raconte Norman Di Pasquale, le co-président du groupe communautaire Ontario Place for All. «Un kayakiste nous a prévenus que cela bougeait sur l’île.»

«Ils ont dû commencer l’abattage pendant la nuit, car hier soir à 19h un kayakiste avait dit que rien ne s’était passé», précise Norman Di Pasquale, au bord du boulevard Lakeshore devant l’île Ouest, ajoutant avoir regardé les arbres tomber toute la journée.

«Nous avons vu des pins abattus il y a quelques minutes. On peut sentir dans l’air les essences d’arbres coupés et passés à la broyeuse à bois. Les arbres devaient pourtant être conservés pour les donner à des groupes des Premières Nations.»

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«C’est une journée sombre», ajoute Norm Di Pasquale.

«Moose Hollow [une partie boisée centrale de l’île Ouest] a complètement disparu, la partie boisée censée évoquer la région de l’Algonquin», regrette Norm Di Pasquale. Ce sont en tout 850 arbres qui doivent être coupé sur l’Île Ouest selon Ontario Place for All.

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La forêt de l’île Ouest de la Place de l’Ontario est rasée. Photo: Charles-Antoine Rouyer, l-express.ca

Un crime contre les générations futures?

«C’est absolument une honte ce que fait le gouvernement de l’Ontario», a déclaré Chris Glover, le député provincial de la circonscription Spadina-Fort York qui inclut la Place de l’Ontario. «Ils ont commencé à couper les arbres à la noirceur, car tout ce que fait ce gouvernement, c’est sous le couvert de la noirceur.»

«C’est un crime contre les générations futures», ajoute Chris Glover. «C’était une forêt au centre-ville de Toronto avec plus de 190 espèces d’oiseaux et toute sorte de faune. C’était un parc pour les gens de l’Ontario», continue Chris Glover, au bord du lagon en face de l’île Ouest en cours d’être rasée par les longs bras des engins mécaniques jaunes.

«Cela devait représenter l’ingéniosité des Ontariens, comme la technologie cinématographique Imax. Et au lieu de cela, elle est dévastée pour construire un méga-spa autrichien. Et nous les contribuables, nous allons payer la facture de cette dévastation et donner à ce méga-spa 1,5 milliard $ de nos impôts. C’est un acte absolument honteux, ce qu’il se passe en ce moment à la Place de l’Ontario», lâche Chris Glover.

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«C’est un projet catastrophique [le méga-spa]», résume pour sa part Ken Greenberg, designer urbain et consultant à Toronto. «Au registre du patrimoine, nous allons perdre des œuvres très importantes, dont le travail paysager de Michael Hough», ajoute l’ancien responsable du design et de l’architecture à la Ville de Toronto.

«Ce gouvernement semble vouloir tout privatiser, dans d’autres domaines, la santé, l’éducation, et ici l’espace public», conclut Ken Greenberg.

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Norm Di Pasquale, co-président d’Ontario Place for All devant l’île Ouest en train d’être rasée. Photo: Charles-Antoine Rouyer, l-express.ca

Le contrat de location enfin rendu public

Le ministère Infrastructure Ontario, responsable des travaux à la Place de l’Ontario, n’a pas répondu aux questions pour expliquer pourquoi l’abattage a débuté en pleine nuit et à quelle heure, ni pourquoi cette accélération des travaux pourtant à nouveau devant les juges.

Un porte-parole du ministère a simplement indiqué: «Nous continuons à entreprendre les travaux nécessaires pour préparer le site à la mise à niveau de l’infrastructure de service du site et à d’autres activités de construction.»

Le méga-spa privé proposé sera une énorme serre de verre jusqu’à dix étages de haut, et dont la future empreinte carbone est également particulièrement décriée. Le gouvernement ontarien a également exempté le projet de mener une étude d’impact environmental, une procédure habituellement nécessaire pour ce type d’aménagement.

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Rappelons que le gouvernement a imposé une fermeture du Centre des Sciences de l’Ontario et proposé que l’établissement aménage dans les structures futuristes, les «pods» dessinées en 1971 par l’architecte torontois Eberhard Zeidler (qui avait signé le Centre Eaton de Toronto).

Un stationnement… et le métro

Le gouvernement ontarien a toutefois enfin dévoilé ce même 3 octobre les conditions du bail de location de 95 ans que la Province a signé avec l’entreprise autrichienne Therme et resté secret jusqu’à présent. Coincidence pour détourner l’attention de la presse de la coupe à blanc et… tenter de couper l’herbe sous les pieds de la Cour d’appel?

Une condition de ce bail, qui avait déjà fuitée, précise que la Province doit construire un stationnement de 1200 à 1800 places, à moins de 650 mètres de l’entrée du site, peut-être souterrain sous le niveau du lac. Car le site a été remblayé et gagné sur le lac.

En cas de manquement, la Province devrait verser une pénalité journalière de 5$ par place de stationnement, pouvant dépasser les 2 millions $, soit plus que le loyer que Therme devra verser (1,95 millions $ en 2032, soit 3,5% de la valeur estimée du terrain).

Alors que la future ligne Ontario du métro doit partir du Parc des Expositions et de la Place de l’Ontario, ce qui normalement devrait réduire le besoin de transport en automobile, et donc la congestion de la circulation et la pollution de l’air par les gaz d’échappement. L’aménagement du site avant la construction coûterait 25 millions $ aux contribuables ontariens.

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La forêt de la Place de l’Ontario en juillet 2024. Photo: courtoisie Helen Stopps
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La Place de l’Ontario en octobre 2024: la forêt est disparue. Photo: courtoisie Helen Stopps

Les forêts urbaines pour la santé urbaine

La forêt urbaine de l’île Ouest de la Place de l’Ontario est vieille de 50 ans. Elle avait été plantée lors de l’ouverture du site en 1971 dans le cadre de l’aménagement paysager réalisé par le designer Michael Hough sur les îles artificielles.

L’île Notre-Dame de l’Expo 67 de Montréal, construite au milieu du fleuve Saint-Laurent, avait inspiré l’aménagement de la Place de l’Ontario.

Rappelons que la canopée urbaine fournit de nombreux services écologiques, et que les espaces verts publics sont bons pour la santé des citadins. Le site de la Place de l’Ontario est utilisé en toute saison par des milliers de Torontois, pour faire du sport, se retrouver entre amis, se détendre, promener leur chien, admirer les couchers de soleil.

La province de l’Ontario a pourtant décidé d’aller de l’avant avec cette coupe à blanc d’un peuplement d’arbres matures en plein centre-ville, alors que la densification résidentielle de la capitale ontarienne rend ces espaces verts encore plus importants pour la santé urbaine et la santé des habitants.

«Pendant la covid, nous avons appris que nous avons énormément besoin d’espaces verts, d’espaces public, le commun», souligne le consultant torontois en design urbain Ken Greenberg. «Et dans une ville aussi diversifiée et multiculturelle que Toronto, il est aussi important d’avoir des espaces publics où les gens peuvent se retrouver, se connaître. Les aspects sociaux sont importants pour la santé des individus et le physique aussi.»

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«Le bien-être, c’est aussi d’avoir la possibilité de profiter de la nature.»

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