Insécurité linguistique: l’accent parfait n’existe pas en francophonie

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La croyance en un accent francophone parfait mène à l'insécurité linguistique et au reniement de l'identité, souligne la sociolinguiste Annette Boudreau. Photo: Eya Ben Nejm, Francopresse
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Publié 29/02/2024 par Eya Ben Nejm

La croyance qu’il existe un accent parfait peut nuire au développement de l’identité linguistique, souligne Annette Boudreau dans son dernier livre. Selon la sociolinguiste acadienne, les commentaires négatifs peuvent décourager une personne d’utiliser le français.

La professeure émérite de l’Université de Moncton était à l’Université d’Ottawa le 22 février pour une causerie autour de son dernier livre, Insécurité linguistique dans la francophonie.

Des exemples

Le court ouvrage de 76 pages vulgarise la notion d’insécurité linguistique en l’illustrant avec des exemples personnels et professionnels. Annette Boudreau veut amener les francophones à réfléchir et comprendre à quel point les commentaires moqueurs sur la langue «peuvent blesser les gens [et] que la langue n’est pas séparée de l’individu».

L’insécurité linguistique n’est pas un phénomène aléatoire, au contraire. «On se rend compte que c’est une réalité qui est très présente dans les minorités francophones au pays», informe Sébastien Savard, professeur titulaire en travail social à l’Université d’Ottawa, présent au lancement du livre.

Cette réalité a des conséquences sur l’épanouissement et l’identité d’un francophone, précise l’autrice.

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La sociolinguiste acadienne Annette Boudreau lance son dernier livre Insécurité linguistique dans la francophonie. Photo: Simon Séguin-Bertrand, Le Droit

Cacher son identité francophone

Craindre de parler sa langue ou de faire entendre son accent en public est causée par la présence d’une norme, explique Annette Boudreau.

Par exemple, il y a des années, la sociolinguiste travaillait sur une nouvelle recherche et elle est allée observer les interactions entre les travailleurs d’un centre d’appel et les clients qui souhaitent réserver une chambre dans un hôtel de luxe au Nouveau-Brunswick.

Face à la pression de la journée, une employée se trompe et tutoie l’individu, «puis la personne au bout du fil, elle dit passe-moi une vraie francophone».

«Puis elle nous a dit: “ça m’a tellement blessée que j’ai décidé de changer mon identité”». Elle a décidé de devenir anglophone. Elle disait: «Hi my name is […] can I help you? I am learning French, if you want, you can help me», raconte l’autrice.

À partir de ce moment, les clients complimentaient son français, ce qui lui a permis de se protéger et d’éviter les commentaires négatifs, rapporte Mme Boudreau.

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Cependant, de façon générale, les personnes qui ressentent de l’insécurité linguistique se contentent d’user de la carte du silence pour éviter de prendre la parole et de faire entendre leur voix dans l’espace public, informe Annette Boudreau.

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La sociolinguiste acadienne Annette Boudreau. Photo: Simon Séguin-Bertrand, Le Droit

Se dévaloriser

Dans son livre, elle aborde aussi le sentiment de honte et d’embarras qui se manifestent lorsqu’une personne ressent de l’insécurité.

Dans une recherche menée au début des années 1990, Annette Boudreau et sa collègue Lise Dubois, aujourd’hui professeure à la retraite du département de traduction et de langues à l’Université de Moncton, ont voulu découvrir s’il y avait des différences entre les adolescents francophones qui vivent dans un milieu où leur langue est majoritaire et d’autres où le français est minoritaire.

Les jeunes qui baignaient dans un milieu très francophone «avaient vraiment une meilleure opinion de leur langue», tandis que le second groupe avait l’impression de mal parler français, comparativement aux autres francophones.

Pourtant, ils parlent bien français, il y a uniquement des accents qui diffèrent d’un lieu à un autre, nuance Annette Boudreau.

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D’ailleurs, d’autres chercheurs ont décidé de reproduire cette recherche pour observer s’il y a eu une évolution des perceptions des jeunes en contexte minoritaire au sujet de leur français, remarque la sociolinguiste.

Critiquer les francophones, d’où ça vient?

L’insécurité linguistique est une conséquence de la glottophobie, soit la discrimination linguistique. Se moquer ou mépriser une personne pour sa langue ou son accent entraîne un sentiment d’humiliation et de gêne.

Par exemple, lorsque l’autrice acadienne était étudiante en France, elle a demandé à un autre étudiant: «Est-ce que vous avez du change?». Il lui a répondu: «J’ai pas de change, j’ai de la monnaie.»

Face à cette réponse, «je m’étais sentie humiliée, il avait une attitude hyper condescendante», confie-t-elle.

Un autre exemple: dans le milieu de la santé, lorsque des francophones souhaitent recevoir des services dans leur langue, ils ressentent une «certaine irritation de la part des professionnels du milieu», explique Sébastien Savard. Ils ont l’impression que demander un service dans sa langue dérange.

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Ce qui peut mener à ne pas vouloir demander des services en français pour éviter de faire face à un professionnel de santé moins joyeux, ajoute-t-il.

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Sébastien Savard, expert en travail social à l’Université d’Ottawa. Photo: courtoisie.

L’impact des journaux

Pour comprendre les racines de l’insécurité linguistique chez les populations francophones en situation minoritaire, Annette Boudreau a produit une recherche sur la glottophobie dans les médias entre 1867 et 1970. Elle a sélectionné les archives et les éditoriaux du Moniteur acadien et L’Évangéline.

«Les discours étaient très négatifs, surtout dans les années 1940 et 1950, parce que l’on comparait beaucoup le français parlé au Canada au français parlé en France», indique Mme Boudreau.

Ces idées lues dans les journaux par les grands-parents et les arrière-grands-parents ont été transmises aux parents qui eux les ont transmises à leur tour à leurs enfants de manière inconsciente, favorisant le sentiment d’insécurité linguistique.

Besoin de modèles

Il faut attendre la fin des années 1970 pour commencer à voir des francophones assumer fièrement leur accent.

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«Il y a des artistes qui sont arrivées sur scène comme Michel Tremblay avec Les Belles-sœurs, Robert Charlebois, le groupe 1755 en Acadie, tout le monde chantait dans leur vernaculaire», dit Annette Boudreau.

En écoutant ces nouveaux artistes, des francophones ont réalisé qu’ils pouvaient s’exprimer avec leur accent, informe l’autrice.

Au fil du temps, les personnes ont assumé davantage leur accent, mais selon elle, il faut continuer à encourager les francophones à ne pas avoir honte de leur accent, de ne pas essayer de le camoufler.

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