Guerre à la normalité: «queer» serait plus flou, mais plus fort, que «LGBT»

queer, Florian Grandena et Pierre-Luc Landry, La guerre est dans les mots et il faut les crier
Florian Grandena et Pierre-Luc Landry, La guerre est dans les mots et il faut les crier, essai illustré par Antoine Charbonneau-Demers, Montréal, Éditions Triptyque, collection Queer, 2022, 240 pages, 26,95 $.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 15/05/2022 par Paul-François Sylvestre

Florian Grandena et Pierre-Luc Landry sont des «pédés, tapettes, faggots, cocksuckers»… Ils ont entendu toutes ces insultes. Ces deux universitaires et militants ont décidé que La guerre est dans les mots et il faut les crier, titre de leur essai écrit à quatre mains sur la réalité «queer». Grandena enseigne à Ottawa, Landry à Victoria.

L’ouvrage s’ouvre sur un rappel de la tuerie du 12 juin 2016 à Orlando, dans le Pulse Nightclub fréquenté principalement par des homosexuels. 49 personnes tuées, des dizaines d’autres blessées. L’une des pires attaques queerphobes sur le continent américain depuis longtemps. Était-ce encore possible?

Lutte langagière réelle

Le mot «guerre» dans le titre du livre tient de la métaphore. Cette lutte langagière n’en demeure pas moins réelle sur le terrain.

C’est un acte extrême pour réveiller certaines consciences. Et le sujet et les armes sont les mots. Grandena et Landry expriment leur «ras-le-bol par rapport à certains discours médiatiques, culturels et sociaux entourant les luttes et les politiques identitaires LGBTQIA2S+».

D’abord une précision sur les acronymes utilisés. LGBT désigne les lobbies gais plutôt conservateur qui réfutent l’usage du mot «queer» en français. Leur champ d’action est réservé principalement aux hommes gais et aux femmes lesbiennes, rarement aux gens bisexuels, encore moins aux personnes trans.

Publicité

LGBTQIA2S+ fait référence «aux personnes ou aux communautés lesbiennes, gais, bisexuelles, trans, queer, en questionnement, intersexe, asexuelles, bispirituelles, pansexuelles, agenres, non binaires et aromantiques, par exemple».

Pronoms queer

Au niveau des pronoms, il faut préciser que «toustes» désigne tous et toutes. «Celleux» inclut celles et ceux. Exemples: «Afin de rendre le concept opérant, pour toustes, de manière inclusive.» «Nous emboîtons le pas, en tant que personnes queer, à celleux qui nous ont discriminé·e·s, exploité·e·s, utilisé·e·s, tué·e·s.»

Les coauteurs cherchent à secouer le langage et à exprimer leur désaccord critique «au sujet des divers conservatismes et dogmatismes qui s’expriment par certains mots, certaines idées, certaines habitudes et attitudes». Ils se penchent sur le discours normalisant et uniformisant qui est vécu «comme une violence verbale, symbolique et politique».

Le livre souligne comment Queer est un concept de diversité, un mot parapluie sous lequel se rassemble une variété de personnes marginalisées. Queer est un raccourci pour LGBTQIA2S+.

La pensée queer cultive le flou

C’est aussi une pensée politique qui cherche à se débarrasser de tout ce qui tient lieu de norme, de normalité.

Publicité

L’esthétique queer refuse de se laisser épingler par des mots, concepts, mouvements, partis et rhétoriques. «La pensée queer cultive le flou, l’indéterminé, l’insaisissable, permet aux individus de se positionner dans le monde à partir de leur marginalité.»

Les auteurs s’appuient sur nombre de chercheurs anglophones et les citations abondent, jamais traduites en français. Il faut vraiment être bilingue pour saisir la portée de cet essai hautement universitaire. Je le suis, mais plusieurs nuances m’ont échappé.

Je n’ai pas compris le sens du titre que porte le cinquième chapitre: «We don’t need that fascist groove thang»…

Je ne crois pas que la majorité comprendra «antimonic political philosophies» ou «exsude some rut».

Un jeune illustrateur

L’essai est illustré par Antoine Charbonneau-Demers. Ses coups de crayons déglingués et parfois irrévérencieux ont pour effet de démocratiser les propos savants des coauteurs.

Publicité

Cela donne aussi lieu à une rencontre intergénérationnelle, puisque Grandena, Landry et Charbonneau-Demers ont respectivement 54, 37 et 28 ans.

Dans cet essai, rien n’appartient plus à Grandena qu’à Landry. Ils ont écrit ensemble. Le résultat est une double expertise, une double ardeur.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur