Faux rebelles à droite… faux champions de la liberté d’expression à gauche

Salon du livre de Toronto
Philippe Bernier Arcand était invité à présenter et discuter de son essai Faux rebelles au Salon du livre de Toronto le 2 mars. Photo: François Bergeron, l-express.ca
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Publié 16/03/2024 par François Bergeron

Les vrais rebelles font progresser la société en combattant des injustices frappant des minorités économiques, raciales ou sexuelles, dont ils font souvent eux-mêmes partie. Aujourd’hui, toutefois, de faux rebelles se portent à la défense de la majorité à laquelle ils appartiennent — blanche, masculine, hétéro — en la prétendant brimée par ces minorités.

C’est la thèse qu’est venu présenter, au récent Salon du livre de Toronto, l’auteur de l’essai Faux rebelles – Les dérives du politiquement incorrect, Philippe Bernier Arcand.

L’anti-wokisme est cool

Selon lui, les suffragettes qui ont fait progresser les droits des femmes, ou les militantes comme Rosa Parks qui ont fait avancer la cause des Noirs américains, ne sont pas de la même farine de «rebelles» que les camionneurs antivax qui ont ont occupé le centre-ville d’Ottawa en février 2022.

Et pourtant, de nos jours, ce sont ces derniers, et d’autres croisés contre le «wokisme», que de nombreux citoyens trouvent «cools» ou «sexys». Pas les bureaucrates qui tentent d’appliquer des politiques d’élimination du racisme ou du sexisme «systémique» dans nos sociétés.

C’est une victoire des anti-wokes que d’avoir réussi à retourner le mot «woke» («éveillé») contre ses créateurs, en en faisant une insulte.

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Philippe Bernier Arcand est prof de sociologie à l’Université Saint-Paul, à Ottawa. Il est aussi chroniqueur au journal Acadie Nouvelle. Il a remporté le Prix littéraire du Gouverneur général en 2023 pour Faux rebelles.

Faux rebelles, Philippe Bernier Arcand, politiquement incorrect
Philippe Bernier Arcand et son livre Faux rebelles, publié en 2022 aux éditions Poètes de brousse. En couverture: des hommes blancs en colère…

On ne peut plus rien dire: faux!

Il est surtout horripilé par une complainte récurrente de ceux qu’il considère comme des réactionnaires: «On ne peut plus rien dire!»

L’ostracisme et la censure menaceraient quiconque «ose» publiquement remettre en question les dogmes «progressistes» pouvant réserver certains postes aux minorités, brimer des libertés d’entreprise ou de commerce, ou bafouer des valeurs majoritaires comme la laïcité.

L’essayiste et conférencier estime que, loin d’être censurés, les politiciens, intellectuels et chroniqueurs qui montent au créneau contre la «rectitude» politique, possèdent au contraire de puissants porte-voix.

Notamment les médias de Québecor, avec des chroniqueurs nationalistes comme Mathieu Bock-Côté, Richard Martineau, Joseph Facal, Sophie Durocher, toujours prompts à exposer de nouvelles lubies «wokes». Philippe Bernier Arcand classe ces chroniqueurs à «droite», même si ce sont surtout des péquistes socio-démocrates.

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L’auteur vise aussi quelques radios irrévérencieuses de la ville de Québec, que la «gauche» – et lui-même – ont baptisé «radios poubelles».

En France et dans l’anglosphère

En France aussi, des commentateurs rejetant la bien-pensance multiculturelle – qui serait «dominante», accusent-ils, au gouvernement, à l’université et dans les médias traditionnels – ont leurs journaux, magazines, chaînes de radio et de télévision (dont Mathieu Bock-Côté est aussi une des vedettes).

Ça se voit aussi dans l’anglosphère: les intellectuels qui disent se porter à la défense des valeurs fondatrices du monde occidental ont accès aux meilleures tribunes et ont des millions d’abonnés et d’admirateurs. Les chroniqueurs du National Post, qui fait partie du plus gros groupe de presse au Canada, penchent presque tous à «droite».

Ces «rebelles» sont loin d’être persécutés!

C’est l’argument le plus solide de Philippe Bernier Arcand: non seulement le discours de «droite» n’est pas réprimé ou muselé, il est «partout» et plus «décomplexé» que jamais.

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Salon du livre de Toronto
Philippe Bernier Arcand et l’animateur Sébastien Pierroz, de TFO, au Salon du livre de Toronto, dans l’agora de l’Université de l’Ontario français. Photo: François Bergeron, l-express.ca

Liberté d’expression VS liberté éditoriale

Ce qui le préoccupe est que cette «droite» ou «extrême droite» – il alterne trop facilement entre l’un et l’autre – s’incarne dans des partis nationalistes ou «anti-système» qui, depuis 2016 (le Brexit et Trump), remportent des succès électoraux en Europe et aux États-Unis. Elle se manifeste aussi bruyamment dans la rue, contre des mesures sanitaires ou des taxes sur l’essence.

Philippe Bernier Arcand cherche à endiguer cette vague populiste.

Selon lui, les médias ne doivent pas faire le jeu des «faux rebelles» en leur accordant le même temps de parole que les «vrais»… Sauf qu’ils doivent aussi faire attention de ne pas prêter flanc à leurs accusations de censure. Mission impossible, puisque les «faux rebelles», a-t-il démontré, ont déjà leurs propres médias.

Il s’adresse donc ici aux diffuseurs publics Radio-Canada et CBC, et à quelques médias privés encore réfractaires au «populisme», comme La Presse au Québec et le Globe And Mail au Canada anglais.

«Je suis le plus grand défenseur de la liberté d’expression», a-t-il lancé au Salon du livre de Toronto, «mais»…

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Mais, par exemple, les médias qu’il affectionne n’auraient pas, selon lui, à organiser un débat «entre un scientifique et un commentateur climatosceptique». Philippe Bernier Arcand ne semble pas concevoir qu’un vrai scientifique puisse être sceptique de l’alarmisme climatique, et qu’il s’en trouve en nombre suffisant pour justifier un débat…

Heureusement, l’auteur de Faux rebelles fait une distinction entre la «liberté d’expression», qui n’est pas absolue et qui est déjà balisée par plusieurs lois que personne ne remet en question, et la «liberté éditoriale», le droit de chaque média de décider de son orientation politique et des valeurs qu’il souhaite promouvoir. Il affirme soutenir la liberté éditoriale.

Son essai veut donc surtout aider les citoyens à départager les vrais des faux commentateurs progressistes, de même que les vraies des fausses injustices. C’est un débat passionnant.

Auteurs

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

  • l-express.ca

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