La couverture de Prodige noir indique ROMAN, mais la lecture de l’ouvrage donne lieu à une persistante impression d’authenticité. Sans doute parce que ce cinquième roman de François Guérin puise allègrement et intelligemment dans la réalité politique, culturelle et sociale du premier quart du XXe siècle.
Prodige noir est un roman rédigé sous forme de journal intime, celui de Harry Button, jeune pianiste noir dans un bled de la Pennsylvanie. Button a 18 ans lorsqu’il commence à tenir un journal, à ordonner ses pensées confuses, à départager ses sentiments mêlés, à se projeter dans des lendemains incertains. Il le fera jusqu’à l’âge de 30 ans. On le suit donc pendant une douzaine d’années, sur le sentier de la guerre au racisme et de la Première Guerre mondiale.
La période couverte par le romancier est celle de 1912 à 1924. Il s’agit d’une époque capitale dans l’histoire des Noirs américains, «celle où l’émergence de la période de l’esclavage n’est pas encore complétée et où se dessinent pourtant les prises de conscience d’une nouvelle identité».
Le protagoniste Harry Button est en avance sur son temps. Jamais un Noir n’a osé s’attaquer au répertoire classique et ce jeunot le fait avec brio. Tant et si bien qu’il est remarqué à New York par Alfred Cortot, qui l’invite à parfaire son éducation à Paris. C’est là que Button fait la connaissance de Claude Debussy, Éric Satie, Igor Stravinsky, Jean Cocteau et Pablo Picasso, notamment au Lapin argile et au Chat noir.
François Guérin décrit fort bien une scène où Claude Debussy écoute Harry Button jouer son Prélude. Le compositeur est ébloui et affirme: «Vous avez été en mesure de tirer des sonorités de cette composition que moi-même je n’avais jamais réussi à obtenir, ni même à soupçonner. Je vous lève mon chapeau.» Toujours à Paris, le romancier rappelle que les Noirs sont bannis des bibliothèques publiques aux États-Unis. Ce n’est pas le cas dans la Ville Lumière et Button en profite, découvrant du coup les raisons de cette interdiction des Blancs américains. «Le savoir mène à la liberté, et cette liberté, ils ne voudront jamais nous l’accorder.»