Avec Françoise Sullivan, le McMichael fait un saut dans l’avenir

Artiste québécoise, artiste canadienne

L'entrée du musée McMichael d'art canadien à Kleinburg.
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Publié 17/03/2019 par Mary Elizabeth Aubé

La neige est fraîchement tombée le jour où Françoise Sullivan s’assoit pour parler de la rétrospective de son oeuvre au musée McMichael.

Une grande fenêtre dans le salon des fondateurs laisse voir le paysage féerique autour du musée, situé dans un boisé de Kleinburg, au nord-ouest de Toronto.

Danse dans la neige

La peinture, dit Sullivan, a toujours été sa forme préférée et «c’était avec des pensées de la peinture que j’ai fait la Danse dans la neige».

Assise sur un canapé en face de moi, Sullivan s’incline et pose deux doigts sur le bord de la table. Avec sa main, elle fait semblant de se précipiter dans le vide, comme si elle mime en miniature cette danse qui demeure un point charnière pour la danse moderne.

En février 1948, la performance de Danse dans la neige a lieu à Otterburn Park, chez Jean Paul et Françoise Riopelle. Travaillée par le dégel et regel, la neige cache de grandes piques de glace sous sa surface. Pour Sullivan, chaque pas de la danse est un saut vers l’inconnu, vers le danger.

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Une expérience vécue, directe, dont l’expression ouvre une nouvelle ère pour l’art.

McMichael
L’artiste Françoise Sullivan (née en 1923). (Photo: Éric Lajeunesse.)

Une artiste au regard franc

Sullivan a les yeux francs qu’on voit dans cinq portraits peints vers l’âge de 19 ans, les premières oeuvres de l’exposition, qui est organisée chronologiquement.

Un de ces portraits me rappelle les blocs de couleur chez Cézanne, un autre les tons vifs et les fonds couverts de petits motifs chez Matisse.

Si les yeux des sujets dans ces portraits semblent fixés vers un ailleurs, c’est tout le contraire de Sullivan qui me regarde directement, attendant la question suivante.

Sullivan dégage la confiance, l’énergie.

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Pour la liberté d’expression et la modernité

Une nouvelle liberté d’expression anime Sullivan dans les photos de Danse dans la neige, (le film de la performance a malheureusement été égaré). L’exposition présente la vidéo de plusieurs de ses chorégraphies, dont l’extraordinaire Black and Tan (1948), avec le costume et la perruque originaux en jute.

En 1948 aussi, non seulement signe-t-elle le manifeste Refus global, elle y contribue l’essai «La danse et l’espoir», dans lequel elle écrit que la danse est «avant tout un réflexe, une expression spontanée d’émotions vivement ressenties».

La modernité de ces danses saute aux yeux encore en 2019. Imaginez leur force cinglante il y a 70 ans!

McMichael
Françoise Sullivan (née en 1923), Rouge nos 3, 5, 6, 2, 1997, acrylique sur canvas, 4 éléments, 152 x 152 cm (chacun). Collection Musée d’art contemporain de Montréal © Françoise Sullivan / SOCAN (2019). Photo: Richard-Max Tremblay,

Une multidisciplinarité «naturelle» et «nécessaire»

Qu’est-ce que Sullivan a découvert en préparant cette rétrospective?

Elle a été étonnée, dit-elle, de voir l’importance qu’ont eue les multiples médias dans son oeuvre: la sculpture, la danse et la peinture.

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Non seulement elle pratique ces disciplines individuellement, elle les fusionne aussi. Une des peintures circulaires sert de costume de danse. Rideau sonore, à la fois sculpture et décor de scène, est fait de cercles en métal suspendus par des fils de fer que les danseurs étaient invités à toucher en dansant, pour l’animer et faire du bruit.

Sullivan résume son emploi des différentes formes: «C’était naturel, c’était une nécessité.»

Une photo de Rideau sonore est reproduite sur la jaquette du catalogue qui est bilingue, comme le sont tous les panneaux descriptifs de l’exposition.

La sculpture

La décennie 1960 est l’époque de la sculpture pour Sullivan. De grandes sculptures en acier, et des plus petites en acrylique.

Elle suit une formation en soudure, puis convertit son garage en atelier pour pouvoir travailler chez elle, car ses quatre fils sont encore jeunes.

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Pour une des sculptures sans titre, datant de 1960, et dont la forme rappelle un éventail, Sullivan rappelle le travail précis et physiquement ardu requis pour réchauffer puis plier chaque pan. Car un bout du pli risquait de refroidir et de raidir avant que l’autre bout soit assez chaud et souple.

Ensuite, il fallait trouver le point d’équilibre pour la faire tenir debout sur son point le plus petit.

Sa sculpture monumentale Callooh Callay, installée pour l’Expo 67, se trouve maintenant à l’Université de Régina.

La sculpture monumentale Callooh Callay, de Françoise Sullivan, installée pour l’Expo 67, se trouve maintenant à l’Université de Régina. (Photo: André Sima, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.)

Faire sortir l’art des musées

Sullivan participe au mouvement dans les années 70 pour faire sortir l’art des musées. Une exposition qui avait ce but, Corridart, devait être présentée dans le cadre des Jeux olympiques de Montréal en 1976, mais a été démantelée à la veille de l’ouverture des Jeux, sur l’ordre du maire Jean Drapeau, qui taxe les oeuvres d’«obscènes».

Pendant cette même période, Sullivan réalise des oeuvres «immatérielles» reliées à l’art conceptuel, dont Télécommunications, une série de télégrammes, et Dimensions des enfants, des marques sur une colonne indiquant la taille de chacun de ses fils.

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Retour à la peinture, passion de toute sa vie

Après des voyages en Europe et en Méditerranée, elle revient à la peinture, sa discipline préférée, dans les années 1980.

D’abord, elle crée des peintures figuratives, inspirées par la mythologie antique. Ensuite, elle passe pour de bon à l’abstraction avec la série de Tondos, cercles plutôt monochromes, dont un est accompagné d’une pyramide de petites roches, un autre d’un morceau de bois.

Les peintures récentes de Sullivan – car elle peint encore! – sont abstraites, des surfaces carrées riches en couleurs comme les portraits du début de sa carrière.

Elle est connue pour le rouge lumineux utilisé dans la série Rouge créée pour les 50 ans de Refus global. En laissant le regard se poser un moment sur la surface, on s’aperçoit peu à peu que ce rouge n’est pas un seul ton, mais plutôt un ensemble de tons. Grâce à un travail de pinceau exceptionnel, la couleur vibre avec une vivacité qui attire les yeux et nous enchante.

Traces du corps en mouvement laissées dans la peinture. Danse de la main.

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McMichael
Françoise Sullivan (née en 1923), Sans titre, 1968, Acrylique, 30.6 x 23.4 x 11 cm. Collection Musée d’art contemporain de Montréal. Don de Jean leFebure © Françoise Sullivan / SOCAN (2019). Photo: Guy L’Heureux.

Une oeuvre exceptionnelle

Déjà, en 1982, dans le compte rendu d’une rétrospective publié dans Spirale, une revue québécoise culturelle, René Payant parle de «l’étrange diversité» de la production de Sullivan, pour ensuite affirmer que ses oeuvres «sont autant de tremplins pour l’artiste vers des désirs de formes, de matières, d’espaces toujours à découvrir, à conquérir, à apprivoiser, à imaginer».

Cette grande exposition au McMichael déploie devant nous la beauté et l’importance de l’oeuvre de Sullivan, un beau cadeau pour nous tous, alors que nous célébrons ses 95 ans.

Un saut dans l’avenir pour le McMichael

Sarah Milroy, conservatrice en chef du McMichael depuis bientôt un an, affirme que le temps est venu pour l’institution – connue surtout depuis ses origines pour son association avec le Groupe des Sept et l’art de l’Ontario – d’accueillir l’art de toutes les régions du Canada.

«Ce musée est pour tous les Canadiens, qu’ils soient francophones ou anglophones, autochtones ou colons, immigrants récents ou ici depuis des générations.» Et elle affirme que dorénavant, le McMichael prendra à coeur sa grande responsabilité en tant que seul musée au Canada dédié exclusivement à l’art canadien.

En même temps que la rétrospective Françoise Sullivan, à l’affiche jusqu’au 12 mai, le McMichael présente des expositions de deux autres peintres du Québec, Rita Letendre (jusqu’au 5 mai) et Marie-Claire Blais (jusqu’au 9 juin).

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L’exposition Françoise Sullivan est organisée et mise en tournée par le Musée d’art contemporain de Montréal, une société d’État provinciale subventionnée par le ministère de la Culture et des Communications du Québec. La tournée nationale de l’exposition a été rendue possible en partie grâce à une subvention du gouvernement du Canada.

Auteur

  • Mary Elizabeth Aubé

    Chroniqueuse livres et activités culturelles pour enfants, et expositions d'art. Publie dans diverses revues des comptes rendus de livres et des essais sur la francophonie nord-américaine.

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