Avant le bilinguisme officiel…

Avant 1969, les dispositions linguistiques cherchaient seulement à «accommoder» les Canadiens-Français

L'historien Serge Dupuis rappelle qu'avant 1969 (l'adoption de la Loi sur les langues officielles sous Pierre Trudeau), les lois linguistiques cherchaient à accommoder les Canadiens-Français, pas à bâtir une société bilingue.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 20/06/2019 par Gérard Lévesque

Cette année, les conférences et colloques tenus au sujet des langues officielles portent sur les cinquante années écoulées depuis l’adoption de la première Loi sur les langues officielles.

Toutefois, le 29 mai dernier, dans le cadre du colloque organisé par l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), dans le cadre du 87e congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS), l’historien Serge Dupuis a présenté aux participants le contexte linguistique avant l’adoption de cette première loi.

Serge Dupuis
L’historien Serge Dupuis.

Accommoder la francophonie

Pendant deux siècles, la législation linguistique visait un but différent de celui que l’on avance aujourd’hui: «celui d’accommoder les Canadiens-Français à l’intérieur du régime».

«On est alors loin de nourrir une identité bilingue ou de respecter les préférences linguistiques des individus.»

L’analyse du professeur Dupuis aide à constater le changement de cap effectué par le premier ministre Trudeau (père) et à imaginer des pistes d’avenir susceptibles de réconcilier les ambitions nationales avec les droits individuels des francophones au pays.

Publicité
Le logo de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques.

Dépasser des désaccords culturels et religieux

En faisant un survol historique de l’aménagement linguistique du Canada, Dupuis explique que les décideurs canadiens sont parvenus à dépasser des désaccords culturels et religieux pour travailler envers des objectifs communs.

Mais, «lorsqu’on a tourné le dos à la tradition d’accommodement – comme l’ont fait les premiers ministres John A. MacDonald, dans l’affaire Riel, et Robert Borden, pour le Règlement 17 et la conscription militaire –, la Confédération s’est trouvée au bord du gouffre».

Le poids des francophones dans la fonction publique fédérale fait une chute importante: de 22% en 1914 à 13% en 1939, et, cela, même si la taille de la fonction publique a doublé.

Le premier timbre canadien bilingue.

Timbres et billets de banque

Dupuis nous rappelle des initiatives ministérielles à une époque où un ministre fédéral sur trois était francophone. Par exemple, c’est l’Acadien Peter Veniot qui, à titre de ministre des Postes, introduit les timbres bilingues.

«En 2019, ce geste peut paraître banal, mais dans le climat xénophobe du début du 20e siècle, la présence de deux langues sur la poste est une première mesure pour faire circuler le français dans des régions où il est absent et, surtout, pour entrouvrir la porte à une action supplémentaire de l’État fédéral.»

Publicité

Pour remédier à la piètre qualité des traductions, le Bureau des traductions est créé en 1934. L’année suivante, dans l’arrêt Dubois, la Cour suprême du Canada tranche que les versions française et anglaise des lois ont une valeur égale.

En 1936, on introduit le bilinguisme sur les billets de banque. Le conférencier signale que c’est le gouvernement King qui fait refléter d’une façon déterminante la dualité linguistique dans les nouvelles agences publiques, chargées de démocratiser l’accès aux deux cultures du pays: la Société Radio-Canada en 1936 et l’Office national du film en 1939.

L’un des premiers billets de banque canadiens bilingues.

Inégalités choquantes

Dupuis cite les révélations choquantes du recensement fédéral de 1961. Au Québec, la population d’origine britannique gagne 35% de plus que la majorité d’origine française.

Et, en Ontario, l’absence de financement de l’éducation de langue française fait que seulement 3% des Franco-Ontariens terminent leurs études secondaires.

Les personnes intéressées par l’histoire et par les droits linguistiques vont prochainement pouvoir en appendre davantage. En effet, l’exposé du professeur Dupuis s’inspire de son manuscrit sur l’histoire du bilinguisme canadien, lequel va paraître aux Éditions du Septentrion le 9 septembre prochain, soit 50 ans après la sanction royale de la première Loi sur les langues officielles. On aura donc l’occasion de revenir sur le sujet.

Publicité
Tous les services fédéraux et plusieurs services provinciaux sont censés être bilingues.

Historien prolifique

Auteur de trois livres, puis d’une trentaine d’articles et d’essais, Serge Dupuis a reçu, pour son livre sur l’histoire du mouvement Richelieu, le Prix d’auteur pour l’édition savante (2016) et le Prix Richard-Arès (2017) pour le meilleur essai paru au Québec, puis pour ses recherches sur l’histoire des Canadiens français en Floride, le Prix Lilliane-et-Guy-Frégault (2010) de l’Institut d’histoire de l’Amérique française.

Il a enseigné des cours sur l’histoire de l’Amérique du Nord et du monde, en français ou en anglais, aux universités Waterloo, Laurentienne, Laval et Sherbrooke, puis enseigné à titre d’invité aux universités d’Ottawa, de Floride et de Miami.

Il intervient régulièrement sur l’histoire de la Francophonie nord-américaine dans divers médias régionaux, nationaux et internationaux, puis dans des évènements scientifiques tels que ceux de l’Institut d’histoire de l’Amérique française, du Centre de recherche en civilisation canadienne-française, de l’Association francophone pour le savoir, du Conseil international d’études francophones et de la Société historique du Canada.

Il est également membre du Groupe de recherche universitaire sur les nationalismes transfrontaliers depuis sa création en décembre 2017.

mobilisation
Le drapeau franco-ontarien. Le bilinguisme officiel est plus ambitieux aujourd’hui, mais des revendications canadiennes-françaises sont toujours actuelles.

Franco-Ontarien

Originaire du Moyen-Nord ontarien, Serge Dupuis est historien professionnel œuvrant à Québec et membre associé à la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN), à l’Université Laval.

Publicité

Il a complété un baccalauréat (Laurentienne, 2007), une maîtrise (Ottawa, 2009), un doctorat (Waterloo, 2013) et un stage postdoctoral (Laval, 2016) en histoire, obtenant des bourses, notamment du Conseil des recherches en sciences humaines du Canada pour ses trois formations d’études supérieures.

Auteur

  • Gérard Lévesque

    Avocat et notaire depuis 1988, ex-directeur général de l'Association des juristes d'expression française de l'Ontario. Souvent impliqué dans des causes portant sur les droits linguistiques. Correspondant de l-express.ca, votre destination pour profiter au maximum de Toronto.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur